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Tout abréger : un phénomène de société ?
Créé fin janvier 2024, le compte TikTok @abregefrere a connu un succès fulgurant avec un concept assez simple : abréger un contenu en sautant directement à la conclusion dans le but de nous faire gagner de “précieuses” secondes affichées à l’écran.
Gagnant 1 million d’abonnés en 12 jours, il s’est largement inspiré de @heyitsyoon qui en avait marre des vidéos postées en plusieurs parties :
Mais, il a également été critiqué pour “abréger” majoritairement des femmes, réveillant une certaine misogynie parmi ses abonnés :
Au-delà du sexisme dénoncé par plusieurs créatrices, on peut s’interroger plus largement sur cette volonté “d’abréger” du contenu pourtant déjà assez court. En effet, @abregefrere n’hésite pas à résumer en quelques secondes des vidéos qui font parfois moins d’une minute.
MAIS DEPUIS QUAND NOUS N’AVONS PLUS LE TEMPS D’AVOIR LE TEMPS COMME LE RELÈVE SI BIEN LE PHILOSOPHE THIERRY HENRY ?
Contrairement à ce que certains peuvent penser, cette manie de vouloir consommer du contenu plus rapidement ne date pas de TikTok et de l’avènement des réseaux sociaux.
En analysant les films sortis depuis 1930, le média Wired note que la durée des plans se sont raccourcis au fil des décennies, passant d’une moyenne de 12 secondes en 1930 à 2,5 secondes en 2014.
En 2004, l’Université Penn State confirme dans une étude que les vidéos aux tempos plus rapides sont plus engageantes.
Depuis, le speedwatching s’est généralisé. En 2020, Netflix annonce la possibilité de d’augmenter ou de réduire la vitesse de lecture. Sur YouTube, les internautes qui utilisent cette fonction le font pour accélérer la vidéo dans 85% des cas.
« LES UTILISATEURS DE YOUTUBE ONT ÉCONOMISÉ EN MOYENNE PLUS DE 900 ANS DE TEMPS VIDÉO PAR JOUR EN LES REGARDANT À DES VITESSES PLUS RAPIDES. »
Aux USA, la télé s’est même permise d’accélérer certains épisodes de Friends pour caler + de pubs, comme l’a révélé le Washington Post.
Désormais, il est possible d’écouter ses podcasts en 2x, mais aussi les messages vocaux sur WhatsApp, Snapchat ou encore Telegram. Une accélération qui touche aussi le milieu musical avec des versions “sped up”.
« L’utilisation de versions accélérées de certains artistes donne une nouvelle vie quasiment au morceau. On a sorti une version sped-up de ‘Me gustas tu’ et elle est aujourd’hui classée troisième dans les meilleures chansons de Manu Chao », explique Emmanuel de Buretel, patron du label Because sur France Inter.
Des stars comme Demi Lovato ont même volontairement sorti une version “sped up” de leur titre :
Nous voilà donc dans un monde qui tourne de plus en plus vite, au gré de nos cerveaux de plus en plus distraits, comme l’explique la Dr. Sharon Horwood dans le quotidien britannique The Guardian :
« [LES TECHNOLOGIES] ONT TENDANCE À AUGMENTER NOTRE DISTRACTION, À RÉDUIRE NOTRE CAPACITÉ À PENSER ET À NOUS SOUVENIR, À PRÊTER ATTENTION AUX CHOSES ET À RÉGULER NOS ÉMOTIONS. »
Alors d’où nous vient cette envie d’abréger tout ce contenu ?
Pour la psychologue et sociologue Nicole Aubert, notre rapport au temps a changé. « À notre besoin, très occidental, de dominer le temps, s’est ajoutée une tierce dimension d’accélération et de compression du temps », a-t-elle expliqué au journal Le Monde.
Heureusement, tout n’est pas codifié par la rapidité et l’efficacité sur Internet : en témoigne les longs formats qui ont de plus en plus de succès sur YouTube ou encore les lives Twitch qui durent des heures.
Et puisqu’on manque de temps (😉) pour développer le sujet, on ne peut que vous conseiller la lecture d’Accélération par Hartmut Rosa.