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Station Eleven : une post-apocalypse contemplative
Ceci n’est pas une série sur la pandémie.
Pourtant, tous les éléments de Station Eleven s’y prêtent : la prémisse (un virus mortel signant la fin du monde en un temps record), le contexte (l’actuelle apocalypse sponsorisée par la COVID) ou encore les réactions (voir l’un des héros dépenser plus de 9000 $ de courses ravive quelques souvenirs familiers).
Aussi insolite que cela puisse paraître, toutefois, cette mini-série de science-fiction a non seulement été commandée par HBO Max en juin 2019, mais se trouve aussi être une adaptation d’un best-seller éponyme publié en 2014 par l’écrivaine canadienne Emily St. John Mandel.
LORSQU’UNE CIVILISATION TOUT ENTIÈRE S’EFFONDRE, QUEL LIEN PERMETTRA DE RENOUER LE CONTACT ENTRE CHAQUE ÊTRE HUMAIN?
Macabre coïncidence ou coup de génie? Nul ne sait. Mais ce n’est toujours pas une série sur la pandémie.
Certes, l’histoire parsemée de sauts dans le passé comme dans le futur suit l’évolution de différents groupes de survivant.e.s à la manière de Lost, The Walking Dead ou, pour rester dans la famille HBO, du tout récent Yellowjackets. Mais au cœur de cette course contre la mort se dessine la problématique si propre à Station Eleven : lorsqu’une civilisation tout entière s’effondre, quel lien permettra de renouer le contact entre chaque être humain?
L’ART COMME REMÈDE
À cette question, Station Eleven nous donne l’art comme seule et unique réponse. Du premier épisode à celui final, ce concept omniprésent est une bouée de sauvetage qui garde la tête des personnages hors de l’eau.
Ainsi, plusieurs années après la pandémie, le pic de la célébrité est à présent incarné par une troupe de théâtre appelée « La Symphonie Itinérante », dont les passages de ville en ville sont fortement attendus. Cette troupe regroupe musicien.ne.s, compositeur.trice.s, comédien.ne.s et, parmi ces derniers, la jeune Kirsten autour de qui une majeure partie de l’histoire s’articule.
KRISTEN TROMPE SES INSTANTS DE SOLITUDE AVEC LE SEUL MÉDIA QUI NE NÉCESSITE NI ÉLECTRICITÉ NI PILE OU AUTRE ÉNERGIE DÉSORMAIS OBSOLÈTE : SA BANDE DESSINÉE STATION ELEVEN.
Actrice de profession, elle n’a que huit ans lorsque la pandémie ravage Chicago puis le monde entier le soir même d’une représentation du Roi Lear, célèbre tragédie de Shakespeare. La retrouver plusieurs années plus tard épanouie au sein de cette communauté d’artistes nomades — sa « famille » comme elle la surnomme à de multiples occasions — tombe donc sous le sens.
Avant cela, cette famille n’était composée que de Jeevan, un journaliste culturel qui, en la raccompagnant chez elle après sa représentation du Roi Lear, leur sauvera tous deux indirectement la vie. À ses côtés, Kristen trompe ses instants de solitude avec le seul média qui ne nécessite ni électricité ni pile ou autre énergie désormais obsolète : sa bande dessinée Station Eleven. Écrite par une certaine Miranda Carroll, cette oeuvre suit le périple d’un astronaute, Dr. Eleven, qu’une invasion extra-terrestre poussera à l’exil dans l’espace. La proximité de ce scénario avec la situation que vit Kristen la réconforte au point de relire l’histoire jusqu’à en mémoriser par cœur ses dialogues.
Bien plus tard, elle réentend l’une de ces répliques de la bouche d’un mystérieux étranger venu à la rencontre de la Symphonie Itinérante. « Pour les monstres, nous sommes les monstres », paraphrase-t-il Dr. Eleven, et instantanément, Kirsten a la puce à l’oreille. Que leur veut exactement cet inconnu?
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UN TEMPS DE PAUSE DANS L’ACTION
C’est autour de cette arrivée que s’articule l’intrigue principale de Station Eleven. Dans un contexte post-apocalyptique où l’expression « chacun pour sa peau » est une réalité, les étrangers sont d’emblée perçus comme une menace. Mais si la Symphonie Itinérante adopte rapidement celui-ci, ne détectant aucun danger en lui, Kirsten éprouve dès le départ un très mauvais pressentiment. L’étrange série de péripéties qui s’ensuit — disparitions, conspirations, meurtres, brainwashing — ne fera que confirmer ses suspicions.
IL Y A PRESQUE UN DÉCALAGE ENTRE LA FRÉNÉSIE QUE L’ON ATTEND D’UNE SÉRIE POST-APOCALYPTIQUE ET L’EXÉCUTION SANS GRANDE FANFARE DE CETTE ACTION PAR LES PERSONNAGES.
Mais si le mystère s’épaissit, la mise en scène, elle, garde la particularité d’être toujours très aérée et contemplative. Même la musique accompagnant les scènes d’action reste dans le registre du classique, violons et pianos suivant Kirsten tandis qu’elle se bat (et gagne!) à l’épée contre une dizaine d’assaillants.
Il y a presque un décalage entre la frénésie que l’on attend d’une série post-apocalyptique et l’exécution sans grande fanfare de cette action par les personnages. Certain.e.s pourront même trouver le temps long, et j’admets m’être fréquemment demandé dans quelle direction exactement se dirigeait la trame. Jusqu’à ce que je réalise enfin la visée première de Station Eleven.
CECI N’EST PAS UNE SÉRIE SUR LA PANDÉMIE…
…et ceci n’est pas non plus une série sur l’apocalypse où l’action prédomine sur celui ou celle qui l’accomplit comme il est souvent coutume dans les shows de ce type. Ici, l’humain est au centre et tout part de lui. Avec Station Eleven, on s’attarde sur sa psyché tandis que s’enchaînent autour de lui d’irréversibles catastrophes — morts, séparations, famine, solitude — et on se demande : comment parvient-il à se relever et avancer malgré tout?
AU MILIEU DE CELA, IL Y A SURTOUT L’ART.
Voir les choses à échelle humaine, c’est aussi comprendre qu’une apocalypse est finalement moins intense que ce que les séries nous poussent à croire. Il n’y a pas d’irruptions de zombies, de plots twists foudroyants ou de jumpscares toutes les trois scènes. Il y a plutôt de longs moments de silence, un vis-à-vis nouveau avec la nature et beaucoup de patience à avoir avec soi-même, mais aussi avec les autres.
Et, au milieu de cela, il y a surtout l’art.