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« Saltburn », ou la sexualité qui choque les Gen Z

Pourquoi tant de malaise devant quelques gouttes de s...ang ?

Par
Myriam Daguzan Bernier
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Si vous êtes comme moi, voilà plusieurs semaines que vos balades à pied sont ponctuées des notes de Murder on the Dance Floor et vos courses à la salle de sport vous permettent de vous essouffler sur Loneliness de Tomcraft. Bref, vous êtes aux prises avec la Saltburn fever.

Au-delà de sa trame sonore furieusement efficace, le long métrage a marqué les esprits (#Saltburn a récolté à lui seul près de 4 milliards de vues sur TikTok) et… réchauffé les sous-vêtements. La faute revient, entre autres, aux physiques de Jacob Elordi et Barry Keoghan, à l’étrange dynamique érotique qui existe entre eux, mais surtout aux fameuses scènes de sexe.

Alors que ma génération (fière millénariale ici #represent) a eu droit aux premiers balbutiements de ce qu’on pourrait appeler le trend des réactions filmées grâce à l’inénarrable Two Girls One Cup*, un mouvement similaire se produit actuellement avec Saltburn.

Des tas de Gen Z filment et mettent en ligne leurs réactions au film : visages horrifiés, bouches béantes de surprise ou de dégoût, haut-le-cœur, etc. Qu’y a-t-il de si choquant?

Réflexion en trois scènes marquantes.

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Alerte au spoiler : avant de poursuivre votre lecture, soyez avisé.e.s que ce texte dévoile des éléments clés du film.

Un bain de sp…éculations

Lorsqu’Oliver (Barry Keoghan) aspire l’eau dans laquelle Félix (Jacob Elordi) s’est fait plaisir, il ne fait pas qu’érotiser ce liquide. Il l’absorbe jusqu’à la dernière goutte, all in, langue et bouche engagées, afin de s’emparer de l’essence de Félix : sa vie, sa richesse, son pouvoir, sa popularité. D’ailleurs, on a longtemps cru que le sperme contenait la force vitale de l’homme et que se masturber équivalait en quelque sorte au gaspillage d’un élément à la fois fertile et vigoureux.

Ce qui fait réagir est peut-être le fait qu’il est rare, dans un long métrage grand public, d’avoir une représentation aussi imagée du désir masculin envers un autre homme.

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Souvent, la sexualité masculine est plutôt dépeinte comme prédatrice, active, dominante (et majoritairement hétérosexuelle !). Ici, Oliver semble à la merci de Félix. Une posture plus fréquemment montrée comme… féminine.

Même si l’on comprend plus tard que le film nous induit volontairement en erreur (on croit Oliver complètement dépendant de l’héritier de Saltburn, mais c’est plutôt l’inverse : Oliver est maître de la situation), le fait de voir un homme assumer autant son obsession, quitte à en perdre le contrôle de soi, peut être déstabilisant à voir. C’est aussi la représentation la plus imagée à ce jour de la fameuse expression eat the rich, dans un film qui fait la critique de la différence des classes sociales.

Vampire, vous avez dit vampire ?

Plus tard, Oliver offre une séance de sexe oral à la sœur de Félix, Venetia (Alison Oliver), alors que celle-ci a ses règles. Les réactions sont vives, car le sang menstruel est encore considéré, chez de nombreuses personnes, comme sale, odorant et dégoûtant.

Le fait qu’on voit de l’hémoglobine à la pelletée dans des œuvres cinématographiques d’horreur et d’action ne nous a pas immunisé.e.s : le sang des menstruations a toujours la réputation d’être peu ragoûtant. Pourquoi donc ? C’est qu’il vient d’un sexe qui, à travers l’histoire, a souvent été perçu comme fondamentalement faible et douteux. On a longtemps considéré le corps féminin comme une version incomplète du corps masculin. De plus, on voyait le sang menstruel comme une substance impure dont il fallait se débarrasser à tout prix. La saignée, ça vous dit quelque chose ? Eh bien, les menstruations étaient vues comme une forme de saignée naturelle. Encore aujourd’hui, et malgré bien des avancées féministes, certaines personnes peinent encore à discuter des menstruations sans gêne ni honte.

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Qu’Oliver mette volontairement la bouche sur ce sang maudit paraît alors encore plus choquant, d’accord. Mais qu’en est-il des idéaux féministes de nos chers Gen Z ? De la sexualité décomplexée et ouverte à laquelle on aurait tendance à les associer ? Lorsqu’on voit les expressions d’horreur qui se peignent sur leurs jolis minois qui tapissent TikTok, il semble qu’il y ait un petit gap, de ce côté…

À la vie… à la mort

L’obsession supposée d’Oliver envers Félix atteint son point culminant dans la scène d’enterrement qui a ébranlé l’auditoire.

Dans un élan passionné, Oliver se déshabille et se jette sur la terre fraîche qui recouvre la tombe de Félix pour y simuler un acte sexuel. Loin d’être une scène de nécrophilie, même si plusieurs ont fait cette association, il s’agit plutôt d’un ultime adieu à l’objet de son désir. Mais étant donné le plan machiavélique d’Oliver, on peut aussi voir cela comme une représentation littérale de l’expression « je te baise » ou « tu t’es fait baiser ».

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En somme; tu t’es fait avoir. Car c’est bien ce qui arrive à Félix et au reste de sa famille. Oliver les « baise » les un.es après les autres, jusqu’à l’anéantissement complet des Catton.

Y a-t-il un lien entre les réactions choquées des Gen Z et le fait qu’il s’agit d’une génération qu’on dit plus « prudente et conscientisée » ? Sans oublier l’émergence du terme #PuriTeens qu’on associe à ces jeunes ados qui seraient plus réactifs.ves et moins confortables face aux contenus liés à la sexualité?

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Pour ma part, je pense que le fait de déconstruire les normes et montrer des sexualités plus marginales crée nécessairement des frictions et des malaises. Toutefois, il faut continuer à le faire pour qu’émergent des discussions nécessaires sur les tabous, les mythes et la sexualité dans son ensemble. Comme on dit : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Et si elles sont aussi savoureuses que ce que propose Saltburn, on en veut d’autres !