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Séance de rattrapage : « Alice in Borderland »
Vous souvenez-vous de la série Netflix Squid Game? Oui, moi non plus. Après qu’elle ait conquis la planète plus vite que la COVID-19 en 2021, le monde semble être passé à autre chose. Se taper neuf heures de jeux sadiques, d’exécutions grotesques et de personnages cassés financièrement ne nous a pas collectivement donné envie de renouveler l’expérience.
C’est peut-être pour ça que vous n’avez pas encore entendu parler d’Alice in Borderland.
Déjà à sa deuxième saison, l’adaptation du manga du même nom a fait de très discrets débuts sur Netflix un an avant la série pandémique par excellence. Bien sûr, les deux projets ont fait l’objet de maintes comparaisons depuis qu’ils ont été rendus disponibles au public, en partie parce que le créateur de Squid Game, Hwang Dong-hyuk, ne cite pas Alice in Borderland parmi ses influences, bien que le manga date de 2010.
Et si je vous disais que la meilleure des deux séries vous était passée sous le nez jusqu’ici ?
La guerre auX clichés
Alice in Borderland raconte l’histoire d’Arisu (Kento Yamazaki), un jeune homme sans rêves ni ambitions, qui engloutit ses journées devant une console de jeux vidéo. Rejeté par sa famille, il trouve périodiquement refuge auprès de ses amis d’enfance Chota (Yuki Morinaga) et Karube (Keita Machina) qui l’acceptent pour qui il est sans le presser de se remplir un rôle dans la société japonaise.
Cet équilibre précaire (et franchement malsain) perdure dans la vie d’Arisu jusqu’au jour où, pendant une escapade avec ses copains, leur comportement turbulent cause un accident de trafic mineur. Surexcités, ils vont se cacher dans une salle de bain publique et, soudainement et sans explication, le monde disparaît autour d’eux. Ils se retrouvent alors transportés dans une version alternative et quasi déserte de Tokyo où une poignée de personnes doivent jouer à une série de jeux dangereux pour survivre. Chaque jeu est coté par thématique et niveau de dangerosité avec une carte à jouer. Si le jeu est coté avec un trois de trèfle, par exemple, cela signifie qu’il est de difficulté moindre.
Ça a l’air compliqué, résumé comme ça, mais on s’y fait vite. Alice in Borderland se démarque de l’expérience de visionnement Netflix lambda par l’audace et l’originalité de ses décisions créatives. Ne vous attachez à personne. N’anticipez rien. D’épisode en épisode, les choses changent rapidement et de manière décisive.
Alice in Borderland se démarque de l’expérience de visionnement Netflix lambda par l’audace et l’originalité de ses décisions créatives.
Alice in Borderland se fait un malin plaisir à subvertir vos attentes et à démonter les stéréotypes de la dystopie pour jeunes adultes, un genre popularisé, entre autres, par le manga Battle Royale et la série de romans de Susan Collins, The Hunger Games. Sans rentrer dans les divulgâcheurs, c’est excitant et stimulant de regarder une série qui s’amuse autant avec des structures narratives classiques. Qu’on parle de la mort impromptue (et violente) d’un personnage important, d’une dérive de l’intrigue principale vers un personnage secondaire ou d’une relation amoureuse qui ne semble pas aboutir, on ne sait jamais à quoi s’attendre en regardant Alice in Borderland. Même l’auditoire le plus aguerri et cynique sera agréablement surpris par les nombreuses transgressions de la série.
Loin de moi l’idée de comparer les deux séries, mais la dernière fois que ça m’est arrivé, je regardais Game of Thrones.
Un réalisme allégorique
Alice in Borderland, c’est d’abord et avant tout l’histoire d’un jeune homme qui commence à prendre responsabilité pour sa vie dans un contexte des plus apocalyptiques. Dans la tragédie et l’adversité, les valeurs d’Arisu émergent pour guider ses actions et transformer son caractère.
Dans le milieu, on appelle ça un coming-of-age (ou fiction d’apprentissage). C’est un genre narratif vieux comme le monde où le ou la protagoniste est souvent jeune et doit passer à travers un rituel initiatique afin d’arriver à maturité. Ce qui distingue Alice in Borderland de ses congénères, c’est que la perte et le trauma aideront Arisu à cristalliser sa personnalité et devenir un pilier pour ses proches.
Bien qu’Alice in Borderland n’ait absolument pas une fibre réaliste dans son scénario, la série l’est néanmoins sur le plan émotionnel et allégorique. Le jeu sans fin auquel jouent les personnages, c’est celui de la vie adulte. Remplie de dangers parfois mortels,elle nous enlève de petits bouts de nous-mêmes chaque fois qu’elle le peut. Elle est extrêmement déshumanisante aussi, mais on y trouve des petits moments de connexion auprès d’autres personnes qui vivent des défis similaires aux nôtres.
Le consommateur consommé n’est pas l’image la plus subtile, mais elle transmet quand même une idée profonde : votre divertissement requiert souvent la souffrance de quelqu’un d’autre.
Le créateur Shinsuke Sato critique également les mécaniques du divertissement jetable et de la satisfaction instantanée auxquelles souscrit Arisu. Assez rapidement, le personnage s’y verra lui-même assujetti en tant que participant non consentant à un jeu d’élimination diffusé on ne sait où, pour le plaisir sadique d’on ne sait qui. Le consommateur consommé n’est pas l’image la plus subtile, mais elle transmet quand même une idée profonde : votre divertissement requiert souvent la souffrance de quelqu’un d’autre. Que ce soit celle d’un créateur ou d’une personne exploitée par un système que personne ne contrôle.
Alice in Borderland est une excellente série d’action apocalyptique à l’esthétique complètement fantaisiste. Elle est toutefois beaucoup plus que ça. Comme toute bonne histoire dystopique, sa trame offre une réflexion sur les travers du monde dans lequel elle a été écrite. Les deux saisons sont disponibles dans leur entièreté sur Netflix. Que vous soyez nostalgiques de Squid Game ou non, je vous la conseille vivement.
C’est inconfortable et viscéral de la meilleure façon possible.