Le 22 février dernier, un cataclysme plus grand que le décès de la Reine d’Angleterre sévissait sur la planète culturelle : la naissance d’une querelle entre la chanteuse Selena Gomez et la mannequin Hailey Bieber. Rien qu’à l’idéation de cette prémisse, je vous imagine sûrement marmonner : « Mais qui se préoccupe même de ces affaires-là ? ». La réponse pourrait honnêtement vous surprendre.
Pas un seul jour n’est passé sans que cette supposée animosité entre les deux jeunes femmes ne soit mentionnée dans les médias et sur les réseaux sociaux – ou du moins, de mon côté des internets. Certains établissements ont même transformé ce beef en stratégie marketing et proposent depuis à leurs client.e.s de laisser un pourboire selon la célébrité qu’ils ou elles préfèrent.
Si vous ignorez tout de ce brûlant conflit diplomatique, rassurez-vous : une semaine plus tôt, c’était aussi mon cas. Détenant à présent un doctorat honorifique sur cet enjeu, il me fera plaisir de vous transmettre de quoi briller à votre tour en société.
Une histoire de sourcils
Mise en contexte
D’un côté du ring, Selena Gomez, enfant prodige de Disney devenue étoile de la pop internationale. De l’autre côté, Hailey Bieber (née Baldwin), top modèle de profession et nepo baby assumée. Perchée sur le poteau du ring se trouve aussi Kylie Jenner, milliardaire et détentrice du second compte Instagram le plus suivi au monde.
Et quelque part dans les gradins se distingue la silhouette avachie de Justin Bieber, le nez plongé dans son portable bien qu’à quelques mètres seulement de lui, son ex (Selena) et sa femme actuelle (Hailey) soient sur le point d’en découdre.
Scène du crime
Voici la version des faits simplifiée : fin février, Selena Gomez annonce sur TikTok avoir un peu trop intensément épilé ses sourcils et, en riant, dira que c’était un « accident » – retenez ce mot. Quelques heures plus tard, Kylie Jenner poste sans contexte une photo d’elle-même en story Instagram et y écrit « C’était un accident??? » en légende. Peu de temps encore après, la jeune femme publie une nouvelle story en compagnie cette fois-ci de Hailey Bieber, l’écran spécifiquement cadré sur leurs sourcils.
Il n’en fallait pas plus pour que les détectives du 3.0 s’en mêlent, reliant les points entre eux jusqu’à ce qu’une (énième) théorie de rivalité « Hailey vs. Selena » n’émerge. La machine à scandale s’actionne alors et internet se scinde en deux camps, chaque soldat fouillant le passé à la recherche d’anciens signes d’hostilité entre les deux femmes. Même le démenti de Kylie Jenner et les appels à la paix de Selena Gomez n’y feront rien.
Et depuis, l’obsession est tenace.
Quand le voyeurisme fédère
Pourquoi est-ce alors si fascinant de suivre les tribulations sociales des célébrités ? La première réponse est simple : toutes ou presque se déroulent sous nos yeux et sur des plateformes que nous utilisons quotidiennement. Difficiles de les ignorer.
Un scandale comme celui de Selena Gomez et Hailey Bieber est donc intéressant à suivre parce qu’il prend d’une part place sur TikTok et Instagram, mais aussi parce qu’il se développe en temps réel, avec des publications et réactions observables au compte-gouttes. Cela peut donner aux internautes l’impression étrange, mais palpitante de suivre un conflit de haute importance comme s’il se déroulait entre deux collègues, à deux bureaux seulement du leur.
la théorie du complot sera toujours une option plus alléchante – et obsédante.
Ça devient un feu qui s’alimente tout seul : plus les gens en parlent, plus le scandale s’emballe, plus le débat prend une vie qui lui est propre et bientôt, on oublie que ce qui est désormais considéré comme la première gifle d’un affrontement sanglant n’est en fait qu’une story Instagram publiée au mauvais moment.
Mais la théorie du complot sera toujours une option plus alléchante – et obsédante. Pourquoi mettre cette situation entière sur le simple compte d’un malentendu anodin lorsqu’on peut démontrer par A + B que Hailey Bieber copie subtilement Selena Gomez depuis plusieurs années déjà? Et pourquoi relativiser les faits quand « Team Selena ou Team Hailey? » est désormais un excellent ice breaker?
Descendre du piédestal
Un autre facteur expliquant la fascination générale serait le sentiment de proximité situationnelle que certains scandales peuvent provoquer. Les célébrités sont souvent vues comme des entités lointaines et inaccessibles, du haut de leur tour d’ivoire virtuelle. Leurs problèmes ne sont pas nos problèmes; leurs vies sont bien loin d’être les nôtres.
Soudain, elle nous paraît plus proche et plus réelle.
Prenons toutefois l’exemple de l’actrice Megan Fox qui annonce une possible séparation avec le chanteur Machine Gun Kelly sur Instagram comme n’importe quelle personne sensée le ferait : en publiant des paroles de Beyoncé et en brûlant des photos de son ex. Soudain, elle nous paraît plus proche et plus réelle, car aux prises des mêmes sentiments et réactions théâtrales que nous pourrions avoir en vivant une rupture amoureuse.
Et mine de rien, cette démonstration l’humanise.
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L’inévitable dérive
Les choses s’enlaidissent toutefois lorsque les fans (ou « stans » comme on nomme les admirateur.rice.s les plus dévoué.e.s) viennent à se sentir impliqué.e.s personnellement. Les expert.e.s qualifient ce phénomène de « relations parasociales », soit de « liens à sens unique que l’on tisse avec des personnages de fiction ou des célébrités ». Les réseaux sociaux et l’internet au sens large ont tendance à exacerber ce phénomène en donnant au public une plus grande accessibilité à leurs vedettes favorites.
«Lorsque la relation parasociale inspire une action agressive envers la source de votre intérêt […], alors il est temps de vous retirer et de rediriger votre énergie.»
Le ou la fan, dans son affection débordante, se sent souvent pris.e d’une mission de protection, voire de sur-protection, envers la personne qu’il ou elle adule. Cette fougue lui donne alors suffisamment d’élan pour s’immiscer dans sa vie et s’improviser garde du corps – ou de réputation – sans que personne n’ait rien demandé.
Quelques malheureux exemples de ces dérives : lorsque la chanteuse FKA Twigs, alors fiancée de l’acteur Robert Pattinson, recevait commentaires racistes et menaces de mort de la part de fans de Twilight ou bien le public de l’édition 2023 du festival Rolling Loud qui criait « Fuck Hailey Beiber! » alors que son mari, Justin Bieber, était sur scène.
Personne ne ressort gagnant.e, ici : ni la cible de ces actes de méchanceté, ni la célébrité que le ou la fan croit aider et encore moins ce ou cette fan qui vient de perdre tout le respect de sa célébrité favorite. Un moment d’introspection nécessaire s’impose alors, comme expliqué dans Teen Vogue : « Lorsque la relation parasociale inspire une action agressive envers la source de votre intérêt […], alors il est temps de vous retirer et de rediriger votre énergie. »
Aussi visibles que ne soient les célébrités et leurs chamailleries, il faut se rappeler que nous ne connaissons d’elles que ce qui est rendu public; trois fois rien. Nous nous devons alors de cultiver face à ces histoires le même détachement qu’en les lisant dans un magazine : en faisant « ooh » puis en tournant tranquillement la page.