.jpg)
« Pas essentiel ». A quel moment a-t-on pu penser que l’art et la culture n’étaient pas essentiels ? Au fil des confinements et autres couvre-feux, les politiques annonçaient sans cesse les commerces et les lieux qui s’avéraient essentiels ou non. Dans ce contexte de pandémie, enfin ils affirmaient tout haut ce que les coupes budgétaires mettaient en évidence : la culture n’était pas primordiale. Comme de nombreux artistes, Rero n’a pu se résoudre à accepter cet adjectif qui a conduit à la fermeture des théâtres, musées, salles de cinéma, galeries. Il s’est pourtant lui aussi posé la question : « Devrais-je arrêter d’être artiste temporairement au profit d’une fonction plus “utile” ? Mais il a compris que son travail à lui c’était de produire du sens et de la réflexion », précise Séverine de Volkovitch, sa galeriste depuis 10 ans avec Delphine Guillaud, le duo à la tête de la Backslash Gallery.
« The situation is hopless but not serious »
Avec son style singulier qui consiste à barrer les phrases, aphorismes, punchlines qu’il met toujours en scène en police Verdana, la plus sobre et la plus utilisée sur le web, Rero a donc créé une installation XXL sur les fenêtres de la façade du 104 à Paris pour questionner ce fameux « Pas Essentiel ». Avec ce trait qui donne à voir le contraire de ce qui est énoncé, Rero provoque mais ne se veut pas moralisateur. Il a d’ailleurs fait de cette citation de Paul Watzlawick, « The situation is hopless but not serious », une devise, un fil rouge dans sa vie comme dans son travail.
.jpg)
Les penseurs, philosophes, sociologues sont nombreux à accompagner cet ancien graffeur parisiano-bourguignon plutôt turbulent. « Faire une pratique artistique m’a donné envie de lire. Je ne lis pas de romans, bizarrement ça me fatigue, les histoires c’est au cinéma, je préfère les essais. » Depuis ses études en design graphique au London College of communication, sa pensée a cheminé et il boulotte de la matière grise sans se prendre au sérieux. « Inévitablement, on me pose souvent la question : Pourquoi barrez-vous vos messages ? Je me les adresse d’abord à moi-même et le fait de les barrer signifie que je me suis posé la question et que je peux passer à la prochaine. Il y a des gens que cela dérange beaucoup, qui se sentent obligés d’aller dans une conversation dont ils n’ont pas envie. C’est l’idée. J’ai du mal avec ma tête alors je pourris un peu la vie des autres », s’amuse-t-il.
« L’art c’est réussir à dialoguer avec des gens qui n’étaient pas forcément d’accord avec toi et c’est ça qui est génial ».
Entre son dieu vivant, le linguiste Noam Chomsky, et son dieu mort le psychologue et sociologue Paul Watzlawick, siège dans son panthéon des penseurs, Nassim Nicholas Taleb, qui a notamment développé le concept de Via Negativa, l’addition par la soustraction, less is more. Il s’agit de se concentrer justement sur l’essentiel. « Il a popularisé ce que disait Saint-Exupéry : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». Un concept qui a fait mouche dans la pensée arborescente d’Alexis qui a fait le chemin inverse d’un graffeur. Là où ce dernier perfectionne son lettrage, lui, a opté pour la typographie la plus simple, qu’il vient raturer, comme s’il projetait sa propre pensée, réglant en une seule formule la thèse, l’antithèse et la synthèse. Du moins en apparence, car s’il utilise cette dialectique c’est pour ouvrir la discussion et l’échange d’idées, d’opinions. Il accole souvent trois petits points comme pour souligner que le débat reste ouvert. « Je ne condamne pas une seule réponse. L’art c’est réussir à dialoguer avec des gens qui n’étaient pas forcément d’accord avec toi et c’est ça qui est génial ».
Durant les confinements, c’est depuis Rio, où il vit désormais, qu’il fomente les différentes expositions et installations qu’il a pu faire en 2021. A commencer par « Joseph Grand », à la galerie Backslash, qui est traversé par les concepts de Via Negativa et d’Anti-fragilité qui revient à transformer les éléments négatifs en une force positive. Cela lui plaisait beaucoup de semer la confusion en nommant son exposition d’un nom propre et pas n’importe lequel : « Joseph Grand est un personnage secondaire de La Peste de Camus, un gratte-papier qui rêve d’écrire un roman mais il bute sur la première phrase. A la fin du roman, il finit par trouver la solution en enlevant tous les adjectifs. Comment dire beaucoup avec très peu de mots, c’est le principe de Twitter, le reflet de de notre époque. » Rero décode ainsi le monde, face à l’adversité et les sentiments contradictoires qui nous pénètrent, en évitant les écueils du simplisme, en allant droit au but, il questionne le consumérisme et l’après.
.jpg)
Sans renier ses premiers amours, il conserve du graffiti une manière intrusive d’intervenir dans des espaces ou de détourner des objets qui ne sont pas conçus pour recevoir une œuvre ou être le lieu d’un acte artistique. Il investit ainsi jusqu’au 30 août les différents bassins et mers de l’aquarium de Paris avec ses aphorismes qui amusent autant qu’ils donnent à réfléchir : “Faisons comme si de rien n’était…”, “Mal de mer”, “Antifragile”, “Agir sans agir…”, “Croître ou s’améliorer…”, “Happy oyster don’t make pearls…”, ou encore “Try to think Less…” chez les méduses dépourvues de cerveaux, les imbéciles heureuses des profondeurs maritimes qui se laissent emporter par les courants. « À part la méditation, c’est vraiment compliqué de mettre son cerveau sur pause », réagit Rero qui crée constamment des courts-circuits intellectuels.
Qu’il déforme les accords toltèques avec un “Always do your worst” (en référence à “Faites toujours de votre mieux”) collé sur un miroir, grave “Burn Out” ou “Je gère”, sur du bois brûlé, le choix du lieu ou du support est rarement le fruit du hasard. Tout est affaire de contextualisation. Derrière la magie de la simplicité, il se met en surchauffe pour parvenir à mettre en image des mots et les rendre plastiques. « C’est un effort constant, c’est comme un accouchement, je veux que cela soit hyper simple, et pour cela je fais un entonnoir ». Sur ses cahiers griffonnés, il compile des citations, des paroles de chansons, des jeux de mots, et attend le bon moment, le bon contexte pour les partager. Un pied dans l’art conceptuel, un autre dans l’art urbain, une main dans le land art, Rero est un mix et s’affranchit des frontières. « Les limites entre les domaines sont désormais plus poreuses et ma pratique du détournement s’inscrit dans plusieurs courants et n’ont jamais qu’une seule lecture. »
.jpg)
Où voir ses œuvres cet été ?
- – « Immens(lim)ité » à l’Aquarium de Paris
– L’Essentiel, expérience d’art éphémère organisée par Art Azoi avec 40 artistes, du 26 juin au 29 août 2021, l’accès gratuit sur réservation, square Alban-Satragne, Paris 10e
–Façade du 104, 5 rue Curial, Paris 19e
-EMUA, Ephemeral museum of urban art jusqu’au 25 juillet à la LX Factory, Lisbonne