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Rentrée : et si on passait aux uniformes non genrés ?

Au Québec, une marque se donne comme mission d’habiller les jeunes au-delà des préjugés.

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Si en octobre 2020 les garçons québécois qui ont décidé de porter la jupe pour aller à l’école vous ont choqué, préparez-vous à en voir de plus en plus. Ce mouvement avait comme objectif de dénoncer le traitement différentiel des jeunes filles et la sexualisation de leurs corps. Cependant, le désir qu’ont les jeunes de pouvoir vivre plus librement leur expression de genre est toujours d’actualité.

Pour la rentrée 2021, leur appel a été entendu chez Raphaël U. Tammy Hattem et Patrick Lepage, les deux propriétaires de la marque d’uniformes ont lancé une collection non genrée pour permettre aux jeunes de choisir entre 30 pièces à leur guise.

Je me suis entretenue avec Tammy Hattem à propos de sa volonté de faire avancer cette cause dans les écoles du Québec.

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Laisser la parole aux jeunes

Diplômée en commercialisation de la mode, Tammy Hattem conçoit des uniformes depuis maintenant 18 ans. Elle se souvient qu’on l’a souvent découragée de se lancer en affaires dans le monde du textile : « On se fait dire que c’est une industrie archaïque et qu’on n’arrivera pas à faire sa place. Moi, j’entends ça et je vois une occasion d’aller moderniser cet univers .»

« Avec la collection, on veut éliminer ces barrières qui empêchent de porter le vêtement avec lequel on est à l’aise »

Pour ce faire, Tammy Hattem compte sur sa proximité avec les jeunes. « Patrick et moi avons trois garçons. Ils nous tiennent au courant de ce qui importe pour les plus jeunes générations. De plus, on emploie chaque année près de 200 jeunes. C’est important pour nous de savoir ce qui leur tient à cœur. »

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C’est de là que l’idée de proposer une collection d’uniformes non genrés. Tammy Hattem estime que Raphaël U a un rôle à jouer dans les revendications des jeunes à propos de l’égalité de genre: « On était fier·e·s de voir les jeunes aller l’année passée, en voyant les garçons porter de nos jupes à l’école. On s’est assis avec certain·e·s de ces jeunes en table ronde et en groupe de discussion pour créer une collection qui correspond à leurs besoins. »

Crédit: Raphaël U
Crédit: Raphaël U

Le but de la collection est de rendre le choix de vêtements plus accessible pour celleux qui le désirent. « Oui, ça pouvait arriver, par exemple que les jeunes filles allaient chercher des vêtements dans la section masculine. Elles nous ont dit que ça leur causait un malaise et que ça pouvait les gêner. Avec la collection, on veut éliminer ces barrières qui empêchent de porter le vêtement avec lequel on est à l’aise. »

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Tammy Hattem donne l’exemple des shorts d’éducation physique pour illustrer le fonctionnement de la collection: « On a deux modèles: le basketball, plus long et ample, et le soccer, plus court et près du corps. Il n’y a pas de shorts de gars et de shorts de filles. »

Un travail de sensibilisation

« Les jeunes sont partants, mais il faut aussi convaincre les directions d’écoles et les comités de parents », reconnaît la copropriétaire. « On fait bien attention de respecter le rythme des écoles pour ne pas trop les chambouler. »

«Oui, il y a encore des gens qui sont hésitant·e·s. C’est important pour nous de sensibiliser et de montrer que c’est un mouvement qu’on appuie.»

Si l’inclusion de certains vêtements comme les jupes dans la collection non genrée reste encore délicate pour certaines directions, Tammy Hattem a l’intention de les convaincre, lentement, mais sûrement. « Oui, il y a encore des gens qui sont hésitant·e·s. C’est important pour nous de sensibiliser et de montrer que c’est un mouvement qu’on appuie. Il y a toujours des pionnier·e·s qui vont porter les vêtements en premier. Ensuite, la tendance devient plus populaire. »

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Elle s’étonne tout de même de ne pas avoir rencontré plus de résistance. « On pensait que ça allait être difficile, mais à ce jour, 85 % de nos écoles ont emboîté le pas ou considèrent la collection pour l’année prochaine. » C’est une tendance qui s’observe depuis les dernières années en dehors du Québec. Même au Japon, patrie du fameux uniforme d’écolière, les établissements scolaires assouplissent leurs règles pour permettre aux élèves de porter les vêtements de leur choix, peu importe leur genre.

Invitée à participer au forum Inclusion et diversité de la Semaine Mode de Montréal, le 14 septembre prochain, Tammy Hattem perçoit des signes prometteurs pour l’avenir: « Quand les grands de l’industrie s’intéressent à ce que tu fais, les choses se mettent à avancer encore plus vite. »

Crédit: Raphaël U
Crédit: Raphaël U
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Des vêtements pour tout le monde

Si le mot « uniforme » évoque forcément « l’uniformisation », pour Tammy Hattem il permet plutôt le contraire. « Avec l’uniforme, on veut laisser l’espace à la personnalité des jeunes, peu importe leur apparence ou leur situation économique. Tout le monde porte le même vêtement, mais ça ne veut pas dire que tout le monde est pareil. »

La propriétaire de Raphaël U estime que plus de marques devraient être responsables de leur produit à toutes les étapes de son existence.

C’est pourquoi l’inclusion est particulièrement importante aux yeux de la créatrice : personne ne doit se sentir mis à part. « Nos tailles vont jusqu’au 3X, mais on fera des habits sur mesure pour les jeunes qui portent des vêtements au-delà de cette taille. Même chose pour les petites personnes ou les personnes en situation de handicap. On va aussi faire l’effort de changer les boutons pour des velcros ou de changer les tissus pour accommoder les personnes qui ont une hypersensibilité au toucher. »

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Même dans les écoles publiques, Tammy Hattem considère que les uniformes cadrent bien avec les valeurs progressistes de la compagnie. « En prenant la peine de faire un vêtement durable et solide, avec des matériaux éthiques, on combat la fast fashion. La beauté de l’uniforme c’est qu’après l’avoir porté, on peut le donner à un membre de la famille. On reprend aussi les uniformes pour les donner dans les friperies. »

La propriétaire de Raphaël U estime que plus de marques devraient être responsables de leur produit à toutes les étapes de son existence, pour le garder accessible, mais aussi pour réduire l’impact de la production sur l’environnement.