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Retour vers le futur : il y a un an, comment les Américains voyaient-ils la prochaine élection?
Dans la nuit du 8 au 9 novembre 2016, le photographe et auteur François Couture n’a pas beaucoup dormi, l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ayant fait monter son anxiété naturelle de plusieurs crans. Devenu boulimique de politique américaine par la force des choses (s’informer lui permettait étrangement de contrôler cette anxiété), il a développé une véritable fascination pour le pays de l’Oncle Sam — fascination qui l’a mené, dès la fin de l’année 2019, à entamer un road trip/photoreportage dans plusieurs États américains. Lors de ces rencontres fortuites avec des Américain.e.s, il leur posait invariablement la même question : « Que signifie, pour vous et votre pays, l’élection présidentielle de novembre prochain? », et il les prenait ensuite en photo. URBANIA vous présente trois de ses portraits aujourd’hui.
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« Je ne connais pas beaucoup la politique, mais je sais que cette élection sera importante à cause de l’impact qu’elle aura sur l’économie ainsi que sur les tensions raciales, qui sont, comme vous le savez, un gros enjeu aux États-Unis. Beaucoup de Blancs, surtout les suprématistes, ne voient ni ne ressentent les difficultés que les membres des autres communautés ont à affronter dans ce pays. Et je crois que le résultat de l’élection peut avoir un impact sur cette question.
La moitié de ces gens ne viennent pas me parler à cause de la couleur de ma peau.
Cela dit, ça dépend aussi comment vous avez été élevé et ce qu’on vous a enseigné en grandissant. Par exemple, je travaille dans un endroit très achalandé et je rencontre beaucoup de gens au quotidien; or, la moitié de ces gens ne viennent pas me parler à cause de la couleur de ma peau ou de ma façon de me comporter. Mais je les respecte quand même, car je comme je disais, cette haine, elle a été installée chez eux dès leur naissance et c’est tout ce qu’ils connaissent. Je dois comprendre leur histoire et espérer changer leur cœur. Mais c’est difficile, car tu ne peux pas insuffler de l’amour dans une personne qui n’a pas grandi dans un bon foyer aimant.
Moi, mes valeurs sont celles que ma maman et mon papa m’ont inculquées depuis que je suis un jeune enfant. Et ils m’ont appris que quand vous placez vos actes en Dieu, vous connaîtrez la vérité et si vous êtes prêt à recevoir cette vérité, vous serez frappé par sa lumière.
Je n’ai pas d’enfant mais je dois commencer à penser aux bien-être des générations futures. Alors je vais voter. Je DOIS voter. Je veux qu’un changement advienne, alors je vais choisir la personne qui sera la mieux placée pour opérer ce changement pour les générations futures. Je ne suis pas un républicain ni un démocrate et à l’élection présidentielle, je vais faire des recherches dans les programmes des partis et apprendre à connaître les candidats, pour savoir ce qu’ils comptent apporter à la société. Mon critère pour mon vote sera donc le suivant : comment cette personne peut-elle incarner le changement que je souhaite, et ainsi aider les autres? L’enjeu de cette élection, c’est l’unité de notre pays; c’est à propos de paix et d’amour de notre prochain; c’est choisir entre faire les choses de la bonne ou de la mauvaise façon. »
Devin
Charlotte (Caroline du Nord)
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« Derrière moi, c’est ma salle de classe. J’y enseigne l’anglais et c’était ma classe d’anglais quand j’étais étudiante ici. C’était la mère de ma meilleure amie qui était ma prof et celle-ci était elle-même la fille d’une enseignante d’anglais. J’ai plein de membres de ma famille qui travaillent à l’école. Nous sommes nés ici, nos familles ont grandi ici, je vais mourir ici et je veux que mes enfants grandissent ici. Nous sommes une communauté très soudée, très proche de ses racines. Nous sommes fiers de notre passé, fiers de notre comté, et nous avons beaucoup à offrir au reste du monde. C’est vrai. J’insiste. Nous ne sommes pas les illettrés que l’on prétend que nous sommes : nous sommes éduqués. Nous n’avons juste pas souvent la chance de le prouver. Nous ne sommes pas différents des gens qui contrôlent notre destinée à Washington D.C.; c’est juste que nous avons choisi de vivre autrement.
Nous ne sommes pas les illettrés que l’on prétend que nous sommes.
Il y a plusieurs années, nous avions une industrie du charbon très forte ici, dans laquelle travaillait d’ailleurs mon père. Il y avait donc des emplois de qualité ici et le taux de chômage avoisinait 0 %. Et puis, graduellement, l’industrie a déserté le comté, la région, puis l’État de l’Ohio et même la Virginie de l’Ouest. Il n’y a tellement plus d’emploi ici que si vous ne travaillez pas dans les domaines de la santé ou de la finance (qui emploient peu de gens), voire en éducation, vous devez vous chercher du travail à l’extérieur. Mon mari travaille en banlieue de Charlotte, en Caroline du Nord, depuis 26 ans. Il se lève à minuit le dimanche pour aller en Caroline du Nord, travaille son lundi toute la journée, et après sa semaine, le vendredi soir suivant, il roule pendant sept heures pour rentrer ici. Et c’est ainsi chaque semaine, depuis 26 ans. Nos représentants locaux tentent de faire revivre cette industrie dans notre région, on fonde beaucoup d’espoir sur le charbon dit propre, mais il n’y a pas encore de résultats concrets. On ne semble pas pressé de voir réussir les comtés ruraux du Kentucky…
Pourquoi Donald Trump? C’est que le comté en avait ras le bol des deux partis. Trump, lui, n’est contrôlé par aucune force politique. Ce n’était pas tant le fait que c’était lui en tant que tel, ça aurait pu être n’importe qui d’autre, mais puisqu’il était quelqu’un de nouveau et de différent, nous avons eu envie de voter pour lui. Et, vous savez, il y a un taux de pauvreté de 75 % chez nos élèves. Pratiquement toute l’école se qualifie pour des repas gratuits ou à rabais. Alors après avoir étouffé et affamé ainsi des gens, ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils choisissent quelque chose ou quelqu’un de différent…
Trump, lui, n’est contrôlé par aucune force politique.
