L’hôtel Vogue est aussi luxueux que discret.
Situé au coin des rues Sainte-Catherine et de la Montagne, dans le centre-ville de Montréal, son intérieur élégant et ses fenêtres légèrement teintées lui donnent à la fois panache et anonymat, comme une vedette de cinéma qui fuit les regards. C’est d’ailleurs pour rencontrer une actrice connue que je m’y rends, sous une neige paresseuse du mois de mars.
Une demi-heure en avance, je m’assois sur un pouf couleur saumon dans le lobby en attendant un moment moins gênant pour annoncer ma présence. Le small talk et les p’tits sourires, c’est cool dix ou quinze minutes. Après, ça devient gênant pour tout le monde. Vingt minutes avant mon rendez-vous avec Sophie Nélisse, je signale donc mon arrivée.
Sophie fait actuellement la promotion de la deuxième saison de Yellowjackets. Pour les non-initiés, la série raconte l’histoire d’une équipe de foot féminin victime d’un crash d’avion en se rendant à un match de championnat national à l’autre bout du pays. Un détail qui rend Yellowjackets unique est qu’on y suit les personnages à deux époques de leur vie : dans la forêt juste après l’accident et vingt-cinq ans plus tard. Sophie y interprète Shauna Shipman, un rôle qu’elle partage avec l’actrice Néo-Zélandaise, Melanie Lynskey.
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Bien que j’avais des questions à propos de Yellowjackets (que j’adore), je voulais aussi savoir plein d’autres trucs à propos d’Hollywood, du métier d’actrice et de son parcours à elle. Sophie s’est prêtée avec patience et bonne humeur à mes questions de geek d’horreur et de cinéphile un peu crackpot.
En termes pratico-pratiques là, comment est-ce qu’on décroche un rôle dans une série à grand déploiement comme Yellowjackets ?
J’ai vraiment juste été chanceuse. Il n’y a pas de secrets et je me pince tous les jours en me disant que je suis choyée de jouer dans la série.
J’ai auditionné pendant des années pour plein de séries. Le trois quarts de ce que je vois passer sur Netflix, j’ai auditionné pour. Ça peut devenir vraiment décourageant. J’ai jamais vraiment remis mon choix de carrière en question, mais Yellowjackets est arrivé à un point où je commençais à trouver ça très difficile que les choses ne fonctionnent pas.
Au-delà de la victoire qu’aura été l’obtention du rôle de Shauna, la série a obtenu un succès auquel je ne m’attendais pas du tout.
T’as souvent parlé des doutes que tu avais initialement à propos de l’écriture de la série. Qu’est-ce qui t’a intéressé ? Qu’est-ce qui t’a fait choisir d’auditionner ?
Au départ, j’ai juste eu accès au premier épisode. Mes doutes étaient pas nécessairement présents au tout début. C’est vraiment au fil de la série que les éléments surnaturels viennent s’intégrer au récit et c’est là que je débarquais un peu plus. Les histoires avec la forêt, le cercle de prière, le trip de champignons magiques, etc. Je suis quelqu’un de quand même assez cartésien. Moi, ça me perdait, alors j’avais peur qu’on y perde l’audience aussi.
Dans la deuxième saison, on va à fond là-dedans et on assume ce qu’on fait en tant qu’acteurs.
Sinon, j’ai trouvé chaque personnage très complexe et vivant. Il y a aussi une exploration d’un côté un peu plus sombre des femmes. Peut-être un peu plus négatif et confrontant aussi, sans nécessairement qu’elles en deviennent des antagonistes. C’est quand même nouveau et original. J’avais jamais lu ça avant. J’aime aussi qu’il y ait une belle diversité au niveau des personnages. Tout le monde qui regarde la série a quelqu’un à qui s’identifier.
Le personnage de Shauna me ressemble beaucoup, donc j’ai ressenti un lien immédiat avec elle.
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Yellowjackets a un score de 100 % sur RottenTomatoes. C’est rare qu’une série fasse consensus à ce point. Pourquoi penses-tu que les gens ont accroché à ce point-là ?
C’est vraiment un récit qui sort de l’ordinaire et des formules préétablies. Beaucoup de stéréotypes associés aux femmes les dépeignent comme des êtres fragiles. Elles sont bonnes pour prendre soin l’une de l’autre, mais elles ne savent pas se défendre, etc. Yellowjackets présente un côté différent de la féminité. Plus agressif. Aux deux époques, on y voit des femmes qui font ce qu’elles doivent faire pour survivre.
Tu me disais plus tôt que Shauna te ressemblait beaucoup. Comment t’es-tu organisée avec Melanie Lynskey pour créer un personnage cohérent sur une temporalité aussi longue ?
C’est un peu un mystère pour moi aussi.
On s’est rencontrées avant la série pour discuter du personnage, de ce qu’on avait en commun avec elle et essayer de trouver son essence. Il n’a jamais été question de se coordonner pour lui trouver un langage corporel cohérent ou quoique ce soit dans le genre.
