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S’intégrer à son nouveau pays ou préserver sa culture d’origine ?

Telle est la question que devraient se poser tous les expatriés.

Par
Olivier Bruel
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On s’en doute : la réponse est loin d’être triviale. Mais j’ai surtout remarqué de grosses différences d’approche d’un individu à l’autre.

Une démarche de changement de pays repose sur un continuum d’intégration qui va de « ne rien changer à sa vie d’avant » à « oublier complètement d’où on vient ».

Pour les besoins de l’étude, je partirais du seul cas que je connaisse vraiment, celui d’un Français ayant immigré au Québec. Et, plus précisément, celui d’un Parisien débarquant à Montréal. En gros, une démarche de changement de pays repose sur un continuum d’intégration qui va de « ne rien changer à sa vie d’avant » à « oublier complètement d’où on vient ».

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D’un côté, ceux qui ne voient aucun avantage à s’adapter à leur nouveau contexte géoculturel, qui veulent leur baguette de la boulangerie du coin, leur espresso au comptoir, leur Côtes-du-Rhône sur la table, leur journal télévisé à 20h, et leur passeport tricolore. (Note : j’utilise le masculin pour alléger le… Nan ! C’est juste parce que je suis un putain de gros macho franchouillard.)

À l’autre extrémité du spectre se trouvent ceux qui ne veulent plus rien savoir de la France, qui se perçoivent soit comme des néo-Québécois, soit carrément comme des citoyens du Monde, libres et apatrides. Leur vie d’aujourd’hui se passe ici et ne ressemble en rien à celle qu’ils ont fuie. Leur réseau et leurs projets sont désormais nord-américains. Ou en forme de globe, mais pas d’hexagone.

En toute franchise, je me sens plus proche de ce deuxième pôle, même si je n’ai pas fui mon pays natal. Et je n’écris pas ce billet pour me vanter ni pour m’excuser, mais plutôt pour essayer de comprendre comment un changement de latitude influe sur notre vie. D’abord, est-ce qu’on choisit de s’intégrer ?

D’abord, est-ce qu’on choisit de s’intégrer ?

Je fais partie de ceux qui pensent que oui.

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J’ai côtoyé beaucoup d’« expattes » à Montréal, surtout dans mes premières années. Certains n’étaient qu’en transit, mais la plupart étaient comme moi des « immigrants reçus », ce qui signifie qu’ils avaient survécu à deux années de démarches administratives et à toutes ces choses qui vous testent une motivation. Pourtant, une fois à destination, ils semblaient empêtrés dans un cocon de nostalgie. Les Québécois étaient hypocrites, l’architecture était moche, le vin était cher, les hivers étaient inhumains, l’éducation était pourrie, rien n’était à la hauteur de leurs exigences. Du coup, ils ne vivaient qu’entre eux, importaient tous leurs biens, et adoptaient le Québec-bashing comme nouveau passe-temps. Une bonne partie d’entre eux finissaient fatalement par retourner vers la Mère Patrie, frustrés et même parfois en colère.

Personnellement, j’ai instinctivement choisi la perméabilité. Je n’ai pas traversé un océan pour rester campé dans mes habitudes ni pour m’enfermer dans un ghetto, et je voyais bien que mon chemin passait par une adaptation assumée à de nouveaux paradigmes. Alors j’ai beaucoup jasé, essayé de faire preuve d’écoute et d’ouverture, me suis abreuvé des médias et de la culture d’ici pour mieux comprendre où j’étais. Après quelques mois, j’ai observé que mes nouveaux collègues ne m’appelaient plus « le Français », signe que le reste de ma personnalité avait repris le dessus dans le regard des autres. Bien entendu, ma rencontre avec une nouvelle conjointe d’origine locale certifiée – et avide d’échanges – a accéléré le processus d’intégration.

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Ça peut sonner cliché, mais c’est à une célébration de la Saint-Jean – la fête nationale québécoise – chez notre ami Jeff que j’ai vu la lumière : autour d’un jam sous les étoiles, j’ai enfin saisi l’identité québécoise et senti que j’y étais désormais inclus.

Quelques années plus tard, le décès de mes parents a rompu mon dernier lien hebdomadaire avec la France. Je n’avais plus à me soucier du pays dans lequel ils vieillissaient. Quant à mes frères, mes nièces, mes cousins et mes amis, ils étaient assez grands pour s’occuper d’eux-mêmes. Je garde le contact, of course, mais cela relève désormais davantage de l’envie que du besoin.

Gagner une nouvelle identité se fait en partie au détriment de l’ancienne : plus je deviens québécois, moins je suis français.

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Le point sensible, c’est que gagner une nouvelle identité se fait en partie au détriment de l’ancienne : plus je deviens québécois, moins je suis français. Et j’ai peu de contrôle là-dessus. La culture et la politique tricolores [au sens de Français, pas de fan du Canadien !] me concernent de moins en moins, au point de les considérer quasiment comme celles d’un pays étranger. Au grand dam de mes amis, je n’ai même pas essayé de voir Brice de Nice ni Kaamelott.

Vingt-deux hivers plus tard, je suis cet intégré en voie d’assimilation, et j’ai allègrement franchi le point de non-retour.

Je dois maintenant me surveiller pour ne pas développer un chauvinisme inversé. Faut dire que les Français sont tellement prétentieux, râleurs, chauvins, bornés, paternalistes et rabat-joie !

Il est là, mon questionnement : où se cache le sweet spot entre la fierté et le rejet de mes racines ? J’aimerais vous entendre à ce sujet.