Je vous l’ai dit, ce comté est très attaché à ses traditions. Nous fonctionnons à la mode ancienne, si on veut. Comme nos parents l’ont fait, et comme leurs parents l’ont fait à leur tour. Et voilà sans doute une des plus importantes raisons du changement. Le Parti démocrate, le parti de gauche, est allé tellement loin dans sa négation que Dieu est en contrôle de nos existences. À cause d’eux, aujourd’hui, Dieu n’est plus autorisé dans nos tribunaux, Il n’est plus autorisé dans nos écoles non plus. Comme enseignante, je ne suis pas autorisée à parler de mes croyances à mes élèves. Dieu a été retiré de tout, de partout. Comme le programme du Parti républicain laissait présager qu’on nous permettrait de revenir à nos traditions et croyances, d’une façon importante en plus, nous avons reconnu en Donald Trump celui qui allait pouvoir amorcer ce retour tant souhaité. Ce n’est donc pas tant sa personnalité que ses promesses qui ont convaincu les gens ici de voter pour lui. »
Rebecca
Sandy Hook (Kentucky)
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« J’aime voter. J’ai toujours aimé voter, en fait. La première élection présidentielle à laquelle j’ai pu participer comme électeur, en 1980, mettait aux prises le républicain Ronald Reagan, le démocrate Jimmy Carter et le candidat indépendant originaire de l’Illinois, John B. Anderson. À cette époque, j’étais étudiant à l’Université de l’Illinois et Anderson était venu y prononcer une allocution. Après, il y avait eu une panne électrique à l’endroit où il logeait, alors il s’était rendu à la cafétéria de l’université, où je me trouvais par hasard, et j’avais pu échanger avec lui. Parler à un candidat à l’élection présidentielle, quelle chance, non? Je me suis donc retrouvé à voter pour lui, chose que j’ai regrettée par la suite (rires), après l’écrasante victoire de Reagan, qui avait remporté 489 des 538 votes de grands électeurs, tous les autres allant à Carter…
Voter, c’est tellement important! On doit profiter de ce privilège à tout prix. Je souhaiterais d’ailleurs qu’on rende le vote plus facile aux États-Unis, alors que c’est le contraire qui se produit. Ma grande fille a voté pour la première fois au dernier Super Tuesday en Virginie, et je suis très fière d’elle, car elle a décidé de faire partie du processus démocratique plutôt que de se contenter de tout critiquer de manière passive-agressive. C’est facile d’être écœuré par tout ce qui se passe autour, de faire preuve d’apathie et de simplement baisser les bras, mais ce n’est pas du tout la chose à faire à mon avis.
Je souhaite qu’après cette élection, peu importe le vainqueur (je t’avoue que je n’ai pas vu venir le résultat de celle de 2016, comme plusieurs de mes concitoyens américains, et je m’attends une fois de plus à une surprise), en tant que peuple, nous puissions nous réunir. Nous devons cesser de nous tirer dessus à boulets rouges et commencer à travailler pour recoller ce pays. Ce sera un dur travail, car certains politiciens jouent la carte de l’animosité. C’est bon pour les cotes d’écoute et pour le following sur twitter, c’est bon pour rager contre la machine, mais dans le vrai monde, dans les petites communautés comme celle où je vis, au nord de Chicago, nous tâchons de rester unis même si nos opinions divergent. Nous nous efforçons de créer une seule communauté d’Américains.
Comme citoyen et comme simple humain, tu DOIS continuer à dialoguer avec des gens qui ne pensent pas comme toi.
Ce sera un dur travail aussi, car nous sommes conditionnés à agir de manière à nous préserver psychologiquement. Je veux dire qu’on semble de moins en moins aptes à entendre des opinions différentes des nôtres, on a tendance à plus se renfermer dans notre bulle, ce qui rend le dialogue extrêmement compliqué. Pour plein de raisons qui lui appartiennent, mon père était un gros supporteur républicain, hardcore même. Tu sais, il a voté pour Barrie Goldwater en 1964, qui est le père d’un certain mouvement conservateur au pays. Or, moi, plus jeune, j’étais le démocrate le plus libéral qu’il connaissait! Il est décédé juste avant les midterms de 2018 et il était un fervent partisan de Donald Trump. Je pouvais encore parler politique avec lui, mais ça devenait de plus en plus difficile, car il restait campé sur ses positions et n’était plus vraiment ouvert au dialogue. Mais comme citoyen et comme simple humain, tu DOIS continuer à dialoguer avec des gens qui ne pensent pas comme toi, sinon tu te noies dans tes propres lubies et tu ne te fais plus entendre par quiconque…
En fait, nous sommes si divisés que nous avons oublié comment discuter sans mettre des murs entre nous. Or, je sens que les gens ont besoin de connecter entre eux en ces temps si incertains… »
Dave
Chicago (Illinois)
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Pour lire les autres portraits de François Couture, on se rend sur son compte Instagram.