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Ce processus-là a été beaucoup plus difficile pour elle, parce qu’étant donné que je joue Shauna plus jeune, c’est moi qui établit la base du personnage. Elle doit évoquer tout le trauma qu’elle a vécu au fil des années et Melanie ne connaissait pas l’amplitude de ce trauma parce qu’on reçoit le texte des épisodes quand on les tourne. Selon moi, ça a aussi bien fonctionné parce qu’on a toutes les deux beaucoup de choses en commun avec le personnage et c’est surtout ça qui se fait ressentir.
Je vais parler pour moi-même, mais j’ai jamais été la plus cool au secondaire. T’sais, je mangeais seule aux toilettes, le midi. Là où je ressens une connexion avec Shauna, c’est qu’elle est dans l’ombre de sa meilleure amie, mais ça ne la dérange pas. Elle connaît sa valeur et elle n’a pas besoin de le montrer. Elle a une force intérieure et une confiance en elle. C’est pas grave pour elle si les gens ne voient pas ça, alors que Jackie vit énormément dans le regard des autres.
Qu’est-ce que tu as trouvé le plus difficile pendant le tournage de Yellowjackets?
Ah mon Dieu, c’est vraiment plein de petites choses qui peuvent avoir l’air de rien, à première vue.
Les scènes de groupes étaient très difficiles et il y en avait beaucoup. Il y a énormément de plans à filmer, ça peut prendre plusieurs heures et le travail devient très répétitif. On ne peut pas comprendre si on ne le vit pas, mais quand tu fais la même scène pendant sept heures, c’est difficile de garder le même naturel que lors des premières prises. Quand t’as juste une réplique à donner pendant toute une journée de travail, ça peut avoir l’air bête, mais tu rentres tellement dans ta tête et ton attention devient tellement concentrée sur ta réplique que c’est difficile de la faire sortir avec le même aplomb que lorsqu’on est juste deux.
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J’avais une scène avec Ella Purnell (Jackie) où on était juste toutes les deux à un moment donné et on s’est mis à rire parce qu’on trouvait ça tellement cool et facile de juste se renvoyer la balle.
Qu’est-ce que t’as trouvé le plus gratifiant?
La réponse du public ! Je ne lis pas les critiques, mais le dévouement des spectateurs est incroyable. Il y a des fan theories sur Reddit et je trouve ça malade de voir les choses sur lesquelles les gens accrochent. Ils remarquent des microdétails. Ils sont clairement plus au courant que moi de ce qui se passe. Ils me font relire les scénarios !
C’est sûr que ça amène un certain niveau de stress. On veut vraiment être à la hauteur pour la deuxième saison, mais c’est vraiment le fun d’avoir des gens qui sont excités comme ça à l’idée de recevoir ton travail.
T’as travaillé sur Yellowjackets avec Karyn Kusama, une réalisatrice très en vue (The L World, Jennifer’s Body, Chicago Fire, The Invitation). Comment c’était ?
Elle est tellement cool. Elle est aussi très méticuleuse et précise dans ses notes. Tellement spot on. Ses interventions font toujours une énorme différence dans chaque scène. Elle te dit des choses comme : « Pourquoi est-ce que ton personnage fait ça ? » ou alors « Pense aux choses qui ont apporté ton personnage à ce moment ».
Elle est super calme et elle apporte une énergie tellement sécurisante sur le plateau de tournage. Elle est vraiment formidable.
T’es extrêmement critique avec toi-même. C’est quoi pour toi, un succès ?
Ce à quoi j’aspire, c’est d’être quelqu’un avec qui c’est cool de travailler.
C’est sûr qu’il y a les prix et tout le tralala, mais il y a aussi tellement de politique derrière ça. Il y a également le niveau de : « Est-ce que t’étais bon dans la scène ? Est-ce que t’es bonne actrice ? », mais un film, c’est tellement un ensemble de facteurs qui sont hors de ton contrôle. C’est vraiment difficile de mesurer ce que c’est d’être un succès par rapport à la globalité d’un projet.
Je veux aussi une carrière variée. J’essaie de choisir mes rôles en fonction des réalisateurs que j’aime et des scénarios, mais aussi des projets qui sont à l’extérieur de moi et de mes expériences. C’est ça, jouer un rôle; c’est sortir de toi-même.
Est-ce que tu te regardes après avoir fini de tourner ?
Oui, c’est difficile et je veux mourir tout le long, mais il y a beaucoup à apprendre en se regardant ! J’ai souvent l’impression d’être over the top quand je tourne et quand je me regarde, finalement, c’est pas si horrible que ça. En me regardant, j’apprends à mieux bouger, mieux occuper l’espace, plein de petites choses comme ça.
Est-ce que ça arrive que tu te trouves bonne ?
Non, mais ça arrive que je ne me haïsse pas ! (rires) Que je ne me dise pas : « Oh mon Dieu, je veux mourir, j’ai honte ». Ça arrive que je sois ok avec l’idée de présenter ça à quelqu ’un, mais je ne me dirai jamais : « Yes, je l’ai eu. Je l’ai tellement bien fait ».