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TikTok, porte-voix des jeunes autochtones

Comment la nouvelle génération amérindienne utilise la populaire plateforme pour dénoncer les conditions de vie de leurs communautés.

Par
Audrey PM
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Check, je suis fascinée par les univers contenus dans l’application TikTok. La nouvelle génération de pré-ados et d’ados s’exprime là-dessus, pis je suis ultra-curieuse de découvrir ce qu’elle dit, pourquoi elle le dit et comment elle le dit. Aujourd’hui, je me penche sur la façon dont les jeunes autochtones partagent leur réalité avec le monde et militent pour les droits des Premiers Peuples à travers TikTok.

Ce n’est pas la première fois que le mystérieux algorithme TikTok me présente des vidéos où de jeunes autochtones de diverses nations partout en Amérique du Nord et en Amérique Centrale illustrent leur quotidien en réserve (rez life), utilisent les modèles de memes et de contenus viraux TikTok pour illustrer leur réalité de façon humoristique ou encore pour show off (dans le MEILLEUR sens du terme) leurs magnifiques tenues traditionnelles, le tout comme une façon d’exprimer leur fierté et leur amour pour leur culture.

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C’est pas mal ce que fait Nicole Suwaksiork-Baines, 18 ans et active sur TikTok depuis 2019.

Sur son compte suivi par onze mille abonnés, la jeune Inuk publie des vidéos divertissants à propos de sa vie nordique à Iqaluit, au Nunavut.

Cependant, dans un vidéo publié il y a quelques semaines, le ton est légèrement plus sérieux: « J’aimerais mettre en lumière le fait qu’une personne inuit a 9 fois plus de risque de se suicider qu’une personne non-autochtone au Canada. »

Elle enchaîne en mentionnant les ravages de l’alcool, l’absence de centres de désintoxication dans sa communauté. « Notre peuple se meurt », dit-elle, avant un long silence. Puis, elle résume: « Je veux juste attirer l’attention sur le fait qu’on a vraiment besoin d’aide en santé mentale ici dans le Nord. » Elle conclut avec un message aux autres autochtones: « Vous n’êtes pas seuls et vous êtes aimés. »

Le vidéo a été «liké» 64 800 fois et a généré 323 000 visionnements.

J’étais curieuse de parler avec cette jeune femme qui, malgré son sens de l’humour et son grand sourire, a laissé paraître son angoisse et son inquiétude quelques secondes le temps d’un vidéo. Elle a gentiment accepté de répondre à mes questions.

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Qu’est-ce qui t’a poussée à parler des différentes problématiques sociales au Nunavut et dans ta communauté? Faisais-tu déjà du militantisme avant d’avoir un compte TikTok?

Les problèmes qu’on a au Nunavut existent depuis aussi longtemps que je me souvienne. Beaucoup de traumatismes se transmettent d’une génération à l’autre. Tout ce que je connaissais avant se limitait à ce qui se passait autour de moi. Puis, quand j’ai commencé à voyager dans les provinces du sud, j’ai réalisé que plusieurs personnes n’étaient pas au courant des problématiques qu’on vit sur mon territoire.

Un de mes vidéos (sur un sujet différent) est devenu viral sur l’app et à travers le nombre de vues et de commentaires, je voyais que beaucoup d’abonnés disaient des choses inexactes ou ignorantes à propos du Nord.

J’ai donc décidé de profiter de mes 15 minutes de gloire et filmer de façon impromptue un vidéo où je parle de l’épidémie de suicides qui a lieu en ce moment ici dans le Nord.

Je ne faisais pas de militantisme avant ça.

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Parle-moi du feedback que tu as reçu après avoir publié ce vidéo.

C’était généralement positif. J’ai eu beaucoup de soutien de la part d’autres autochtones à travers le Canada et les États-Unis. Beaucoup de gens demandaient comment aider, où ils pouvaient envoyer des dons.

Il y a eu quelques personnes qui ont répondu de façon négative en me disant de « juste déménager au sud ». Ces mêmes personnes ne croyaient pas en la validité de mes sources, mais je me suis basée à la fois sur mon expérience personnelle ainsi que sur des études et des rapports produits ici (au Inuit Nunangat, la patrie des peuples inuit au Canada).

Connais-tu d’autres personnes à Iqaluit qui utilisent TikTok comme tu le fais?

J’ai pas vu de gens que je connais utiliser la plateforme pour sensibiliser les gens.

Est-ce que les gens à Iqaluit savent que tu as un bon following sur TT?

Oui, je reçois toujours des messages de gens d’ici qui disent qu’ils m’ont vue sur TikTok, ça fait vraiment bizarre.

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As-tu été personnellement touchée par cette épidémie de suicides?

Oui. Et pas mal tous ceux que je connais ont été personnellement affectés par des suicides. J’ai perdu des membres de ma famille et des amis chers de cette façon. Ce qui fait que je ressens le besoin constant d’agir pour que les choses changent.

Selon toi, que doit faire le gouvernement du Nunavut pour réduire le taux de suicide sur son territoire?

Il doit agir et mettre en place son plan qui inclut la construction de centres de désintoxication. On a très peu de programmes axés sur les traumatismes et la guérison, mais de plus en plus de bars et de magasins d’alcool ouvrent. Ça contribue aux problèmes d’alcoolisme déjà présents dans les communautés. La consommation peut pousser les gens vers le suicide. C’est aussi lié à la violence familiale en plus de contribuer à hausser le taux d’insécurité alimentaire et de pauvreté dans les communautés.

As-tu l’intention de continuer à prendre la parole sur TikTok pour dénoncer les problématiques dans ta communauté?

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Je ne sais pas encore. Sûrement que oui, plus tard, je parlerai d’autres problèmes, mais pas pour le moment.

Quel message aimerais-tu envoyer aux lecteurs d’URBANIA ?

Les problématiques qui concernent ma communauté sont les mêmes qu’on retrouve au Nunavik et dans les territoires nordiques, et qu’on devrait s’en occuper maintenant.