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Elles sont à la fois peintres, graphistes, photographes, designers textiles et illustratrices. Leurs créations se déclinent au fil de leurs envies : sur une toile, un bout de tissu ou de mur, de papier ou de peau. Avec leurs univers caméléons, Calyfornie, Studio Narine et Roso font de leur art une pratique inspirée, à la fois humoristique et poétique. Rencontre avec trois jeunes artistes.
Sur un mur tagué d’une rue de Montreuil, la fresque de Calyfornie se détache de la grisaille : dans un carré, deux palmiers, deux tours d’immeuble, un grand soleil sur ciel bleu et une plage de sable jaune. « C’est quand qu’on se voit dans le 9-3 ? » avise la peinture. À 25 ans, Calixte Bernard a déjà repeint plus d’un coin de Paris, de Yaoundé ou du Panama de son coup de pinceau éclatant. À mi-chemin entre la bande-dessinée et la peinture populaire d’Afrique de l’Ouest, ses créations explorent le quotidien d’une jeunesse française métissée, aux références plurielles. « Je peux passer de Titeuf à Mauvaises Filles d’Ancco, une auteure de BD sud-coréenne. Les origines camerounaises de ma mère sont également une grande source d’inspiration. À travers mes dessins, je représente sa vie, son enfance et son arrivée en France. Quand je suis allée au Cameroun, les rues de Yaoundé et de Douala remplies de devantures colorées m’ont fascinée », résume-t-elle.
Qu’il s’agisse de ses illustrations ou de ses animations, les clins d’œil à la diaspora africaine se glissent souvent dans le décor : ici un kub or Maggi, là un pot de Dakatine, dans un coin une cagette de manioc. Son feed Instagram transpire la couleur et la spontanéité, entre lithographies, fresques murales, tatouages et minis dessins animés. Les afficionados de Chéri Samba et de Moké Fils reconnaitront dans les lignes de Calyfornie l’influence de ces deux peintres congolais, aux œuvres figuratives tintées de fables locales.
Indépendamment de ses travaux personnels, Calixte propose – avec le collectif d’illustratrices Mechta) – des affiches et des expositions (hors période Covid). Et si vous êtes attentifs, vous les croiserez peut-être en manif avec leurs dessins à la main.
On aurait presque envie de croquer dedans. Au milieu de son petit écrin en papier, le kebab de Studio Narine ressemble à s’y méprendre à un vrai. Mais de la salade jusqu’au pain, le sandwich n’est fait que de tissu : la matière est travaillée avec force de plissage, de teinture et de broderie pour donner l’illusion parfaite, appétissante même.
Formée au design textile à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, Marine Frossard-Razafy puise son inspiration dans les codes de l’imagerie alimentaire. « L’esthétique que je préfère c’est celle de la bouffe populaire. J’adore les packagings un peu kitsch ou ceux des commerces dit “exotiques“. Les idées je les trouve en faisant mes courses au supermarché asiatique ou en m’arrêtant devant la devanture d’un boucher ». Le résultat ? Des saucisses souriantes dans leur assiette, au côté de baked beans et d’une tranche de bacon toute aussi rieuse ; de vrais-faux packshots de briques de lait rose bonbon et scintillantes ; des photographies d’échoppes bruxelloises, vietnamiennes, dakaroises… Le compte Instagram de Studio Narine est réjouissant, bariolé et nomade. Tout ce dont on manque en ce moment.
C’est justement ce mélange de références culturelles et d’habitudes de consommation qui fait l’originalité et l’humour des créations de Marine Frossard-Razafy. « J’ai toujours envie de faire rigoler les gens. C’était le but avec The Kebab Project, ça l’est toujours avec les packagings de Strawberry Heaven. L’idée c’est d’arriver à insuffler un minimum de fantaisie dans un monde un peu trop sérieux », précise-t-elle au téléphone. Grâce au temps supplémentaire dégagé par la crise sanitaire, le site studionarine.com est né fin 2020 et Marine proposera bientôt à la vente ses créations pour les mangeurs de kebab, les buveurs de lait ou les amateurs de petites saucisses hilares.
D’un père architecte et d’une mère peintre, Rosalie Pruvost a passé son enfance entre les crayons et les pinceaux de ses parents. « C’était assez naturel pour moi de me tourner vers l’art et la composition d’image. Pourtant, adolescente, je me suis longtemps construite en opposition au travail de ma mère. Je pensais à tort qu’être artiste était un métier d’imposteur. Sauf qu’inconsciemment, je me suis mise à faire la même chose », admet la jeune femme. Initialement formée à l’animation et au motion design, Rosalie a fini par quitter son CDI en pleine pandémie pour se consacrer entièrement à ses projets de peinture et de réalisation. Déjà repérée par Disiz la Peste en 2017 pour la réalisation de son clip Poisson étrange, la jeune artiste compte plusieurs créations sérieuses à son actif : de la peinture sur peau pour Lacoste, la co-direction artistique du média en ligne MAD et une myriade d’illustrations…
Directement inspirés de l’art naïf, les dessins de Roso s’affranchissent de la perspective et des dimensions pour se concentrer sur la couleur, l’abstrait et ses thèmes fétiches : des tulipes, des profils, des regards et parfois des œufs au plat. « L’art naïf est souvent sous-côté parce que beaucoup de gens pensent que c’est le choix de ceux qui ne savent pas vraiment dessiner. Alors qu’il faut une véritable justesse dans le trait pour en ressortir de l’expressivité. Les dessins enfantins de Matisse en sont l’exemple parfait. »
En se mettant à la peinture, Rosalie a dû tout réapprendre mais semble avoir trouvé sa voie. « À la base, je suis une grosse geek et je travaille sur mes logiciels mais les confinements m’ont permis de me concentrer sur ce nouveau challenge et c’est finalement une période assez inspirante. » Malgré la pandémie, de nouveaux projets – encore un peu secrets – vont bientôt voir le jour et seront prochainement dévoilés sur son compte Instagram. À suivre donc…
Si vous souhaitez encourager de jeunes artistes en ces temps ou l’art et la culture sont mis à mal, rien de plus simple : suivez-les sur les réseaux sociaux, partagez leurs créations et – si vous en avez les moyens – achetez-en !