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The Last of Us, Yellowjackets et Wednesday : les nouvelles héroïnes font la loi

Il était temps.

Par
Oriane Olivier
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Juillet 1998, je vais avoir 6 ans. Lovée sur le canapé entre ma grande sœur et mes parents, les yeux mi-clos, je me laisse bercer par le générique de fin d’un téléfilm. Il est l’heure d’aller au lit. D’ailleurs, ma grande sœur m’a déjà devancée et se traîne en somnolant vers la chambre. Je m’apprête à la suivre quand l’intro d’un autre programme capte mon attention. Entre deux riffs de guitare, une jeune fille blonde envoie des mandales et des carreaux d’arbalète sur des monstres pustuleux. Subjuguée par ce que je vois à l’écran, je supplie ma mère de me laisser veiller. Permission accordée ! Les décors sont en carton pâte et les blagues inaccessibles pour une enfant de mon âge, mais je reste scotchée devant la télé. Cette ambiance hybride de Série B, mêlant lycée américain et genre fantastique, cette héroïne surpuissante, aussi résistante aux coups que vulnérable à la cruauté des ados, et le dévouement du “Scooby-gang” – son groupe d’amis, me fascinent. Cette série, c’est Buffy contre les vampires. Et chaque nouvel épisode deviendra désormais pour moi un rendez-vous familial et un petit évènement.

les héroïnes de mes feuilletons préférés n’ont eu de cesse de me rappeler d’ouvrir ma gueule.

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Depuis, la Bouche des Enfers s’est refermée, la trilogie du samedi s’est arrêtée mais la passion des séries ne m’a plus jamais quittée. Bien avant l’arrivée des plateformes et la multiplication des diffuseurs, j’ai dévoré tout ce que les chaînes françaises proposaient de programmes – le plus souvent importés. Cet univers des séries en expansion permanente, a été une source intarissable d’inspiration pour l’adolescente timide que j’étais. Et il l’est encore pour l’adulte de trente ans que je suis devenue. Car si la littérature ou la découverte du féminisme et de ses figures historiques m’ont appris à porter ma voix, les héroïnes de mes feuilletons préférés n’ont eu de cesse de me rappeler d’ouvrir ma gueule.

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Et – fort heureusement – depuis que la Tueuse de Vampires a pris sa retraite, de nouveaux modèles de personnages féminins ont émergé et font des émules, en témoignent les nombreuses réactions enthousiastes qui ont fait suite à la diffusion du huitième épisode The Last of Us centré autour du personnage d’Ellie. Des protagonistes qui ne puisent plus nécessairement leur puissance dans une mythologie obscure, mais s’affirment également comme des forces de la nature, qui ont moins peur du qu’en-dira-t-on que des monstres qui se dressent devant elle, des menaces qui pèsent sur leurs êtres chers ou de leurs propres démons intérieurs. Petit tour d’horizon de ces nouvelles héroïnes.

DES HÉROÏNES BADASS… ET ULTRA VIOLENTES

Dans l’art et la manière de ne pas se laisser faire, Ellie, de l’adaptation série du jeu vidéo The Last of Us, Wednesday Addams et Arya Stark ont plusieurs points communs : elles sont menues mais costaudes (un petit format qui fait d’ailleurs d’elles des cibles plus difficiles à atteindre), malines, et surtout, elles ne s’excusent jamais d’exister. Car la puissance est parfois moins une question de force pure que d’attitude. Et ces personnages l’ont bien compris. Elles sont indisciplinées, réfractaires à l’autorité, presque toujours insolentes et elles ne font pas de concessions. Du moins, pas dans l’espoir de plaire et de se tirer d’une situation délicate. Ainsi, lorsqu’elles prétendent tomber dans le piège tendu par l’un de leurs prédateurs, c’est systématiquement pour le retourner contre lui dans les secondes qui suivent. Quitte à se mettre en danger. Et ce sont souvent les phalanges ou les globes oculaires de leurs assaillants qui en font les frais.

