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Rosemary’s Kitty, ou l’histoire du chat qu’on surnomme Gouine-Amann

« Kouign-Amann est l’équivalent félin du diable de Tasmanie ».

Par
Mori Beleko
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Comme le dernier confinement a, comme on dit au Québec, fessé dans l’dash, j’ai décidé d’adopter un chat afin d’avoir quelqu’un avec qui débriefer les épisodes de Dark et d’Adventure Time que je regardais en quantités déraisonnables. Le problème, c’est que tout le monde a eu la même idée au même moment (pour le chat je veux dire ; pour Adventure Time, je suis moins sûr.e).

Il n’y avait pendant un temps plus le moindre félin à adopter dans toute la ville, et les voisin.es commençaient même à rappeler leur matou sur le pas de la porte tous les soirs en regardant alentour d’un air soupçonneux des fois que des personnes mal intentionnées seraient en train de fomenter un catnapping.

C’est pourquoi, lorsque mon ami Yves m’informa que la vieille voisine de sa cousine à la campagne avait une petite chatte non stérilisée qui poppait les chatons comme des smarties, je me ruai sur l’opportunité.

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Après une heure de conduite, je me retrouvai dans une cuisine surchauffée qui sentait le fauve où zonait un très vieux Shih Tzu avec une couche-culotte et une hémiplégie qui lui faisait tirer la langue en permanence.

Autour des pattes de ce vénérable canidé grouillaient des petits chatons miteux et pleins de vie qui se poursuivaient à qui mieux mieux. Les formalités d’adoption étaient simples : en attraper un au vol et décider si on le voulait. Mes critères de choix étaient tout aussi simples : je voulais un mâle, parce que la stérilisation coûte moins cher, et un chat à poils courts, parce que je pensais naïvement qu’ils perdent moins leurs poils que les chats à poils longs (c’est faux).

C’est donc par le plus grand des hasards que Kouign-Amann entra dans ma vie.

Décrivons le protagoniste : il est noir comme l’âme d’un actionnaire de Total et ses coussinets ont une odeur à mi-chemin entre la feuille de pandan et les popcorns au beurre (étant donné que la feuille de pandan est abusivement surnommée “vanille d’Asie”, je précise à toutes fins utiles que le pandan, consommé en grande quantité, imprègne son environnement d’une forte odeur de pieds).

Son nom est imbitable pour beaucoup de gens, et sa véto anglophone le prononce “gouine” avec un air de doute

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Il a sept doigts à chaque patte avant et une tendance à vouloir attraper les objets qui laisse deviner une ambition de pouce préhensile, laquelle aurait sûrement été réalisée d’ici quelques générations si je ne l’avais pas fait stériliser.

Son nom est imbitable pour beaucoup de gens, et sa véto anglophone le prononce “gouine” avec un air de doute, mon ancienne coloc lusitophone “queen” avec des gloussements ravis, et mes ami.es non breton.es « cougne », comme regrettablement la majorité des touristes en Bretagne.

Je pense que sa mère est aussi sa tante, sa cousine et sa soeur, possiblement même sa fille.

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Moi en général, je le prononce “Satan à moustaches”, mais au fur et à mesure de l’accumulation de ses méfaits, il a aussi porté les titres de “Petit connard rondouillard”, “baron du crime en peluche” et “Nosferatu puduku” (ça, c’était pendant sa période diarrhée).

Comme après la stérilisation il a enflé comme une baudruche et que son harnais le boudine, ça se prononce à présent “paupiette en fourrure”.

Et tout comme Rosemary n’avait pas prévu que son bébé mignon pourrait devenir l’Antéchrist, je n’avais pas anticipé, en le voyant dormir tout bébé sur me genoux sur le chemin du retour, qu’il allait me coûter un bras en véto, me pourrir ma literie, et ravir mon coeur.

Kouign en train de draguer. Spoiler : ça ne marche pas

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Kouign est le digne héritier d’une longue lignée de chats de la campagne qui se sont reproduits dans la liberté la plus totale suivant les méandres tortueux d’un arbre bonsai généalogique atteint de polyarthrite rhumatoïde. Je pense que sa mère est aussi sa tante, sa cousine et sa soeur, possiblement même sa fille.

