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Ryosuke Kiyasu, ou l’art de faire de la batterie marginale et provoc’

« Tu devrais aller à l’hôpital pour faire soigner des problèmes mentaux au lieu de jouer de la fausse musique. »

Par
Benoît Lelièvre
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Le nom Ryosuke Kiyasu ne vous dit peut-être rien, mais vous l’avez probablement déjà vu exercer sa profession sur Facebook, Instagram ou TikTok.

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Une publication partagée par Ryosuke Kiyasu | Snare drummer (@dr.kiyaSi vous ignoriez l’existence du batteur, vous avez probablement des questions : qu’est-ce qu’il fait, au juste? Est-ce de la musique? Ça peut pas être de la musique, hein? Est-ce de l’art? What the fuck?

La démarche créative de Ryosuke Kiyasu fait réagir. C’est son essence même de provoquer et explorer les limites de la création artistique. Au fil des années, cette même démarche lui aura mérité plus de 43 000 adeptes sur Facebook, 22 400 sur Instagram, une viralité chronique sur le web et des invitations à se produire en spectacle un peu partout dans le monde.

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Impressionnant pour quelqu’un qui joue de la caisse claire corporelle interprétative.

Mais comment Ryosuke Kiyasu en est-il venu à offrir des performances aussi énigmatiques ? Est-ce qu’il gagne sa vie avec ça ? Qu’est-ce que tout ça veut dire, au juste ?

Quelques semaines après la fin de sa tournée européenne, le Japonais de 42 ans a pris quelques minutes de son temps pour nous parler de son art, en visio depuis son logement de Tokyo.

Un concert tout nu pour débuter

« Mon premier instrument, c’était le piano. Mais je détestais ça », m’explique Ryosuke Kiyasu avec un sourire timide aux lèvres. « Je trouvais ça ennuyeux à mourir de faire mes gammes chaque jour, mais mes parents insistaient beaucoup. C’était important pour eux. »

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De 6 à 12 ans, Kiyasu et ses deux grandes sœurs poursuivent alors une éducation musicale des plus classiques un peu malgré eux. C’est au collège qu’il développe un attrait pour la musique métal et décide de changer d’instrument. « Des amis à moi ont fondé un groupe et m’ont demandé d’être batteur. Tous les groupes métal sont constamment à la recherche de batteurs compétents, alors c’était une opportunité de m’affirmer. Je l’ai prise. Arrêter le piano n’a pas été une négociation facile avec mes parents, mais j’ai réussi. »

Attiré naturellement par toutes les formes de musiques extrêmes, Kiyasu découvre des groupes comme Emperor, Mayhem et Brutal Truth qui l’aideront à développer les capacités expressives de son instrument. Il cite aussi le butō, une danse contemporaine japonaise extrême et moins connue du public occidental, comme source d’influence marquante sur son art.

« Je me suis éventuellement lassé de la musique métal », raconte Ryosuke Kiyasu. « Des blast beats, je peux faire ça toute la journée. C’est en cherchant autre chose d’encore plus extrême que je suis tombé sur la musique noise et le free jazz. »

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Il donnera son premier concert de soliste à la caisse claire à Toronto, une ville dans laquelle il élira domicile au début de sa vingtaine, charmé par son ouverture d’esprit et sa scène de musique émergente. « J’ai donné un concert de caisse claire parce que c’était la seule partie de ma batterie que j’ai pu emmener dans mes bagages. Ma première performance était encore plus extrême que celles que je donne aujourd’hui. Je l’ai donnée complètement nu et j’ai fini dehors, entouré du public », me confie-t-il en riant.

C’était en 2004. Ryosuke Kiyasu venait de tomber sur un mode d’expression unique qui allait l’emmener aux quatres coins du monde, devant de petites foules lors de soirées de musique contemporaine, mais pas seulement. « J’ai déjà ouvert un festival en Italie. Il devait y avoir quelques milliers de personnes. Sinon, j’ai déjà joué devant une seule personne, ici, au Japon. J’ai joué pendant trois heures, juste pour lui. »

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Oui, mais c’est quoi le but de l’exercice?

« Je considère que mon style de musique est le free jazz improvisationnel », affirme Ryosuke Kiyasu. Il ne réclame aucune place au sein de la scène noise, mais cite plutôtcomme inspirations les musiciens jazz américains Ornette Coleman et John Coltrane. Lorsqu’il joue de la batterie complète avec un ensemble musical, la musique de Kiyasu ressemble d’ailleurs beaucoup plus au jazz à la mode dans les années 1970. Ce n’est pas exactement la même chose, mais on peut y entendre des parallèles :

L’émotion que Ryosuke Kiyasu exprime par sa caisse claire peut varier d’une représentation à l’autre, mais la colère, elle, est omniprésente. « Je suis un gars fâché. J’y peux rien, je suis comme ça. J’en veux au principe de la réalité même », m’explique-t-il.

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Kiyasu affirme ouvertement que l’objectif de son art est de susciter des réactions et qu’il en reçoit chaque jour. « Être incompris, c’est mon quotidien. Ça fait partie de ce que je fais. Parce que ce que j’essaie de faire à chaque performance, c’est de jouer de la musique que personne n’a jamais entendu, d’une façon que personne n’a jamais entendu. L’incompréhension et l’hostilité, ça fait partie de ce que je fais jusqu’à un certain degré. »

Pas besoin de remonter loin dans ses réseaux sociaux pour retrouver l’hostilité dont il parle. Sur sa photo de profil Instagram peuvent être lus des commentaires comme : « Tu devrais avoir honte de te qualifier de batteur » ou « Tu devrais aller à l’hôpital pour faire soigner des problèmes mentaux au lieu de jouer de la fausse musique partout dans le monde ».

L’art de Ryosuke Kiyasu est marginal et provocateur. Il est également total. On ne peut pas juste écouter sa musique ou le regarder jouer sans volume et quand on se retrouve dans la même pièce que lui lors d’une performance, c’est probablement plus violent et clivant. Bien qu’il ne se réclame pas de la musique noise, il s’inscrit dans l’héritage du compositeur américain John Cage pour qui le monde entier était source de musique. Cage est le compositeur de la pièce silencieuse 4’33, qui confronte le public à leur propre musique.

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Bien qu’il attise colère et méchanceté sur Internet, Ryosuke Kiyasu ne vole la place de personne et ne se produit pas dans les salles où est jouée de la musique conventionnelle. Unique, audacieux et fondamentalement différent, ses performances redéfinissent, soir après soir, le champ des possibles pour les artistes.

Et soit vous faites partie de sa révolte contre le réel, soit vous en êtes l’objet.