Je l’avoue, il m’est parfois arrivé de trouver des enfants vaniteux, bêtes, violents et impolis. Par contre, je dois me rendre à l’évidence : quand ces enfants me font rouler des yeux, je finis souvent par juger un peu leurs parents. Parce qu’au fond, ce ne sont que des enfants; leur comportement a encore le temps de changer.
Sauf que la (non) réaction de mes amis parents face à certains comportements déplacés, c’est confrontant.
« On pourrait appeler ça le “choc des valeurs” », explique Jasmine Gaudet-Boulay, neuropsychologue, psychothérapeute et enseignante à l’UQTR. Selon elle, notre système de valeurs personnel nous pousse à faire certains choix et à agir en conséquence; et les enfants sont souvent le reflet des valeurs prônées par leurs parents. « Avant que nos amis aient des enfants, nous ne sommes confrontés qu’à une partie de leurs valeurs, affirme la neuropsychologue. Le fait d’ajouter les enfants dans l’équation nous met en contact avec leurs ”valeurs éducatives”, les fameuses valeurs fondamentales qu’on veut absolument inculquer à nos enfants, parce qu’on est convaincu qu’elles sont essentielles à leur bien-être. »
« Je m’efforce de ne pas juger, mais c’est certain que quand je vois des patterns, par exemple l’enfant qui répète toujours le même comportement et la mère qui cède à chaque fois au lieu de demeurer ferme pour qu’il change, c’est tentant de lui conseiller gentiment qu’elle devrait changer de méthode… » – Joanne* (*nom fictif)
Est-ce qu’on a le droit d’haïr les enfants de nos amis, ou les amis de nos enfants ? Peut-on remettre une petite fille condescendante de 5 ans à sa place ? Pourquoi certains parents ne remarquent-ils pas les comportements déplacés de leur progéniture et laissent-ils tout passer ? Doit-on ravaler notre frustration ou crever l’abcès, au risque de perdre des amitiés ?
Essentiel, le partage des valeurs ?
Quand des amis de longue date, avec qui on partage des affinités, se mettent à agir à l’encontre de nos valeurs lorsqu’ils deviennent parents, cela crée un inconfort, une dissonance. On remet notre perception de l’autre en question. Surtout quand on juge que leurs comportements ont un effet direct sur les actions de leurs enfants. « L’objectif n’est pourtant pas d’avoir des amis qui partagent la même liste de valeurs que nous. C’est impossible, s’exclame la psychothérapeute. Il faut plutôt considérer les valeurs essentielles, nos impondérables, et lâcher prise pour le reste. »
Et même lorsqu’ils sont « bien élevés », les enfants ne peuvent pas se comporter comme des adultes. « Il est tout à fait possible que l’enfant qui nous fait réagir ne soit tout simplement pas encore capable d’intégrer les valeurs qui lui sont enseignées au quotidien », ajoute Jasmine Gaudet-Boulet.
« Des fois, je n’aime pas trop la fille d’une amie, parce qu’elle se prend pour le nombril du monde. Elle se sent supérieure et elle est méchante de façon très insidieuse avec ma fille, qui est plutôt impulsive. » –Maryse** (**nom fictif).
Les fantômes du passé
Lorsqu’un enfant déclenche en nous des émotions négatives, nos expériences du passé peuvent influencer notre perception. Notre premier réflexe pourrait être de nous éloigner de l’enfant, ou de le confronter davantage, lorsqu’il touche directement à une corde sensible. Si j’ai vécu de l’intimidation dans ma jeunesse, je risque d’être moins tolérante avec les enfants qui font subir le même sort à ma fille.
Si vous êtes de ces parents qui ont peur que les mauvais comportements des autres « contaminent » vos enfants, vous n’êtes pas seuls. Sauf que les « mauvaises influences » ne sont pas que négatives.
« On a souvent peur que notre enfant “change” au contact des autres. Ça parle de notre désir de contrôle sur la personnalité de l’enfant, et aussi d’une peur face à l’inconnu, précise la neuropsychologue. Heureusement, être en contact avec différentes influences, c’est souvent très positif. » Il faudrait donc plutôt en profiter pour amorcer des discussions et approfondir des réflexions avec notre enfant.
« Je trouvais les enfants impolis. Ça m’a fait débuzzer quand je leur ai donné des cadeaux à Noël et qu’ils ne m’ont même pas remerciée. Après l’avoir mentionné à leur mère, elle m’a dit que les Fêtes, ce n’était pas un moment pour éduquer les enfants, mais pour célébrer. » – Annie*** (***nom fictif)
En parler ou se taire à jamais
Doit-on partager notre malaise aux parents de l’enfant qui nous importune, ou devrait-on plutôt se taire ? Selon Jasmine Gaudet-Boulay, ça dépend du type de relation qu’on entretient avec les parents en question. « Parler d’éducation est souvent un terrain glissant, et les gens se sentent facilement jugés, remarque l’enseignante. Si l’on estime beaucoup une relation, et qu’on sent que l’autre n’est pas réceptif, on a tout avantage à prendre du recul. » Et si notre besoin est de convaincre l’autre que notre façon de penser est la meilleure, un petit travail personnel est à faire pour améliorer notre acceptation de la différence de l’autre.
Toutefois, si le comportement de l’enfant se répète sans cesse et affecte directement une personne, par exemple s’il casse constamment des objets quand il vous rend visite, il peut être pertinent d’amorcer une discussion avec le parent. « Assurez-vous d’orienter la discussion vers l’expression bienveillante de vos besoins et vos limites en restant ouvert aux solutions proposées, propose la psychothérapeute. Lorsque ces discussions difficiles sont réussies, cela permet souvent de souder encore plus les amitiés. »
« Il est déjà arrivé qu’un enfant d’amis ait été assez déplaisant avec mes enfants. À ce moment-là, ma meuf et moi, on en a parlé ensemble à nos amis parents. Ils étaient heureux qu’on leur en parle. Mais on était stressés, parce qu’on trouvait ça bien délicat ! » – Julien* (*nom fictif)
La pomme PEUT tomber loin de l’arbre
Ce n’est pas parce que certains enfants nous exaspèrent plus que d’autres qu’il faut absolument couper les ponts avec leurs parents, surtout si ce sont de vieux amis. Selon la neuropsychologue, la personnalité des jeunes est le résultat d’influences biologiques et environnementales diverses. Certains enfants naissent avec un tempérament bien différent de celui de leurs parents. Et d’autres, en grandissant, vont faire exprès pour aller à l’encontre de certaines attitudes parentales. « Les parents sont évidemment une influence majeure, explique l’enseignante, mais ils ne peuvent pas à eux seuls rendre compte de la complexité du développement de la personnalité. »
Mieux vaut nuancer nos perceptions et tenter de comprendre la source de notre jugement. « Parfois, on est mal à l’aise parce que l’idée qu’un autre style de parentalité puisse “fonctionner” nous force à nous remettre en question, soutient Jasmine Gaudet-Boulay. Ça alimente le petit doute à l’intérieur de nous, celui du parent qui veut à tout prix être parfait et qui se dit : si ce qu’il fait fonctionne bien, alors ça veut dire que moi, ce que je fais est mal! »
Une chose est sûre, aucun parent n’est parfait. Alors, avant de vous développer une tendinite aux paupières à force de rouler des yeux devant les mioches de vos amis, ça peut valoir la peine de mettre un peu d’eau dans son vin, ou son virgin margarita, si vous suivez le trend « un an sans alcool ».