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Taylor Swift : minuit moins une pour la surconsommation
« Collectionnez les quatre éditions ! Chaque vinyle inclut 13 chansons, une pochette d’album de collection et une couleur unique de disque parmi quatre […] », est-il inscrit presque comme un mot de bienvenue sur le site web de Taylor Swift, conçu pour s’agencer avec les couleurs et le style de son nouvel album, Midnights.
Si vous comptiez vous procurer le plus récent vinyle de la chanteuse, vous avez l’embarras du choix parmi quatre éditions, qui varient du « vert jade » au « lune rouge ». Et aussi quatre éditions autographiées, qui sont exactement les mêmes produits, mais autographiés. Ah, j’oubliais aussi l’édition spéciale (apparemment encore plus spéciale que les autres) « lavande ».
Vous êtes plus du type CD ? Pas de problème, toutes ces options sont aussi disponibles pour vous. Oui, signées aussi. Oui, même l’édition « lavande ». Et aussi dans la version censurée (clean version) de l’album, disponible en quatre teintes.
Vous n’avez ni lecteur de disque ni table tournante ? Pas de panique ! Sept versions numériques de son album sont trouvables en ligne.
Vous n’avez pas Internet non plus ? C’est chelou, mais c’est ok : Miss Americana vend une cassette pour vous. Mais juste une version, donc j’espère que vous aimez le bleu pierre de lune.
Vert oseille
Aujourd’hui, les éditions physiques des albums sont devenues davantage des objets de collection pour les fans ou une façon d’encourager financièrement un.e artiste qu’une manière efficace d’écouter la musique. Je me ferai peut-être lancer des pierres par les amateur.trice.s de vinyle, mais il faut avouer que c’est généralement plus simple de passer par les plateformes d’écoute en ligne. Moins stylé, peut-être, mais moins cher aussi, du même coup.
Les nostalgiques de You Belong With Me ont certainement reconnu leur chanteuse chouchoute à travers sa volonté de diversifier son offre et de personnaliser son album à sa manière. Elle n’est d’ailleurs pas la seule artiste à vendre différentes versions du même produit musical. C’est une pratique courante chez les groupes K-pop, notamment. Ces derniers se servent de la vente de leurs produits dérivés, dits « de collection », pour faire monter leurs chiffres de popularité : les ventes ont en effet un impact non négligeable sur les palmarès musicaux.
Mais avec plus de vingt formats physiques différents (mais tous un peu pareils, finalement), est-ce que ça va trop loin ? Est-ce que Taylor Swift est devenue une entreprise en soi ? Est-ce que son plus récent album est devenu davantage un prétexte pour faire du profit par le biais d’articles de collection plutôt qu’une façon d’offrir de la musique dans des formats personnalisés à ses fans ?
Parce que bon, impossible de ne pas percevoir un immense coup de marketing à travers les teintes d’acajou, de lavande et de vert jade. L’heure est venue de parler d’argent : je l’ai lu sur mon horloge Midnights.
Oui, l’horloge Midnights, celle aux allures DIY qu’on construit en rassemblant les quatre vinyles de la collection originale, qui sont tous numérotés pour former un cercle de 1 à 12 lorsqu’on les colle, ainsi qu’en y apposant un dispositif d’aiguilles (vendu séparément, bien sûr), pour une centaine d’euros, plus taxes et livraison.
Ils ont raison quand ils disent que le temps, c’est de l’argent. Une horloge pour Midnights, idée de génie ou symptôme d’un opportunisme à peine voilé ?
Les Swifties sont des collectionneur.euse.s, aucun doute là-dessus. Plusieurs des éléments listés plus haut sont déjà en rupture de stock sur la boutique en ligne de Taylor Swift. Est-ce qu’on peut reprocher à la chanteuse au pouvoir d’influence indéniable d’offrir tous ces produits (assez dispendieux, il faut le mentionner) à ses fans, pour la plupart jeunes et impressionnables ? Elle sait qu’ultimement, elle y gagne gros. Et si les fans sont heureux.ses… C’est gagnant-gagnant pour tout le monde… non ?
Vert planète, pas vraiment
Paru le 21 octobre dernier à minuit, l’album est rapidement devenu le plus vendu de 2022, avec plus d’un million de copies écoulées. Impressionnant, mais pas nécessairement surprenant : Taylor Swift brise les records comme elle brise les efforts collectifs pour sauver la planète.
Et encourager la surconsommation, c’est nuisible pour l’environnement, on est tou.te.s d’accord là-dessus.
L’industrie du vinyle s’avère aussi polluante. L’énergie et les produits chimiques impliqués dans la production d’un disque ne sont pas de la musique aux oreilles du climat en pleine crise : le vinyle représente 12 fois l’empreinte environnementale des autres formats physiques de musique. Puisqu’un disque vinyle est très durable, ce n’est pas un crime de l’acheter si on sait qu’on en fera bon usage. Mais une série du même album « à collectionner »… En avons-nous vraiment besoin ?
Même si les plateformes en ligne de diffusion de musique en continu ne sont pas toutes roses (ou plutôt, toutes vertes) non plus, c’est peut-être pousser un peu trop fort que de faire de la publicité pour une collection complète de vinyle.
Moi, je vais rester avec Spotify pour l’instant. Et j’y écouterai Midnights, parce que oui, au final, c’est un excellent album.