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(Attention, la vidéo ci-dessous est violente)

Mais le déchaînement de violence que font subir ces personnages à leurs adversaires est surtout un enjeu de taille dans la représentation des protagonistes féminins à l’écran. Car si les portraits de femmes guerrières, sortes de nouvelles amazones aux bras fuselés, n’ont pas manqué au cinéma et à la télé ces dernières décennies (Xena, Ripley, Buffy, Nikita, Jessica Jones) rares sont les fictions à avoir osé mettre en scène des explosions de rage ou des accès de sadisme comme ceux de ces trois héroïnes adolescentes. Cette évolution notable doit d’ailleurs autant aux oeuvres d’origines dont sont tirées ces adaptations et qui faisaient déjà la part belle aux héroïnes sans état d’âme, qu’à la ligne éditoriale de chaînes câblées comme HBO et Showtime qui ne lésinent pas sur les énucléations et les effusions de sang, ou qu’à la déconstruction des normes genrées qui s’est considérablement accélérée à la faveur du mouvement #metoo ces dix dernières années et a soufflé un vent de renouveau dans l’industrie du divertissement.

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Car tandis que les vampires de Buffy tombent en petits tas de poussière, que Xena brise au mieux quelques nuques pour secourir son acolyte Gabrielle et que Ripley fait des oeufs mollets d’aliens à coups de lance-flamme, Ellie massacre son agresseur (un pédophile) avec une feuille de boucher, Arya Stark crève les yeux d’un garde royal (encore un pédophile) avant de lui trancher la gorge, et Wednesday Addams verse des piranhas affamés dans la piscine des brutes qui ont agressé son petit frère. Contrairement à leurs aînées qui usaient de la violence seulement pour se défendre et sauver l’humanité d’un péril imminent, les nouvelles héroïnes peuvent être cruelles, indifférentes à la souffrance, et utiliser la brutalité comme instrument de leur vengeance, sans pour autant qu’on cesse de les aimer.

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Cette soif de revanche qui les anime toutes les trois à différents degrés est, du reste, l’une des multiples modalités d’expression d’un de leurs traits de caractère commun fondamental : leur incapacité à renoncer. Qu’il s’agisse de punir les criminel.les en devenant elles-mêmes tortionnaires ou de rester fidèles jusqu’au bout à leurs valeurs et à leur proches, Ellie, Arya et Wednesday sont des personnages inflexibles, qui ne baissent pas les bras avant d’être parvenues à leurs fins et ne trahissent jamais leur nature profonde.

Une détermination pour le pire, comme lorsqu’elles manquent de se perdre dans leur vendetta personnelle, comme pour le meilleur, lorsqu’elles se refusent par exemple à toute compromission pour survivre ou mener à bien leurs objectifs. Et c’est ainsi que, confrontée à la possibilité d’effacer définitivement son identité pour devenir un assassin surpuissant, Arya choisit de rester une Stark. Ou bien que le personnage d’Ellie continue d’insulter et de défier son ravisseur, alors qu’il l’avertit qu’elle risque de finir découpée en morceaux sur un billot.

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DES HÉROÏNES SINGULIÈRES DANS LEUR APPARENCE ET LEUR CARACTÈRE

Des ados qui ressemblent vraiment à des ados et se promènent en sweat-capuche dans The Last of Us (l’actrice Bella Ramsay qui incarne Ellie a d’ailleurs subi une vague de harcèlement parce que son physique ne correspondait pas à celui du personnage du jeu, mais aussi aux canons de beauté), des gamines au look androgyne et au visage bardé de cicatrices (Arya dans Game of Thrones et Van dans Yellowjackets), des femmes de plus de 40 ans qui ne sont pas là pour être glamours, faire de la figuration ou jouer les mères de famille esseulées (Shauna dans Yellowjackets, Brienne dans Game of Thrones et Mare Sheehan dans Mare of Eastown) : loin des physiques parfaits des héroïnes des deux dernières décennies qui affrontaient le grand banditisme ou les forces du mal avec une peau de bébé, des débardeurs moulants, des pantalons en vinyle et un brushing impeccable (Charmed, Véronica Mars, Sidney Fox, Buffy), les justicières contemporaines ont parfois de la cellulite et des rides creusées. Et c’est tant mieux. D’une part car cette diversité de corps dans le paysage audiovisuel permet lentement mais sûrement de dynamiter les standards sexistes de beauté. D’autre part, car ces protagonistes n’ont plus vocation à être systématiquement sexualisés ou à séduire leur audience autrement que par leur force de caractère et leur comportement face à l’adversité.

