Dans son essai Travailler moins ne suffit pas, la sociologue et chercheure Julia Posca met la table pour une discussion aussi franche que nécessaire sur ce qui cloche dans notre rapport au travail – une pause salutaire pour reconsidérer la place qu’il prend dans nos vies.
Et si, au lieu de rêver de semaines de quatre jours comme si ça allait tout régler, on repensait carrément les bases du système? Posca pose un gros pari : le travail ne devrait pas être un mal nécessaire pour se payer un abonnement Netflix et des sorties au resto. Il devrait plutôt répondre aux vrais besoins humains, favoriser le bien commun et, pendant qu’on y est, freiner la crise climatique.
J’ai rencontré l’essayiste qui secoue le temple du capitalisme en proposant des solutions qui peuvent sembler un peu extrêmes au premier abord. Mais soyons honnêtes : quand on multiplie les burnouts, le temps est peut-être venu pour des solutions plus radicales.
Au début de votre essai, vous mentionnez des économistes qui avaient prédit une semaine de 15 heures pour 2030. Alors qu’on se rapproche de cette date butoir, pourquoi n’y est-on pas encore?
La semaine de travail a beaucoup diminué au cours des 200 dernières années. Généralement, on travaille deux fois moins qu’au début de l’ère industrielle. Mais, depuis environ 40 ans, dans les pays occidentaux, le nombre d’heures travaillées par semaine stagne autour de 40 heures, notamment au Québec.
Plusieurs facteurs expliquent ça, notamment une économie basée sur la consommation des ménages. Avec l’augmentation des normes de consommation – comme posséder une voiture, une maison, des vêtements, et des phénomènes comme l’obsolescence programmée – les gens doivent continuer à travailler pour maintenir leur niveau de vie.
Vous expliquez que la technologie n’a pas réduit notre temps de travail comme on aurait pu l’espérer. Pourquoi?
La technologie permet effectivement d’automatiser certaines tâches, mais actuellement, elle sert surtout à accroître la productivité des entreprises, leur permettant de produire davantage en moins de temps. Ça génère plus de marchandises à écouler et encourage la surconsommation.
La technologie a donc renforcé l’intensité du travail humain et notre dépendance à un modèle économique basé sur la croissance et la consommation.
Dans votre essai, vous parlez de « travailler mieux ». Qu’est-ce que ça signifie concrètement?
Travailler mieux, c’est travailler dans des conditions plus épanouissantes, qui respectent notre santé physique et mentale, et qui répondent à des besoins sociaux utiles et écologiquement viables.
Ça ne signifie pas nécessairement de travailler moins, mais plutôt d’orienter le travail vers des finalités qui dépassent l’enrichissement des entreprises et le rendement des actions.
Vous mentionnez aussi les « mauvais emplois ». Comment les définiriez-vous?
Un mauvais emploi, c’est celui qui manque d’utilité sociale, qui existe uniquement pour générer des profits sans contribuer au bien-être collectif.
Par exemple, un emploi bien rémunéré dans la finance, mais dont l’objectif est de créer des produits spéculatifs nuisibles à la stabilité économique, pourrait être considéré comme un mauvais emploi.
À l’inverse, un emploi mal payé comme caissière peut avoir une utilité sociale réelle puisqu’il répond à un besoin concret, par exemple l’accès à des aliments.
Vous abordez aussi la question de l’aliénation des individus par le travail. Comment cela se manifeste-t-il?
L’aliénation, c’est le fait d’avoir peu de contrôle sur l’objet et la finalité de son travail.
Beaucoup travaillent par contrainte pour subvenir à leurs besoins, mais n’ont pas leur mot à dire sur pourquoi ou comment ils travaillent. Cette perte de sens est exacerbée par des tâches parcellisées, répétitives, et une absence d’autonomie.
Est-ce qu’avoir un emploi qui correspond à ses valeurs pourrait être considéré comme un privilège?
Oui, cela peut être vu comme un privilège. Peu d’entreprises offrent des modèles démocratiques ou des conditions qui permettent un travail épanouissant.
Ça demande aussi du temps, de la disponibilité et un certain engagement que tout le monde n’a pas.
Qu’est-ce qui arriverait si, collectivement, on travaillait moins et mieux?
Cela contribuerait à une économie qui répond aux besoins réels de la majorité plutôt qu’à ceux d’une minorité ou d’un système axé sur le profit.
Par exemple, on pourrait prioriser la construction de logements abordables plutôt que des condos de luxe. Une telle économie garantirait un niveau de vie décent tout en respectant les limites écologiques de la planète.
Certains trouvent votre vision utopique. Parvenez-vous à demeurer optimiste malgré tout?
Je suis réaliste. On vit dans une économie dominée par de grandes entreprises qui exercent une forte influence sur les gouvernements et les individus. Mais il existe déjà des modèles alternatifs, comme les coopératives. Ce qui est marginal pourrait se développer davantage.
Les changements découlent avant tout des actions collectives. Historiquement, c’est comme ça que les progrès sociaux se sont réalisés.
Votre réflexion interpelle sur le plan individuel, mais semble avant tout axée sur une transformation collective. Pourquoi?
Le travail, c’est une activité collective. Plutôt que d’y répondre individuellement – changer de job ou rêver d’une retraite anticipée – il faut y penser collectivement.
C’est en unissant nos forces que des changements significatifs et durables pourront s’opérer, tout en évitant que les individus portent seuls le poids des transformations nécessaires.