Sur sa page Instagram @Graines_de_footballeuses, dédiée à la pratique du football féminin, Pauline Le Mouellic, 26 ans, comptabilise un peu plus de 5 500 abonné·es. Sa cible : les jeunes joueuses, celles qui doutent encore aux plus convaincues par un sport qui demeure majoritairement masculin. Elle-même a été, enfant, footballeuse avant d’être contrainte de raccrocher les crampons à l’âge de 13 ans, faute de section féminine accessible : « Pour moi, le foot avec les filles, ça n’existait pas, et le club le plus proche était trop loin de chez moi. » Elle lance son compte en mars 2020, avec une idée derrière la tête : briser ce cercle vicieux qui conduit les jeunes filles à croire que seuls les hommes peuvent fouler le terrain vert.
Rapidement, les abonné·es affluent, attiré·es par les interviews de joueuses pro, photos de sections féminines, lives animés par sa créatrice. « Un réel engouement » : Pauline reçoit des dizaines de messages de filles qui aiment le football mais peinent à trouver des espaces où le raconter. Le football féminin existe bel et bien, et c’est un soulagement.
Je suis tombée sur le compte de Pauline un peu par hasard – je cherchais à suivre l’actualité du football féminin – et j’ai découvert tout un monde. Car des comptes comme celui de Graines de footballeuses, devenues une association se déployant hors-ligne, il en existe des tas sur Instagram. De ceux qui rassemblent une large communauté, comme les Hijabeuses et leurs près de 30 000 abonné·es, aux moins connus mais tout aussi efficaces pour fédérer des joueuses isolées, aux parcours chahutés par la lente et complexe féminisation des clubs. Sur Instagram déferlent des photos de ces joueuses, crampons aux pieds et maillots colorés, résolues à démonter l’image stéréotypique et largement médiatisée du joueur masculin.
Instagram, terrain de visibilité
Pour échanger, faire évoluer les représentations, s’informer… Internet serait-il devenu un espace nécessaire à la mise en visibilité du football féminin ? C’est en tout cas l’analyse de Marie-Stéphanie Abouna, maître de conférences en sociologie à l’ILEPS (l’Ecole supérieure des métiers du sport et de l’enseignement), pour qui les réseaux sociaux représentent une « aubaine » pour les joueuses. Alors que les médias traditionnels s’intéressent encore très peu au football féminin, les clubs et associations, à tous niveaux, trouvent refuge sur les réseaux où les joueuses promeuvent elles-mêmes leur pratique. Selon la sociologue, ces espaces de médiatisation ont des effets sur le recrutement de nouvelles venues.
Car l’évolution est lente, même si le nombre de licenciées à la FFF a plus que doublé depuis les années 2010. « Il y a dix ans, tout le monde se cachait… peu de filles affichaient qu’elles aimaient le foot », confie Fatima Rouina, fondatrice d’une association, les Cacahuètes Sluts, qui officie à Paris depuis 2012. Aujourd’hui, pour cette « équipe de football alternative, créative et inclusive », Instagram est devenu un terrain de jeu à part entière, l’étendard d’un foot politique en non mixité. Maillots floqués du nom de l’équipe, collaboration avec des artistes et photographies léchées des entraînements… c’est toute une culture footballistique qui se déploie en ligne : « L’idée, c’est de dire qu’on existe et que nous aussi on s’approprie cette culture. Nous aussi on a un goût, un style, et on va s’imposer. » Pour le Drama Queer FC, équipe transféministe implantée à Marseille depuis deux ans, une écharpe violette et verte qu’iels ont confectionnée s’est mutée en symbole, portée et repartagée à l’envi sur le réseau. « Un objet qui relie, important pour la visibilité, à Marseille comme à Paris », d’après Matis, membre de l’équipe.
Pour les clubs, c’est un moyen d’attirer de nouvelles recrues mais aussi de représenter de nouvelles figures de footballeuses, parfois très jeunes. Les GDF accueillent ainsi, une fois par semaine, les « babies », âgées de 3 à 6 ans – un enjeu de taille pour Pauline qui assimile cette non-mixité à un sas, un moyen d’être plus à l’aise dans les espaces mixtes comme la cour de récré.
Un foot queer, féministe et non-mixte
Autogérées, ces associations circulent en dehors des réseaux de la FFF. Les équipes de football « alternatif », comme le qualifie Fatima, offrent un espace où l’enjeu sportif est volontiers dépassé par des problématiques politiques. Alors que ces équipes se comptaient sur les doigts de la main lors de la création des Cacahuètes, sa fondatrice estime qu’on peut en répertorier aujourd’hui plus d’une quarantaine rien qu’en région parisienne. Elles ont essaimé au-delà, un peu partout en France. Et se rencontrent, organisent des tournois où elles s’affrontent, discutent en ligne, repartagent les stories des unes et des autres – une manière d’alimenter ce tissu associatif féministe.
Pour Matis Esbri du Drama Queer, « le football est plutôt un prétexte ». L’enjeu réside autre part, dans la mise en visibilité de la communauté queer et transféministe. En non-mixité choisie, ses membres se retrouvent pour des activités militantes qui dépassent le strict cadre du football. Fatima le confirme : « Le foot est au centre mais il y a d’autres enjeux ». Car en tant que femme ou minorité de genre, « il y a un enjeu social et politique à aller sur un terrain de foot ». Et si toutes les équipes ne fonctionnent pas pareil, la question des discriminations occupe une place centrale, comme pour les Graines de footballeuses qui visent l’émancipation par le football.
Si sur Internet ces comptes prolifèrent, et qu’ils trouvent aussi une résonance hors ligne, Marie-Stéphanie Abouna rappelle cependant que le football féminin reste une niche. Surtout, quantité ne rime pas avec qualité pour la créatrice des Cacahuètes, qui souligne qu’il « reste encore beaucoup à faire en termes d’égalité ».