Logo

Succession saison 3, ou l’art d’être invincible

Et à la fin, c'est (toujours) Logan qui gagne.

Par
Malia Kounkou
Publicité

Clap de fin pour la saison 3 de Succession. Ou devrais-je dire « claque » ? Car c’est bel et bien groggy que ce dernier épisode nous a laissés.

Pourtant, la fin grandiose d’avant-hier n’était pas courue d’avance. De nombreux fans ont effectivement trouvé que cette troisième saison peinait à trouver son tempo, tirant tantôt en longueur pour soudain mettre un coup d’accélérateur et perdre en cours de route ses téléspectateurs et téléspectatrices.

Une montagne insurmontable devenait un simple dos d’âne d’un épisode à l’autre, le tout emballé dans des explications vagues, et les subplots semblaient se multiplier sans réel fil rouge pour les relier entre eux. L’arrivée du dernier épisode était donc vécue comme une parole d’homme politique : on sait tous et toutes qu’elle va nous décevoir, mais on attend quand même de l’entendre.

Et en moins d’une heure de final, la série nous a rappelé qu’à l’image de Logan Roy, elle détiendrait toujours le dernier mot.

Publicité

Logan gagne toujours (surtout quand il perd)

Chose étonnante, d’ailleurs, car il ne passe pas une seule saison sans qu’on ne pronostique la mort (et pas que symbolique) de ce personnage. La série en elle-même s’ouvre sur sa soudaine crise cardiaque en plein hélicoptère — dont il se remet. S’ensuivent de multiples tentatives de coups d’État de son propre fils pour le déloger à la tête de Waystar Royco — dont il triomphe.

Qu’importe la moralité du procédé : s’il produit du résultat, Logan l’emploiera.

Vient la finale de la saison 2 durant laquelle l’aîné (oups, le cadet, pardon Connor) des Roy proclame la fin du règne de Logan devant toutes les caméras d’Amérique — mais ce règne continue. Et même lorsqu’il semble prêt à s’éteindre, l’entreprise familiale forcée au rachat, son fondateur trouve toujours une porte de sortie sur-mesure par laquelle se faufiler.

Publicité

Pourquoi ? Parce que Logan, même lorsqu’il perd, gagne. Que ce soit en gardant le numéro du président en speed dial, en sabotant le droit de véto de sa progéniture sur l’héritage qui lui revient, en montant insidieusement ses enfants les uns contre les autres ou en prêchant le faux pour connaître la vérité. Qu’importe la moralité du procédé : s’il produit du résultat, Logan l’emploiera. Étrange qu’en trois saisons — ou une quarantaine d’années, c’est selon — ni Kendall, ni Roman, ni Shiv Roy ne l’ait encore intégré.

Tom, ou l’art de la traîtrise

Tom Wambsgans, lui, l’a parfaitement compris. C’est pourquoi, lorsqu’un Kendall ostracisé de sa famille tentera de rallier le mari de Shiv à son camp, ce dernier répondra d’un ton presque peiné ne l’avoir jamais vu gagner. Ni seul, ni entouré de Roman et Shiv, ni accompagné des deux rivaux de Waystar, ni en dénonçant directement son père aux médias. Logan, en revanche, n’a essuyé absolument aucun échec.

« Tu sais ce qu’ils sont même en train de faire dans la suite [d’hôtel]? Ils choisissent le prochain président », assènera Tom en retournant dans cette même suite luxueuse où les prétendants à la Maison Blanche défilent. Planté devant le fast-food anonyme de leur point de rendez-vous, Kendall le regardera piteusement partir.

Pourquoi donc continuer à se pâmer devant des yeux qui ne vous regardent jamais ?

Publicité

Tom sait, et le réaliser permet de poser un regard plus éclairé sur le déroulé de cette saison. Lorsque, durant l’épisode deux, les enfants Roy se réuniront en secret chez Kendall et que Logan parviendra malgré tout à leur faire parvenir une boîte de donuts (empoisonnés ou non, la question demeure), comment en aura-t-il vent? Par Tom, que Shiv avait mis au courant en le pensant capable de garder ce secret. Et lorsqu’elle l’informera du projet fraternel de renverser son père une bonne fois pour toutes au cours de l’épisode final, qui la court-circuitera en alertant aussitôt Logan ? Tom Snitch-gans, bien entendu. Shiv n’aurait pas fini ses haricots verts à midi qu’il lui en ferait le rapport.

La revanche du punching-ball

La question du pourquoi se pose et j’y vois pour ma part deux réponses.

