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Sois bien et tais-toi
J’ai souvent des problèmes de santé. J’ai des douleurs chroniques, je tombe malade facilement et, oh non, on n’a pas le temps de faire un portrait de ma santé mentale. Dans les dernières années, j’ai tranquillement compris qu’une grosse partie de ma santé est déterminée par le hasard. Si c’était une question de volonté et d’effort, je serais déjà olympienne.
Pourtant, je me sens coupable quand je ne vais pas bien. Coupable de pas fournir en travail, coupable de pas être capable de garder mon appartement clean, mais surtout, coupable de ne pas aller bien, point. Même si je sais que ce n’est pas vrai, une partie de moi croit que c’est de ma faute. Une partie de moi pense que je devrais avoir honte d’être malade.
Même si j’essaie de me débarrasser de cette idée, j’ai l’impression que ma valeur vient de ma capacité à prendre soin des autres. Alors quand c’est moi qui a besoin d’aide, et que je ne suis plus capable d’être là pour les gens que j’aime, je le vis comme un échec. Du haut de mes 28 ans, je commence à peine à oser demander de l’aide autour de moi, et suis toujours déchirée entre l’amour qu’on me rend et le sentiment que je dérange.
On nous dit que notre équilibre et notre bien-être sont notre responsabilité, voire notre devoir.
En lisant ce super article de Kate Seers et Rachel Hoggs, un déclic s’est fait et j’ai enfin compris ce qui me chicotait. J’ai compris que c’est plus grand que moi. Je crois qu’il existe une espèce de culture du bien-être centrée principalement autour des personnes perçues comme des femmes. On nous dit que notre équilibre et notre bien-être sont notre responsabilité, voire notre devoir. On s’attend à ce qu’on prenne soin des autres, tout en propageant l’idée qu’on a tous les outils pour prendre soin de nous-mêmes. Ça, c’est le cas pour tous les genres, et je n’y crois pas.
On n’aborde pas les problèmes systémiques ayant un réel impact sur nous, préférant plutôt mettre le blâme de notre mal-être sur une faille personnelle. Stressée par un environnement de travail toxique ? T’as juste pas assez fait de yoga. C’est comme mettre un sparadrap sur une fracture ouverte.
Dans l’article cité plus tôt, les autrices parlent de l’industrie du bien-être et de comment elle nuit aux femmes. Je suis évidemment d’accord. Bien sûr, je me méfierais de n’importe quelle industrie quadritrilliardaire non réglementée, mais celle-ci vient toucher des cordes sensibles. Bien qu’elle contient une grande variété d’acteurs, dont certains sont sans doute sincères et bienveillants, un message commun semble en sortir : notre bien-être est notre responsabilité et s’achète.
Je ferais semblant d’être surprise que le problème soit le capitalisme, mais je ne suis pas tant bonne actrice.
On retrouve cette industrie partout. On présente des trucs pour gérer son anxiété avec la méditation et des produits naturels dans un talk-show matinal. De grandes compagnies offrent à leurs employé.e.s des conférences sur le pouvoir magique de choisir le bonheur. Des influenceur.euse.s commandité.e.s, ou ayant leur propre gamme de produits à vendre, partagent des messages inspirants, nous annonçant que le meilleur antidépresseur est une bonne marche en forêt, une soirée self-care, et une gorgée de leur thé aux baies d’açaï.
Je suis d’accord qu’il faut prendre soin de soi, mais j’ai réalisé que j’étais épuisée d’avoir l’impression de me battre contre plus grand que moi.
Bien sûr, je suis d’accord qu’aller marcher, ça fait du bien. Je suis même une grande amatrice de soirées relaxes avec une tasse de thé, un masque de boue hydratante et mon jeu vidéo medieval fantasy préféré. (Les comédies romantiques ne marchent pas trop pour moi, okay ?) Je suis d’accord qu’il faut prendre soin de soi, mais j’ai réalisé que j’étais épuisée d’avoir l’impression de me battre contre plus grand que moi. Je me demande d’ailleurs si une partie de la culpabilité que je ressens vient de la pression qu’on ressent tous et toutes d’être performant.e au travail. J’ai beau ne pas être carriériste, j’ai besoin de payer mon loyer.
C’est un cercle vicieux. La société capitaliste a besoin de nous en forme pour faire rouler la machine, elle nous épuise, puis elle nous vend des semaines dans le Sud « pour se ressourcer ». C’est encore notre responsabilité de rattraper notre souffle chacun.e de notre bord alors que ce dont on a réellement besoin, c’est des meilleures infrastructures. Ça ne devrait pas être « avoir la tête dans les nuages » quand on demande un meilleur système de santé, des logements abordables, la sécurité alimentaire pour tou.te.s, du soutien en santé mentale ou l’équité salariale.
Bref, c’est normal si ça va pas.