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Retour au bureau et télétravail : gare aux inégalités de traitement
« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » est en bonne voie de devenir le mot d’ordre du monde du travail (presque) post-pandémique. Avec l’assouplissement des mesures sanitaires du 9 juin, les employeurs ont repris la main sur le retour au bureau et la dose de télé-travail.
Une bonne partie des travailleur·e·s désirent cependant continuer à travailler de la maison. Le télétravail n’est pas parfait, surtout pour les personnes qui n’ont pas accès à un environnement adéquat, et rend difficiles la coopération et le sentiment d’appartenance des employé·e·s.
Celleux qui feront le choix de travailler majoritairement à distance pourraient toutefois en subir les conséquences
Plusieurs entreprises se tournent alors vers le modèle hybride : une alternance entre le travail à la maison et au bureau, parfois laissé à la discrétion de l’employé·e. Est-ce le meilleur des deux mondes ? On craint plutôt l’apparition d’un système à deux vitesses qui, vous l’aurez deviné, n’est pas à l’avantage de celleux qui travaillent à distance.
Dis-moi à qui tu parles à la machine à café et je te dirai qui tu paies mieux
Ce n’est pas une question de productivité, selon une étude de l’université Stanford, mais de proximité. Après avoir assigné les employé·e·s d’une agence de voyages de Shanghai au hasard entre le travail à la maison et au bureau, les chercheur·e·s ont constaté un écart entre l’évaluation de leur performance après neuf mois. Les employé·e·s en télétravail étaient 13% plus productif·ve·s que leurs collègues à la maison, mais recevaient près de la moitié moins de promotions.
Cette préférence est inconsciente, la plupart du temps. C’est ce qu’on appelle le « biais de proximité », soit la tendance à favoriser les personnes dont on est plus proche et qu’on voit plus souvent. C’est logique, ces personnes-là restent plus fraîches à notre mémoire.
Les employé·e·s qui passent moins de temps au bureau sont davantage oublié·e·s par les responsables
On parle aussi d’effet de halo, lorsqu’on associe l’impression positive que nous laisse une personne à d’autres qualités, par exemple à son professionnalisme. L’employé·e avec qui on fait des blagues à la pause-dej’ nous paraîtra plus qualifié·e que cellui qu’on ne croise jamais. Donc, les employé·e·s qui passent moins de temps au bureau sont davantage oublié·e·s par les gestionnaires.
Et ce favoritisme risque d’empirer les inégalités systémiques déjà existantes. Les femmes sont plus nombreuses à vouloir travailler de chez elles, comme elles sont plus nombreuses à devoir s’occuper de personnes à charge et des travaux domestiques. Elles courent le risque d’être considérées comme moins dévouées à leur travail et courent le risque d’avoir une moins bonne relation avec leurs responsables.
En plus d’être, évidemment, bien injuste, ce genre de traitement préférentiel est néfaste pour un milieu de travail. Ignoré·e·s ou moins valorisé·e·s, les employé·e·s laissé·e·s de côté perdent confiance en leur employeur et sont beaucoup plus enclin·e·s à aller voir ailleurs.
Des solutions pour ne pas laisser ça à la chance
Comment faire alors pour combattre ces biais inconscients ? La première étape, évidemment, c’est d’en prendre conscience, mais ça ne s’arrête pas là. Des fois, malgré toute notre bonne volonté, de mauvais plis s’installent. C’est le principe de la tyrannie de l’absence de structure, si on ne fait pas d’effort conscient et concret pour contrer les inégalités, elles reviennent dans nos vieilles habitudes. Voici quelques trucs pour éviter de tomber dans le piège.
Surveiller les promotions et les salaires
Si les employé·e·s favorisé·e·s par l’entreprise ont toustes une caractéristique en commun (à part leur incroyable éthique de travail), c’est qu’il y a un problème
La meilleure manière de remarquer des anomalies ou des tendances dans le traitement des employé·e·s, c’est d’être au courant de qui est payé·e combien, de qui reçoit des promotions et des bonus et de qui n’en reçoit pas. Cela vaut pour toutes sortes d’inégalités qui peuvent perdurer. Si les employé·e·s favorisé·e·s par l’entreprise ont toustes une caractéristique en commun (à part leur incroyable éthique de travail), c’est qu’il y a un problème.
Repenser le déroulement du travail
Le télétravail est là pour rester, même après la levée complète des mesures sanitaires. Il faut donc arrêter de le traiter comme une exception, alors que le bureau représenterait le « vrai » travail. On se rend compte que certaines tâches (le travail plus routinier ou qui demande plus de concentration) se font mieux à la maison et que d’autres (la résolution de problèmes complexes, le travail nécessitant beaucoup d’équipement, les tâches créatives) se font mieux en présentiel. C’est donc plus logique de voir le travail à distance et au bureau comme complémentaires, sans les hiérarchiser.
Il faudrait que les personnes en position d’autorité s’engagent à passer une partie de leur semaine en télétravail, comme le font leurs employé·e·s
Même chose avec les réunions. Pour éviter de créer une distinction entre « les gens du bureau » et « les gens sur Zoom », il est préférable de demander à tout le monde de se connecter sur l’appel de leur propre appareil, même pour les employé·e·s dans le même bâtiment. Ainsi, tout le monde est sur le même pied d’égalité lors de la réunion.
Du télétravail pour le patronat
Selon le New York Times, les responsables et les patron·ne·s ont davantage tendance à travailler au bureau que leurs employé·e·s, ce qui entraîne plus de contacts informels avec celleux qui travaillent en présentiel et une moins bonne idée du travail exécuté par celleux à la maison.
Pour remédier à cela, il faudrait que les personnes en position d’autorité s’engagent à passer une partie de leur semaine en télétravail, comme le font leurs employé·e·s. Cela leur permet de donner l’exemple, mais aussi de mieux comprendre la réalité du télétravail.
Parler de ses émotions
Selon Alison Hill, auteure du livre Work from Anywhere, il est important de ne pas négliger les émotions liées au travail et de rester ouvert·e face aux commentaires de ses employé·e·s. Le modèle hybride n’est pas encore établi, donc il se peut que les milieux de travail soient confrontés à des écueils auxquels personne n’avait pensé.
C’est aussi un moyen de contrer le sentiment d’isolement que peuvent vivre les personnes en télétravail. Les discussions informelles que les gens ont au bureau sont souvent absentes du travail à distance. Hill suggère de prendre l’habitude de demander des nouvelles des autres, même à distance et de laisser une place pour les discussions informelles durant les heures de travail.
Dans un monde du travail en profonde transformation, il est important de repenser la culture des bureaux, en ne laissant personne derrière.