« Il n’existe pas de prison où il n’est porté atteinte à aucun droit », dénonce ce jeudi 11 mai 2023 Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), dans son rapport annuel.
Alors que 125 détenus se sont donnés la mort dans les geôles françaises en 2022 (un record), le décès reste un sujet tabou dans le milieu carcéral. Et il arrive que certaines familles pointent du doigt le manque de transparence.
Vincent* connaît son code de déontologie sur le bout des doigts. D’un trait, le surveillant de prison récite l’article 16 : « Le personnel de l’administration pénitentiaire prend, dans le cadre de sa mission, toute mesure tendant à la sauvegarde de la vie et de la santé des personnes qui lui sont confiées. » Dès ses premiers mois de stage, le gardien de prison rennais doit gérer une tentative de suicide. « Un détenu avait avalé des lames de rasoir, c’était ma première journée seul sur la coursive», se souvient-il. En milieu carcéral, la surmortalité est six fois plus importante qu’en population générale, rapporte l’Observatoire international des prisons.
« Un décès en prison est toujours par définition suspect, c’est pour cela qu’une enquête judiciaire est automatiquement lancée», indique Sébastien Nicolas, secrétaire général du syndicat FO des directeurs pénitentiaires. S’il existe des doutes sur les causes de la mort, une autopsie peut être réalisée. Autre point important ; le code de procédure pénale impose aux directions des prisons de prévenir sans délai la famille en cas de décès.
Des familles témoignent d’un manque de transparence
Alors quand le protocole n’est pas respecté, les proches s’interrogent. Comme dans le cas de Taoufik Belrhitri, mort le 18 octobre dernier au centre pénitentiaire de Perpignan. Sa famille doit attendre trois semaines avant d’être prévenue par l’état civil de la mairie. « L’administration avait dit à la famille qu’elle pouvait continuer à envoyer des mandats alors qu’il était déjà mort », s’indigne Nasser, proche de la famille du détenu décédé. Des incohérences qui encouragent un climat de suspicion. Selon l’administration, Taoufik s’est étouffé avec un morceau de viande, mais Nasser ne croit pas en cette version », s’agace-t-il.
Après des mois d’attente, la famille du prisonnier âgé de 40 ans a été reçue par le Procureur de la République. Ce dernier a reconnu des dysfonctionnements et s’est engagé à suivre le dossier. Début mai, l’autopsie était en cours « mais ça traîne, ils ne sont pas pressés », déplore Nasser. Ce ne sont pas les premiers à se plaindre d’un manque de transparence au sein de l’administration pénitentiaire. Lorsqu’ils constatent un manquement, les proches peuvent saisir la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté – chargée de vérifier le respect des libertés individuelles dans les lieux de détentions. « On nous remonte tout ce qui ne va pas », commente Dominique Simonnot, à la tête de cet organe indépendant.
En prison, le silence est d’or
Cette ancienne journaliste se souvient de quelques courriers où les familles affirment ne pas avoir été informées de la mort ou de l’état de santé de leur proche détenu. « Une femme appelle quarante fois la prison pour obtenir des nouvelles de son mari incarcéré. Elle apprend qu’il est transféré à l’hôpital. On lui dit de s’adresser au SPIP – service pénitentiaire d’insertion et de probation – qui ne lui a jamais répondu. Finalement, on lui apprend que son mari se trouve en phase terminale et qu’on la tient au courant. Il est mort seul », raconte Dominique Simonnot.
Si la communication est brouillée avec l’extérieur, l’omerta règne aussi à l’intérieur. Aucune annonce officielle n’est faite aux détenus quand un prisonnier meurt. « Il existe une volonté de ne pas communiquer sur ce sujet. L’administration pénitentiaire ne veut pas être responsable d’autant de misère », répond Kozam, sorti de prison en 2016. Il est incarcéré à Fleury-Mérogis – la plus grande prison d’Europe. « Plus la maison d’arrêt est grande, plus on se sent seul et on a donc plus de chances de passer à l’acte », témoigne celui qui a passé huit mois en détention provisoire avant d’être blanchi. Un laps de temps suffisant pour connaître quatre décès.
« Quand une personne détenue meurt, il n’y a pas de minute de silence. On n’en parle pas. Par contre, quand un surveillant décède, on vient nous demander d’organiser une quête », peste Karim, emprisonné de ses 18 à 25 ans. La mort, cet ancien braqueur l’a vue de près à la maison d’arrêt de Rouen, en 1996 : « J’ai moi-même décroché un pendu, dans une cellule adjacente à la mienne. Lorsque je préviens un surveillant, il panique et repart aussitôt. C’est moi qui me retrouve à porter assistance au détenu », cingle le quadragénaire.
« Une virilité mal placée et exacerbée »
Alors que le suicide s’inscrit comme la première cause de mortalité en prison, le personnel pénitentiaire est formé sur cette question sensible. Mais encore faut-il avoir les nerfs solides. « Il y a ceux qui vont réussir à porter secours à un détenu, mais d’autres vont être tétanisés », admet Wilfried Fonck, secrétaire national Ufap-Unsa-Pénitentiaire. Cet homme qui a passé 20 ans dans le milieu carcéral, l’affirme : « Le suicide est vécu comme un échec pour l’institution et pour certains agents qui le prennent personnellement.» Mais dans le milieu carcéral, pas question de s’attarder sur ses failles. Bomber le torse et faire comme si rien ne s’était passé semble être la règle lorsqu’un détenu meurt. « C’est un métier où il existe une virilité mal placée et exacerbée », dépeint le commandant pénitentiaire.
Lorsqu’un surveillant découvre le corps sans vie d’un détenu, il peut se rendre chez le psychologue du personnel. Un dispositif qui n’existait pas lorsque Patrick Merly officiait comme surveillant, en 1988. À l’époque, le jeune homme travaille à la maison centrale de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), où sont incarcérés des détenus condamnés à de longues peines. « Un jour, je dois retirer la télévision dans la cellule d’un détenu. Il n’a pas payé. Il me supplie de la lui laisser, mais je ne flanche pas. Quelques heures plus tard, il s’était ouvert les veines », déroule-t-il, comme s’il avait rejoué la scène plusieurs fois dans sa tête. Si Patrick Merly a obéi aux ordres, difficile pour lui de se défaire de la culpabilité.
Un sentiment parfois partagé par Roch-Etienne Noto, ancien médecin carcéral. « Souvent, les détenus qui prévoient de se suicider échappent au radar. Le matin, on peut voir une personne rayonnante et le soir on la retrouve pendue », a-t-il constaté à plusieurs reprises. Et puis, Roch-Etienne Noto mentionne le climat mortifère lié au milieu carcéral – dont le modèle n’est pas assez remis en question : « L’organisation de la prison crée des pathologies et des pulsions de morts. » Après le décès d’un détenu en 2006, il décide de créer le « Collectif des morts en prison » pour leur rendre un dernier hommage. « Ce n’était plus possible que des jeunes meurent dans l’indifférence quasi générale. »
* Son prénom a été modifié