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Cette singularité se retrouve aussi dans leurs personnalités. D’abord parce qu’elles peuvent enfin être vulgaires et jurer comme des charretiers (Ellie dans The Last of Us ou Jen dans Extraordinary), ce qui n’entame en rien leur capital sympathie, bien au contraire. Ensuite, car elles peuvent enfin se montrer aussi individualistes que les mecs. Là où leurs aînées faisaient preuve d’abnégation et se dévouaient entièrement à une cause plus grande qu’elles, quitte à en devenir les victimes sacrificielles (c’est bien connu, les femmes sont d’une générosité à toute épreuve), ces personnages n’ont souvent pas beaucoup de compassion pour les inconnu.es et pas d’autre étendard que leur loyauté envers celles et ceux qu’ils aiment. Privées d’aspirations égoïstes durant des décennies dans la fiction et invariablement contraintes à mettre leur puissance au service du bien commun, ces nouvelles héroïnes revendiquent le droit à ne plus être des martyres. A ne vivre et se battre que pour elles-mêmes.

DES HÉROÏNES QUI PRENNENT LEUR DESTIN EN MAIN

Enfin, toutes ces héroïnes ont un dernier dénominateur commun : l’autodétermination. Sur ce point, Buffy contre les Vampires nous avait d’ailleurs déjà gratifiés d’un magnifique épisode final, qui voyait la Tueuse rebattre les cartes de sa destinée. Mais les nouvelles héroïnes lui ont vraisemblablement emboîté le pas et repoussent du pied toutes les petites boîtes dans lesquelles on voudrait les faire rentrer.

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Ainsi, à la fin de Game of Thrones, Arya refuse son destin d’épouse pour répondre à l’appel de l’aventure, quand bien même elle éprouve de l’amour pour son prétendant. Dans Yellowjackets, le personnage de Shauna refuse sa condition de mère au foyer et n’hésite pas à déclarer ouvertement (dans une scène hilarante) qu’elle n’aime pas sa propre fille. Affront suprême lorsqu’on sait combien le regret maternel est encore tabou… Dans The Last of Us, Ellie qui était promise à un grand avenir au sein des factions de la FEDRA, renonce à tout pour suivre sa propre voie. Enfin, dans la série Extraordinary, le personnage de Jen rejette violemment l’idée d’être privé de pouvoirs dans un monde peuplé d’êtres extraordinaires, et se montre prêt à tout pour découvrir le sien.

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Entre réactualisation d’anciens modèles et apparition de nouveaux archétypes hauts en couleur (ados intraitables, mères de famille féroces, trentenaires irrévérencieuses), la représentation des personnages féminins a donc considérablement gagné en nuance et en vigueur ces dernières années. Elle se révèle aujourd’hui beaucoup plus subtile et jubilatoire que par le passé. Elle dépeint des femmes imparfaites, et ose s’emparer de traits de caractère autrefois réservés aux hommes comme la bestialité, l’égoïsme ou la vulgarité. Enfin, elle agrandit le champ des possibles pour l’écriture de fiction et reflète la forte résonance culturelle des mouvements de lutte féministes qui ont cours depuis plusieurs décennies. Des mouvements qui visent à permettre aux femmes de gouverner seules leur existence.

Et puisque de l’imaginaire à la réalité il n’y a parfois qu’un pas : ce n’est pas l’interprète de Wednesday Addams (Jenna Ortega), qui a imposé ses conditions à Netflix et vient tout juste – à seulement 20 ans – de devenir productrice exécutive de la série afin d’avoir un droit de regard sur la trajectoire de son personnage et éviter qu’elle ne se retrouve comme dans la première saison au milieu d’un triangle amoureux lourdingue, qui dira le contraire.

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