Kouign-Amann est l’équivalent félin du diable de Tasmanie. Il rebondit sur les murs, fout de la litière partout, chie sur mon lit quand il n’est pas content

Contrairement aux élégants chats de race adoptés par certains de mes amis, qui se prélassent avec grâce sur les tapis persans, utilisent leur caisse proprement et ne montrent aucun signe d’agitation à part éventuellement un léger miaou distingué lorsque c’est l’heure des croquettes, Kouign-Amann est l’équivalent félin du diable de Tasmanie. Il rebondit sur les murs, fout de la litière partout, chie sur mon lit quand il n’est pas content (ça arrive de temps en temps car il a un petit côté punk face à mon autorité parentale) et me colle dans un mélange étrange de dépendance et d’évitement affectifs qui le conduit à toujours se trouver dans un rayon de 2 mètres de moi de manière à exhiber systématiquement son petit trou de balle rose et dodu lors des téléconférences, tout en se débattant sauvagement quand j’essaie de le poser sur mes genoux pour qu’il arrête de flasher sa rondelle à mes collègues.

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Si j’ose quitter l’appartement sans l’emmener avec moi, il se faufile entre mes jambes et s’enfuit dans les couloirs de l’immeuble pour aller se cacher. Il va toujours à la même place mais pour lui laisser ses illusions de grande évasion, à chaque fois qu’il s’échappe, j’attends quelques secondes puis je siffle. Il me répond par un petit miaou signalant sa position (sous la valise du voisin au dernier étage), et je vais alors le chercher. J’ai la fierté de dire à mes ami.es que mon chat a parfaitement intégré le principe du rapporter, mais j’omets de préciser que c’est moi qui rapporte : il miaule, et je le ramène chez lui.

Pour épargner à mes collègues la vue de son derche et en espérant le fatiguer pour qu’il dorme plus et me laisse bosser, j’ai pris l’habitude de le sortir au parc, ou il a fait la connaissance d’autres chats promenant leurs humain.es gâteux.ses.

Sa tendance à foncer vers l’objectif lune au mépris du consentement d’autrui lui a valu quelques branlées mémorables mais ne l’a jamais dégoûté du procédé.

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Ces rencontres ont permis d’établir que c’est un chat extrêmement sociable, un peu forceur sur les bords et intrinsèquement persuadé d’être la huitième merveille du monde (une croyance que j’entretiens à en le lui répétant tous les jours), ce qui est un excellent état d’esprit pour s’adapter aux nouveaux petits compagnons.

Lorsqu’il aperçoit un autre chat, sa queue se dresse à la verticale, exhibant de manière déplorable son déjà trop célèbre popotin. Il se précipite truffe en avant pour lui flairer d’abord le nez (on sait vivre) puis, immédiatement après et de manière prolongée, le cul, et ce quel que soit l’état d’esprit du chat en question. Sa tendance à foncer vers l’objectif lune au mépris du consentement d’autrui lui a valu quelques branlées mémorables mais ne l’a jamais dégoûté du procédé.

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Kouign sur le point de se faire encore une fois casser la gueule

Lorsque, encore petit chaton, je l’ai porté aux urgences vétérinaires quelques 24h après l’avoir adopté à cause de ses yeux tellement collés par le pus qu’il arrivait plus à les ouvrir (il avait le coryza et je soupçonne fortement que les autres membres de la portée aussi), la véto, se fiant à la taille de sa tête, m’a dit que ce serait un petit format. Un an et demi après, je constate que s’il a effectivement une petite tête, il a aussi un grand corps bien enrobé et il pèse 7 kg, ce qui fait de lui un Obélix félin.

Tout comme Obélix il est un peu con mais pas méchant, et quand il se prend une avoinée de la part d’un chat qui fait la moitié de sa taille à qui il a enfoncé sa truffe dans les fesses avec un peu trop d’insistance, il se laisse faire avec bonhomie. Quand il rencontre un chaton surexcité qui lui met des coups de minipattes et lui couvre le museau de minimorsures, il s’allonge tranquillement en attendant que le petit ait fini.

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Ces excellentes dispositions vis-à-vis des autres chats ainsi que ma lassitude face à une literie conchiée à chaque retour du bureau m’ont donné envie de me proposer comme famille d’accueil au refuge le plus proche afin de trouver l’adelphe parfait pour mon gros pépère, le compagnon idéal avec qui ils se flaireront le cul, se feront des léchouilles et se casseront la gueule toute la journée pendant que je vais gagner leurs croquettes à la sueur de mon ordinateur.

La suite au prochain épisode…