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Rosa Bonheur, rare femme peintre à avoir connu le succès de son vivant

Le musée d’Orsay lui consacre enfin une exposition.

Par
Delphine Dauvergne
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Si Rosa Bonheur est l’une des rares artistes françaises à avoir connu le succès de son vivant, au XIXe siècle, elle a vite été oubliée. Cette peintre animalière a aujourd’hui le droit à sa première rétrospective dans un grand musée, à Orsay, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

Un exemple féministe

Une première entrée au Salon à 19 ans, ses premières médailles quelques années plus tard, une grosse commande de l’Etat qui la lance, des tableaux envoyés en tournée à l’international et vendus une fortune, première femme artiste à recevoir la Légion d’Honneur… Mais comment une femme a-t-elle pu se bâtir une telle carrière dans les milieux artistiques masculins (et misogynes) de l’époque ? Si l’exposition ne prend pas cet angle militant, elle donne cependant plusieurs éléments de réponses, disséminés tout au long du parcours. Si Rosa Bonheur est née dans un milieu très modeste, son père était peintre et professeur de dessin, et a enseigné à ses enfants sa discipline.

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L’un des motifs de sa détermination à réussir, viendrait, de la mort précoce de sa mère, alors que Rosa Bonheur n’a que 11 ans. « Sa disparition marqua profondément l’artiste et l’incita à ne dépendre que d’elle-même, aussi bien financièrement que moralement », émet comme hypothèse Sandra Buratti-Hasan, conservatrice du patrimoine et directrice adjointe du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, qui a participé au montage de cette exposition, qui dure jusqu’au 15 janvier 2023.

Autre indice, sur cette personnalité hors du commun : le regard déterminé qui habite les différents portraits de l’artiste, réalisés à différents âges. Sur l’un d’entre eux, on la voit même travailler en pantalon, vêtement qui était à l’époque interdit aux femmes, mais elle avait obtenu une autorisation de la préfecture pour pouvoir étudier les bêtes au plus près, notamment dans les abattoirs. Elle sait détourner les règles sexistes de l’époque, tout comme lorsqu’elle décide de léguer sa fortune et ses œuvres à une autre femme.

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Un talent au service de la cause animale

Et puis, bien sûr, ce qui a permis à Rosa Bonheur de s’imposer, c’est son talent. Le travail minutieux d’études, scientifique, des mouvements de chaque animal qu’elle a peint est impressionnant. Et le résultat est là : des animaux tels qu’on ne les a jamais vus sur une toile, des positions parfois surprenantes, des mouvements et des postures animées. Les tableaux captent aussi leur être, ce ne sont assurément pas des natures mortes. Il faut dire que Rosa Bonheur ne faisait pas son travail à moitié : pour ses tableaux de lions, elle en adopte même quelques-uns, dans son château de By à Thomery, pour les étudier de près. « On a presque l’impression qu’ils sont humains », commente admiratif, un visiteur.

Et pourtant la vision de l’artiste est tout autre : « Rosa Bonheur ne cherche pas à humaniser les animaux mais veut exprimer leur singularité et leur irréductible étrangeté. Elle cherche à les comprendre et à ne pas les réduire à une métaphore humaine », rappelle Leïla Jarbouai, conservatrice en chef au musée d’Orsay. Rosa Bonheur était ainsi sensible à la cause animale. Une citation d’elle illustre cette pensée sur l’un des murs violets : “Une chose que j’observais avec un intérêt spécial, c’était l’expression de leur regard : l’œil n’est-il pas le miroir de l’âme pour toutes les créatures vivantes ; n’est-ce pas là que se peignent les volontés, les sensations des êtres auxquels la nature n’a pas donné d’autre moyen d’exprimer leur pensée.”

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Si l’on apprend, dès le premier texte de présentation à l’entrée, que Rosa Bonheur était lesbienne, cette mention a l’air d’un détail vite évacué du fil de l’exposition. On se le rappelle lors de l’évocation de son installation avec Nathalie Micas, sa compagne. Peut-être manquait-il à cette exposition un versant autour de l’identité de cette peintre : qu’était-ce d’être une artiste femme lesbienne au XIXe siècle ? Quelles étaient les difficultés ? Vivaient-elles leur relation cachée ? Tant de détails qui nous poussent à nous renseigner davantage en sortant du musée. Cette discrétion dans l’exposition est peut-être aussi révélatrice de celle de Rosa Bonheur de son vivant : si la postérité l’a érigé en icône lesbienne et féministe, l’artiste n’avait pas d’activité politique particulière. Mais, son exemple de liberté et d’indépendance a marqué les esprits. Pour Leïla Jarbouai : « Son féminisme et son amour des animaux vont de pair : elle donne une voix à ceux qui n’en ont pas. »