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Roar : la série absurde où les femmes triomphent (enfin)

Ou le pouvoir percutant des métaphores.

Par
Malia Kounkou
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Quel est le point commun entre manger ses photos d’enfance pour les revivre le temps d’un moment, résoudre son propre meurtre en étant soi-même un fantôme et être en relation toxique avec un canard verbalement abusif ? Faire bien sûr partie des scénarios purement décalés qu’explore Roar, la toute nouvelle série d’un féminisme mordant disponible sur Apple TV. Adaptée du recueil de nouvelles Entendez les femmes rugir ! (2018) de la romancière irlandaise Cecelia Ahern, cette création coproduite par nulle autre que l’actrice australo-américaine Nicole Kidman suit la trajectoire atypique de huit femmes qui ne demandent finalement qu’à être vues et considérées.

l’excentricité des scénarios n’est vraiment que le sommet de l’iceberg.

Chacun des huit épisodes est porteur de sa propre histoire et aucun d’entre eux ne se croise. Tous s’articulent cependant autour des deux mêmes concepts, le premier étant : « … hein ? » C’est cette même onomatopée de surprise qui nous échappe sans même le vouloir lorsque le mari d’Amelia lui propose de s’asseoir sur un perchoir au beau milieu de son salon et de ne plus jamais en redescendre dans l’épisode « Celle qui trônait sur une étagère ». Ce mot nous échappe encore en entendant un oiseau refuser d’une voix sarcastique et 100 % humaine un bout de bagel offert par le personnage d’Elisa dans « Celle qui rencontra un vilain petit canard ».

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Par-delà le comique

Plus l’histoire s’égrène, plus nous réalisons que l’excentricité des scénarios n’est vraiment que le sommet de l’iceberg.

L’épisode « Celle qui résolut son propre meurtre » porté par Alison Brie (Community, GLOW) dépasse par exemple la simple absurdité que représente le fait d’enquêter sur sa propre mort. Il aborde également la culture du viol qui rend la femme responsable de tous ses maux, aussi horrifiques soient-ils. Ici, elle en empêche même les policiers responsables de son dossier d’identifier rapidement le coupable. L’épisode traite aussi des ravages de la sous-culture des « incels », cette communauté d’hommes qui se réunissent en ligne pour partager leur haine viscérale des femmes et des partenaires qu’elles choisissent, les rendant principaux responsables de leur propre célibat.

Arrive le moment où toutes ces femmes ont enfin ce déclic qui les extirpe de cette invisibilité mutique.

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Cet épisode met aussi en lumière une absurdité qui est, cette fois-ci, extrêmement réelle lorsque des féminicides sont représentés dans les séries ou bien couverts dans les médias. La victime en elle-même est bien souvent effacée au profit de détails anecdotiques entourant sa mort, devenant ainsi « le catalyseur de tout ce qui se passe » autour d’elle, explique à ce sujet Liz Flahive, cocréatrice de Roar, à la plateforme cinématographique Rotten Tomatoes. Et lorsque l’affaire est terminée, « tu ne découvres rien à propos [de cette femme] ».

Réaffirmer son existence

Ce qui nous amène au second concept présent en fil rouge tout au long de cette première saison : l’invisibilité. D’un épisode à l’autre, elle ne prend jamais la même forme, tantôt incarnée de façon littérale par Wanda (jouée par Issa Rae, à qui l’ont doit la génialissime série Insecure), qui disparaît au point de se faire accidentellement asseoir dessus. D’autres fois, elle est sous-entendue à travers l’effacement de Nicole Kidman dans son rôle d’épouse et de mère ou dans l’indifférence grandissante du mari d’Amelia pour sa femme pourtant perchée sur la plus haute étagère du salon.

L’une des plus grandes forces de Roar est sa capacité narrative qui s’aide de métaphores fortes et méticuleusement choisies.

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C’est alors ici que le titre de la série — et du recueil qui l’inspire — prend tout son sens. Car arrive le moment où toutes ces femmes ont enfin ce déclic qui les extirpe de cette invisibilité mutique et les aide à férocement reprendre les rênes de leurs vies. Ce déclic, l’écrivaine Cecelia Ahern le nomme « roar moment » (soit « moment de rugissement ») dans Madame Figaro. « C’est ce moment où vous êtes au fond du trou, et où vous sentez qu’un changement doit s’effectuer, définit-elle. Vous trouvez alors cette force pour sortir de ce piège et reprendre le contrôle. »

La force de la métaphore

L’une des plus grandes forces de Roar est sa capacité narrative qui s’aide de métaphores fortes et méticuleusement choisies. Chaque scénario imaginaire fait écho à un aspect douloureusement réel d’un quotidien stigmatisé. Ainsi, lorsque Wanda, une autrice noire américaine, voit son autobiographie adaptée en réalité virtuelle sans son aval, l’observer revivre l’épisode de brutalité policière dont son père a été victime n’est pas sans rappeler ce qu’a traversé la communauté noire à la mort de George Floyd, en 2020. Partout sur les réseaux sociaux étaient incessamment partagées ses dix minutes et neuf secondes d’agonie dans un voyeurisme enrobé de fausse sympathie activiste que beaucoup de personnes afro-américaines ont dénoncé comme étant du « black trauma porn » (ou de la « pornographie du trauma noir »).

«Nous voulions montrer les complications d’être entendues.»

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La métaphore de l’absurde permet donc de mettre le doigt sur des problèmes sociaux qui, dans leur caractère imagé, ne peuvent plus être niés. Une trophy wife en est littéralement une, ici, dans toute sa solitude objectifiante. Une femme battue et psychologiquement brimée l’est aussi, aussi inoffensif qu’ait l’air son compagnon.

« Chaque épisode est enraciné dans la vérité, et quelques fois de très dures réalités au sujet des rôles des femmes dans la société », souligne Alison Brie chez Rotten Tomatoes. « Mais c’est enrobé dans ce papier d’emballage scintillant, […] le paquet en lui-même [est] attrayant et divertissant et donc beaucoup plus efficace. »

Il semblait donc important pour l’écrivaine d’origine comme pour l’équipe derrière Roar de raconter des histoires de femmes par des femmes. Un exercice dans lequel ses créatrices, Liz Flahive et Carly Mensch, sont déjà rodées après avoir porté la série GLOW, qui touche à la lutte féminine au sein des années 80. Dans Roar, ce sont des femmes plurielles et complexes que ces deux partenaires mettent à l’honneur, « celles qui luttent pour accéder au pouvoir, mais aussi […] celles qui ont accès à de telles sphères », spécifie Liz Flahive dans des propos rapportés par Télérama. « Nous voulions montrer les complications d’être entendues. »

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