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Rentrer en France après deux ans à l’étranger : 5 constats

Et aucun ne mentionnera le prix de la baguette, promis.

Par
Malia Kounkou
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Le 14 août 2019, permis d’étude fraîchement reçu en poche, je quittais la France pour atterrir six heures plus tard sous le soleil caniculaire de la ville de Québec. Puis, le 23 août 2021, 60kg de bagages en soute, mes fidèles Doc Martens et moi foulions de nouveau la terre de Jul après deux années d’éloignement.

Durant ce long (et beau) pèlerinage, pas une seule fois je ne suis revenue en France. Ni temporairement pour les vacances, ni pour célébrer les fêtes en famille, ni pour visiter des amis ou même me rendre à un enterrement — rien, niet, nada.

C’est donc trépignante d’impatience que je remontais le terminal 2A de l’aéroport Roissy Charles-De-Gaulle, des prédictions aussi rêveuses que rocambolesques en tête. À ce stade d’imagination, je m’attendais presqu’à ce que les Twingos aient appris à voler en mon absence.

Mais la réalité s’est avérée bien plus renversante.

Liberté, égalité, trottinettes

Bien que les voitures volantes soient encore de l’ordre du mythe, les trottinettes électriques, elles, sont plus que jamais dans l’air du temps. Partout où mes yeux se posent, une armée de deux-roues sillonnent désormais la chaussée, défiant voitures et feux tricolores. De loin le plus grand choc de mes premières vingt-quatre heures en France.

Chose assez dingue: je n’ai vu que cinq Vélib’ depuis mon arrivée.

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Car, de mon temps (ici comprendre: 2018-2019), les trottinettes étaient encore sources de scepticisme. Dans les bons jours, elles faisaient un peu ricaner — autant traverser Paris avec un petit vélo à roulettes, pendant qu’on y était. Dans les mauvais, lorsqu’elles gisaient au sol à en faire trébucher un passant sur deux, elles faisaient râler.

Puis 2019 est arrivé et Paris a apparemment été couronnée capitale mondiale de la trottinette électrique. Depuis, rien n’a plus jamais été pareil. Dans les rues, ces patinettes à moteurs font à présent la loi, gagnant du terrain sur les vélos. Chose assez dingue: je n’ai vu que cinq Vélib’ depuis mon arrivée. Qu’ont donc ces trottinettes d’aussi exceptionnel pour réunir autant d’adeptes ? Par peur d’y succomber, je n’essaierai pas de le découvrir (…pour l’instant).

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« Eh, mad’moiselle ! »

Ah, le harcèlement de rue. Ce baptême du feu inévitable pour celles qui osent marcher dans la rue — et en jean, en plus, ces provocatrices. Si le Québec m’a offert un cadeau, c’est bien celui d’avoir appris à baisser ma garde. Qu’importent la longueur de mes shorts ou l’échancrure de mes cols, je ne ne souviens pas m’être fait une seule fois aborder ou reluquer tel un morceau de viande vendu en promotion rentrée chez Carrefour.

Sans idéaliser pour autant la situation des femmes au Québec, j’y ai néanmoins trouvé une manière d’exister sans être objectifiée.

Il m’a même fallu dés-apprendre certains mécanismes de survie intériorisés — regarder derrière soi toutes les treize secondes lorsque je rentre après dix-neuf heures, éviter instinctivement de marcher près d’un groupe de plus de deux hommes, changer de trottoir à la seconde où je me sens suivie, prévoir un pull large pour masquer ma cambrure, et j’en passe. Sans idéaliser pour autant la situation des femmes au Québec, j’y ai néanmoins trouvé une manière d’exister sans être objectifiée.

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En préparant mon retour en Hexagone, je m’attendais donc à être confrontée à un certain choc culturel. Verdict ? En une semaine, je ne me suis fait aborder “que” trois fois et seulement deux fois avec insistance, ce qui n’est pas si mal. Est-ce triste de tirer son optimisme de tels chiffres ? Peut-être. Mais connaissant le bain de sang qu’un égo masculin blessé peut rapidement occasionner, je suis juste contente d’être en vie.

Léna superstar

En apercevant une première fois l’affiche promotionnelle Adidas dans les couloirs de métro, je me suis arrêtée d’un coup, pour le plus grand plaisir du passant qui marchait sur mes talons. J’ai ensuite ausculté le visage de l’égérie publicitaire comme on tenterait de replacer une tête lointaine mais familière d’un garçon sur le quai d’en face — était-ce bien Dylan, ce fameux petit blond qui, en CE2, avait vomi sur sa flûte à bec ?