La première est évidente : Shiv ne l’aime pas. L’entendre de sa propre bouche durant cette saison — dirty talk ou non — est la cristallisation logique de nombreuses scènes où Tom semblait être au mieux une arrière-pensée, au pire, un poids. « Et moi ? », s’inquiète-t-il souvent lorsque sa femme lui fait part de ses rêves de PDG, l’effaçant complètement du tableau. Pas même la perspective qu’il aille en prison pour les péchés de son père ne semble provoquer en elle une quelconque émotion. Pourquoi donc continuer à se pâmer devant des yeux qui ne vous regardent jamais ?

La seconde réponse est plus cynique.

Tom répètera un dernier : « Et moi ? », comme pour enterrer le dernier espoir que sa femme le considère un jour comme un premier choix.

Publicité

Personne, dans Succession, ne navigue sans un agenda personnel surpassant les liens d’affect. « En quoi est-ce que cela sert mes intérêts ? », murmurera ainsi Gerri Kellman à son protégé, Roman, lorsque ce dernier la suppliera d’annuler le rachat de Waystar Royco. Cette même question motivera Tom à demander Shiv en mariage dans l’hôpital même où son père se remettra de sa crise cardiaque, anticipant déjà qu’elle le succède. Et, lorsqu’au cours de cette dernière saison, il offrira à Logan d’être incarcéré à sa place, ce ne sera pas non plus par altruisme. « Je m’en souviendrai », glissera même le patriarche Roy, comprenant bien toute l’implication derrière ce cadeau.

Le TUEUR sacrificiel

Pour comprendre toute l’implication de cet épisode final, il faut revenir à celui déjà explosif de la saison deux. Logan, encore en position de faiblesse, recherche dans son entourage un « sacrifice de sang » à offrir à la presse et à la justice pour calmer les scandales entourant Waystar. Parallèlement, il recherche une personne à la mentalité de « tueur » qui serait capable de lui succéder.

Publicité

Nombreux ont vu en Kendall ces deux qualités — et l’ironie voudra même qu’il tue quelqu’un pour de vrai. Peu ont cependant pris en compte ce léger détail : s’autosaboter est chez cet homme un don. Quant à Shiv, un soupçon d’arrogance en moins et un poil d’expérience en plus aurait pu faire d’elle une candidate idéale. Roman ? Trop occupé à taper « comment ne pas accidentellement envoyer de dick pic à mon père » sur Google — de loin la scène la plus dou-lou-reu-se de la série entière.

Entre alors Tom, punching-ball mari dévoué de Shiv et soldat loyal de l’empire Waystar pour lequel il se propose en agneau sacrificiel. Lorsque Shiv l’informera de ses projets de renverser Logan pour régner avec sa fratrie, Tom répètera un dernier : « Et moi ? », comme pour enterrer le dernier espoir que sa femme le considère un jour comme un premier choix. Cet espoir enfin éteint, il préviendra sans remords son beau-père pour que soit ôté aux enfants Roy tout levier capable de nuire au rachat de Waystar.

Publicité

Et cette main sur l’épaule de la part de Logan en toute fin d’épisode, Shiv en arrière-fond observant le geste puis comprenant lentement sa signification. Grandiose. Juste comme ça, le statut « tueur » de Tom est officialisé.

Saut dans le vide

Nous attendons souvent de Succession un scénario Marvel-esque où les gentils triomphent sur Le Grand Méchant Loup. Les enfants Roy, eux-mêmes, se pensent être du camp de ces gentils et se présentent souvent comme moralement supérieurs à leur père, moins rigides. Dans la saison deux, Shiv comparait même le fait de prendre sa relève à un « bon vieux massacre des dinosaures ».

Logan gagne en n’ayant aucune certitude à propos de quoi ou de qui que ce soit, son propre sang y compris.

Et puis, patatras : la compagnie dont ils se disputent la succession n’est soudainement plus la leur, les dépouillant de la pile d’argent qui leur revient de naissance. « Faites votre propre putain de pile », leur lancera leur père, les incitant d’une manière 100% Logan Roy à l’indépendance. La terreur de l’inconnu sera cependant lisible sur leurs visages, car, qu’il pleuve ou vente, Waystar demeurait autant pour eux une certitude que le bleu du ciel. Leur héritage ôté, ils incarnent chacun ce fameux dinosaure qui refuse tout changement.

Publicité

Logan gagne en n’ayant aucune certitude à propos de quoi ou de qui que ce soit, son propre sang y compris. Cela lui permet de se mouvoir là où ses enfants refuseraient le compromis, de s’amputer d’un membre qu’ils auraient préféré garder par confort, d’anticiper un coup bas avant qu’il ne survienne et de retomber continuellement sur ses pieds.

Qu’importe l’obstacle, il gagne toujours. Seuls ses enfants l’oublient.