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S’aimer chacun chez soi
Après une séparation, ça prend un certain temps avant de se recréer un chez-soi où l’on se sent vraiment chez soi (qu’on ait gardé l’ancien appartement ou qu’on en ait investi un nouveau).
Ça ne tient pas juste à la couleur des murs ou à la décoration, c’est quelque chose qui vient par-dessus les objets matériels. Ça réside dans l’air ambiant, qui (re)devient peu à peu habité. Habité par une présence pleine qui lui donne sa couleur, son odeur, sa texture, son âme, sa lumière même. Oui, une personne finit par imprimer sa présence dans les espaces qu’elle habite.
La preuve, c’est qu’on peut reconnaître cette présence dans les différents lieux qu’une même personne investit au cours de sa vie. Je saurais identifier parmi des dizaines d’autres, je crois, un appartement habité par mon amie Évelyne ou par mon amie Laura. Dans la façon dont les objets seraient choisis et disposés, je pourrais deviner leur façon d’être dans l’espace. (Pour Évelyne, c’est facile, ce serait l’espace aux murs roses très pâles, baignés d’une lumière chaude. Celui, si personnel, qu’elle reproduit dans tous ses appartements depuis qu’elle a 16 ans ! Et pour Laura : ses livres, son parfum, l’ordre.)
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Tout ça pour dire que quand on habite en couple, il y a quelque chose de ça – de cette présence pleine d’un individu dans un espace – qui se perd.
Parfois pour plusieurs années.
Et remarquez ça autour de vous : quand quelqu’un se sépare (ou devient veuf ou veuve) et qu’il habite de nouveau seul, ça refait surface !
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Bon, j’ai l’air de faire l’apologie du célibat, mais ce n’est pas cela. Il y a aussi de très belles atmosphères de maison habitées par des couples. J’en ai d’ailleurs respiré une, la semaine passée, qui m’a donné des petits picotements de jalousie.
Mais il y en a aussi des tordues, des toxiques, des désinvesties, des sans-personnalité, où, à force de compromis d’un bord et de l’autre, on ne reconnaît plus l’âme de personne. J’en ai vu des comme ça. Souvent, cette impression de désinvestissement était particulièrement palpable quelques mois avant le divorce ou la séparation.
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Bref, je ne me suis jamais sentie aussi bien chez moi, je crois, que dans le petit appartement où j’habite actuellement avec mes deux filles. Celui-là même qui a fait dire à une de mes vieilles amies, quand elle est venue le visiter après la séparation : « Mouais, c’est pas le gros luxe! »
Elle a été plutôt malhabile (et pas super gentille !), mon amie, en me disant cela. Mais ça ne m’a même pas ébranlée. Ou si peu. Parce que pour moi, C’EST le gros luxe : de grandes fenêtres qui font entrer la lumière à pleine lampée (lumière qui fait danser les feuilles d’un érable sur le mur, comme une peinture chinoise vivante…); un bureau presque juché dans un arbre (mes collègues sont des écureuils !); un clocher d’église juste là, sous mon nez. Je n’échangerais rien de tout cela contre la grosse cabane de mon amie en banlieue. Jamais.
Quand j’entre chez moi par la porte de la ruelle, après une grosse journée, je dépose mes lourdes affaires et regarde autour la grande pièce endormie dans une semi-obscurité. Je devine les dessins des enfants affichés partout, les plantes, les livres, la montagne de vêtements à plier sur la chaise du salon (combien de chaussettes solitaires ?) et invariablement, un soupir de bonheur me monte aux lèvres. « Home Sweet Home » ! Comme je suis bien chez nous.
Je sais que mes enfants ressentent la même chose. « Maman, je veux rester ici toute la vie ! », m’a dit dernièrement la plus jeune. Elles n’ont pas de sous-sol, pas de salle de jeu, une chambre pour elles deux et pas de cour. Mais les enfants n’ont pas besoin d’un château pour être heureux. Ils ont besoin d’une atmosphère douce et harmonieuse où ils se sentent aimés, protégés et libres de devenir ce qu’ils sont déjà dans leur petite âme…
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Cela fait un an et demi que je fréquente mon nouveau copain. Autour de nous, la question commence à poindre : « Pensez-vous emménager ensemble ? »
La réponse sort de nos deux bouches en même temps comme un coup de feu : NON ! Avec en sous-texte : Êtes-vous fous, bande de malades !
Oh ! Pour être franche, des fois, on y pense. On imagine tout ce qu’on économiserait. Un appart au lieu de deux, une seule voiture, un compte pour l’électricité, un compte pour internet. Ça ne serait pas trop long qu’on aurait les moyens de le réaliser, notre rêve de partir sur les routes d’Asie, avec la marmaille…
Sans compter les avantages pratiques : un qui fait la vaisselle pendant que l’autre lit l’histoire. Un qui fait les courses pendant que l’autre lave le plancher. On aurait peut-être le temps de lire le journal, le samedi ? Et puis on se verrait tout le temps. Je n’aurais plus jamais besoin de dormir en cuillère avec mon coussin d’allaitement… J’aurais toujours chaud sous les draps.
Mais malgré toutes ces bonnes raisons, à la question de mes amis, je réponds avec fougue et détermination : NON !
La cohabitation, j’ai peur de ça comme de la peste !
Oui, j’ai peur de perdre ce bien-être que je ressens dans notre petit chez-nous à notre image. Je ne veux pas perdre non plus le plaisir que j’ai d’aller chez mon nouveau copain, de me faire recevoir comme une invitée de marque, dans son appart rangé qui, je l’avoue, me repose parfois de mon bordel…
Aussi, j’ai peur pour mes enfants. Pourquoi devraient-elles avoir ma vie amoureuse dans la face tout le temps ? Accepter la présence constante d’un homme qui n’est pas leur père dans leur univers (qui ajouterait aux nôtres, c’est bien normal, ses règles de vie) ? Et s’il y a des disputes, des tensions entre lui et moi… Non, non, non, elles ont déjà donné. Je ne veux pas non plus imposer ça à mon beau-fils.
Et finalement, j’ai bien trop peur pour ma relation…
Peur qu’on en vienne à se taper sur les nerfs. Que mon nouveau copain m’en veuille à cause des restes qui pourrissent dans le frigidaire ou du bordel sur le dessus de la sécheuse (il n’aurait pas tort). Peur de lever les yeux au ciel quand il devient stressé et irritable pour des petites choses de la vie.
Les soupirs, les reproches, l’exaspération, c’est le début de la fin, I know that now.
Oui, j’ai peur, qu’à habiter ensemble, notre atmosphère se “toxicise” au fil du temps. Que se dresse entre nous un mur de ressentiment qui empoisonne chaque recoin de l’espace… Qu’on en arrive, de reproche en frustration, à se coucher sans se toucher (NON !). Peur d’étouffer. De faire étouffer mes filles, mon copain, son fils, même mes plantes ! NOOONNNNNNN ! Pitié !
C’est sûr, ce sont des paroles de fille échaudée. Mais de plus en plus, sincèrement, je pense que la meilleure façon de garder notre amour fort, c’est… de le garder fragile. Comme une flamme à l’air libre qu’on doit protéger de nos mains pour assurer sa pérennité. Pour moi, la meilleure façon de protéger notre amour, c’est de demeurer indépendants et libres. Chacun chez soi.
Je ne dis pas que je ne changerai jamais d’idée, mais chéri, j’ai une demande solennelle à te faire aujourd’hui : veux-tu ne pas emménager avec moi ?