Cette frustration d’avoir le nom sur le bout de sa langue sans pouvoir le vocaliser ne m’a pas quittée. Sans compter que tout le long de mon trajet, ce même visage sponsorisé Adidas me suivait sous différentes formes: affichages d’abribus, tunnels de RER… Et puis, au détour d’une conversation, bingo: Léna Situations. Une énigme de résolue.

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Blogueuse et influenceuse, je ne connaissais Léna à l’époque qu’à travers le rectangle de ses vidéos YouTube — ce qui explique ma difficulté à la reconnaître en dehors. Deux ans plus tard, ce rectangle s’est agrandi jusqu’à placarder quasiment toutes les rues de Paris en passant par le toit des magasins Printemps, la couronnant de facto maire de la ville. Étrange que Wikipedia indique encore le nom d’Anne Hidalgo…

Hot Anti-vaxx Summer

En sortant du terminal de l’aéroport — oui, cet article n’est pas chronologique — la première discussion réelle que j’ai tenue était avec une passante fermement opposée au passe sanitaire comme à la campagne de vaccination. J’étais dans le hall, mon chariot rempli à craquer de deux années de vie stationné devant moi, à essayer de joindre mon père malgré un wifi instable, et l’une des premières choses que j’ai entendu a été: « Vous savez qu’ils mettent des aimants à ondes électromagnétiques dans les vaccins pour pouvoir mieux contrôler la population à distance ? » Non, je ne le savais pas. Vous savez où est mon père, par contre ? On a chacune ses questions, ici, Madame.

Passer du chaud au froid pousse à se demander ce qui a pu favoriser l’élan de vaccination dans un pays et le freiner dans l’autre.

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Cette anecdote me fait rire car elle témoigne finalement d’un état d’esprit général. Ce sentiment se distingue d’abord tout bas, à travers des bribes de conversations sceptiques dans le métro, ou dans les commentaires des clients dès qu’un établissement vérifie la validité de leurs passes ou encore dans les regards appuyés que tu récoltes si tu continues à porter ton masque en public. Il éclate ensuite au grand jour lors des manifestions contre l’instauration du passe sanitaire qui ont le plus souvent lieu en fin de semaines aux quatre coins de la France.

Tomber dans cette ambiance juste après avoir connu celle québécoise est, je dois dire, assez fascinant. De l’autre côté de l’Atlantique, l’heure est à l’effort commun pour s’en sortir au plus vite. Le consensus large est donc d’aller se faire vacciner en grand nombre et ceux opposés sont considérés comme minoritaires et marginaux — de ce que j’ai pu constater. Passer du chaud au froid pousse à se demander ce qui a pu favoriser l’élan de vaccination dans un pays et le freiner dans l’autre. Une mauvaise communication ? Un manque de transparence ? Une trop grande individualité ? Peut-être aurons-nous nos réponses un jour.

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Pimp my ligne 14

Pendant que je n’étais pas là, ma ligne de métro préférée a subi un relooking de l’extrême. Finies les lumières ternes de la station Gare de Lyon. Envolés les sièges tantôt gris les jours pairs, tantôt bleu délavé ceux impairs. À présent, la ligne 14 possède des néons rouge sang sur ses voies pour une petite ambiance mi-nightclub, mi-second-volet-de-Twilight. Quant à ses strapontins, ils sont maintenant dans une jolie teinte orange Halloween qui donne presqu’envie d’y rester assis plus longtemps.

j’en suis venue à me demander si, en deux ans, tous mes repères familiers avaient bel et bien disparu.

Chose parfaitement faisable, d’ailleurs, au vu du rallongement colossal de la ligne. De neuf petites stations se fixant droit dans les yeux, la 14 a été étendue jusqu’à la Mairie de Saint-Ouen et doit même desservir sous peu l’aéroport d’Orly via huit villes voisines.

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Bien qu’amatrice de changements, je me souviens avoir été légèrement déboussolée lorsque j’ai repris cette ligne pour la première fois depuis 2019 — dans la mauvaise direction, qui plus est. En quête du bon quai, j’en suis venue à me demander si, en deux ans, tous mes repères familiers avaient bel et bien disparu.

Jusqu’à ce qu’on me bouscule sans vergogne dans les escaliers et que je me dise: ça, c’est la France que je connais.