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TOCs de propreté et Covid-19: « Ça exacerbe quelque chose qui était déjà présent »

On a recueilli des témoignages de germophobes ou mysophobes.

Par
Maëlle Le Corre
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« C’est comme quand les complotistes voient du complot partout, et que le jour où on en trouve un vrai, ils se disent “ah, j’avais raison”. C’est de cet ordre-là. » Longtemps, Victor*, comédien, a réussi à faire taire la petite voix dans sa tête qui guidait ses vieux réflexes liés à l’hygiène. Mais avec l’arrivée du Covid-19 et les consignes sanitaires répétées H24, il a l’étrange impression d’être rattrapé par ses vieux démons, des peurs qu’il était parvenu à mettre de côté et qui aujourd’hui sont devenues très présentes et terriblement concrètes. Et il n’est pas le seul.

« Dès que j’entendais tousser, je m’éloignais »

Pour des personnes germophobes ou mysophobes (qui ont peur des germes, des microbes, de la saleté), ou qui ont des troubles obsessionnels compulsifs liés à l’hygiène, cette période d’épidémie et de confinement n’est pas simple à vivre. Se laver les mains très régulièrement et éviter de toucher poignées de porte et barres de métro, Olga le faisait « bien avant que ce soit à la mode ». Cette trentenaire, qui travaille comme community manager, n’a pas attendu le coronavirus et les recommandations pour se protéger soi-même et les autres, ça fait des années qu’elle met en pratique des gestes « de propreté et de bon sens ». « J’ai toujours de quoi me désinfecter les mains dans l’espace public, je désinfecte mon téléphone tous les soirs, je nettoie les courses que je viens de faire avant de les ranger chez moi, aucune chaussure qui a été dehors ne touche le sol de mon appartement… », m’énumère-t-elle. Extrême pour certains, mais d’une logique imparable pour d’autres. « Quand il y a eu les premiers cas de coronavirus en France, je redoublais encore plus de précautions, me raconte David*, enseignant à Aubervilliers. Dans le métro, dès que j’entendais tousser, je m’éloignais ». À l’époque, ses proches trouvent cela un peu ridicule. Et pourtant, nous voilà aujourd’hui tou.te.s confiné.e.s.

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David est un « névrosé » et ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui. Au téléphone, il me donne un aperçu de ses rituels : « Le lit, par exemple, il faut que je le fasse impeccablement. Il ne faut pas que je le fasse habillé, je dois être en pyjama pour ne pas que mes habits contaminent le lit. Une fois qu’il est fait, il ne faut plus l’approcher quand on est habillé. » Ça, c’est en temps normal, mais l’amplification de l’épidémie de Covid-19 n’a fait qu’accroître ses habitudes, qui sont devenues de vraies obsessions. Ses gestes de nettoyage sont plus fréquents, ses anxiétés liées aux surfaces qui peuvent être contaminées ou contaminantes ont redoublé. « Je suis en train de me dessécher la peau au rythme où ça va, plaisante-t-il. Si je prends un objet ramené de l’extérieur, comme je l’ai touché, je vais me relaver les mains. Ça exacerbe quelque chose qui était déjà présent au quotidien, un peu comme une surface dormante. Il n’y avait pas de pic, et là, ça fait que tout d’un coup, boum, ça s’enflamme. Ce fond, qui était plus ou moins présent, prend le dessus et guide mon quotidien. »

Une hypervigilance normale

« Je ne comprends pas l’insouciance des gens vis-à-vis de tout ça, et les voir faire comme si de rien n’était est une vraie source d’angoisse pour moi »

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Se laver les mains très régulièrement, se saluer sans se serrer la main, tousser dans son coude, éviter de toucher le bouton de l’ascenseur… Quand les consignes sanitaires officielles ont commencé à pleuvoir il y a quelques semaines, Olga a été un poil agacée : « J’en ai profité pour faire quelques commentaires désagréables genre “ah bon, on fait pas ça en temps normal ?”. Mais je sais très bien, je le vois tous les jours, que les gens ne le font pas. » Même en ayant déjà intégré ses réflexes, la pression est réelle et génère encore plus d’anxiété. « On est dans une situation exceptionnelle où on demande aux gens d’être hyper-vigilants, mais en fait cette hypervigilance, qu’il n’est pas rationnel d’avoir en temps normal, je l’avais déjà », analyse David.

D’autant que l’hypervigilance, justement, n’est pas toujours de mise. Les images de joggers sur les berges de Seine ressemblent parfois à celles du Marathon de Paris. Au supermarché ou à la pharmacie, le mètre de distance réglementaire dans la file d’attente est loin d’être systématiquement respecté. « Je ne comprends pas l’insouciance des gens vis-à-vis de tout ça, et les voir faire comme si de rien n’était est une vraie source d’angoisse pour moi », déplore Olga.

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L’après Covid-19 ?

« Mon oncle maraîcher dit qu’en ce moment la fréquentation de son marché, c’est comme en plein mois de juillet, c’est une foule. »

Et c’est sans compter l’exode vers la verte campagne, qui en a hérissé plus d’un. Originaire de Normandie, Victor a choisi de revenir chez ses parents avant la restriction des déplacements décrétée le 16 mars. Il a évité tout contact avec eux et reste depuis en quarantaine dans sa chambre. Il ne cache pas une forte culpabilité, mais sait qu’en restant seul et isolé dans son 20 m2 en banlieue parisienne, sa santé mentale était en jeu. « Les citadins voient plus ou moins la campagne comme un trou où il n’y a pas beaucoup de gens, un endroit sain et safe. Ce qui n’est pas vrai. Mon oncle maraîcher dit qu’en ce moment la fréquentation de son marché, c’est comme en plein mois de juillet, c’est une foule. »

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Et l’après Covid-19 ? Quand la vie « normale » reprendra ses droits, que nous remettrons le nez dehors et que nous plaisanterons en nous faisant la bise à coups de « ça faisait longtemps » et « attends, c’est combien déjà ? », que nous restera-t-il de nos rituels d’hygiène sous le Covid-19 ? Olga espère que les gens retiendront les bons réflexes « qui relèvent du bon sens et du respect de soi et des autres ». « Pour le moment, j’ai du mal à m’imaginer que ça perdure au-delà de cette période d’urgence, parce que beaucoup seront content.e.s de se libérer de ces gestes de propreté qu’iels voient comme des contraintes, des mesures extrêmes. Après, clairement, je ne vais pas me priver d’être gentiment condescendante sur les questions d’hygiène, et ne plus laisser quiconque me traiter de “maniaque” ! ». Victor n’est pas loin de penser la même chose : « Je pense qu’il y aura deux catégories de gens. Ceux qui vont se trimballer l’impact que ça aura eu, comme moi, qui vont continuer à faire très attention. Et les autres, ceux qui aujourd’hui n’intègrent pas le danger du truc et continuent à faire leur marché agglutinés les uns aux autres. »

David, lui, n’y a pas pensé du tout : « Je suis complètement engoncé dans des problèmes à court terme de désinfection de surface et de qu’est-ce que je vais faire le lendemain, qu’est-ce que je vais désinfecter et comment je vais gérer ça… Je ne me projette pas du tout dans trois semaines, dans un mois. Et même je pense que c’est plus anxiogène pour moi de le faire. »

* Les prénoms ont été modifiés.

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