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Initialement prévu pour être diffusé sur la plateforme Paramount +, le nouveau long-métrage de Tina Fey, Mean Girls Musical (Lolita malgré moi, en français), aura finalement le droit à sa sortie en salles le 12 janvier 2024. Et le film est déjà sous le feu des critiques. Sorte de remake hybride de la version originale de 2004 avec 20 ans d’écart et une ribambelle de chansons en bonus, le teen-movie culte des Millenials, qui a permis à l’actrice Lindsay Lohan d’accéder au rang de superstar pour ados et à Rachel McAdams (la comédienne qui est tombée dans une marmite de formol après N’oublie Jamais) de se faire connaître du grand public, aurait perdu de sa magie et de sa portée comique auprès des plus jeunes générations.
Très populaires à l’époque et présentées comme progressistes, les vannes et la galerie de personnages qui fréquentent le lycée North Shore High ne font aujourd’hui plus l’unanimité. Pire, elles seraient carrément datées, au regard des nouvelles grilles de lectures féministes. Alors, la madeleine de Proust des trentenaires nostalgiques est-elle pour autant devenue le petit cannelé tout sec et anachronique de la pop-culture ? Les studios hollywoodiens ont-ils bien fait de remettre une pièce dans cette grosse machine à remonter le temps cinématographique ? Bref, avait-on vraiment besoin de recycler l’histoire des Plastiques – les pestes de l’école, qui ne jurent que par la couleur rose et l’humiliation des autres élèves – pour attirer le public dans les salles obscures ? Nombre de journalistes américain.es pensent que non. Et on vous explique pourquoi ce retour ne suscite pas que de l’enthousiasme outre-Atlantique.
UN FILM RACISTE ?
C’est la principale critique exprimée à l’encontre du long-métrage original de Tina Fey et Mark Waters : sous son apparente modernité, l’œuvre serait en réalité rétrograde et teintée de nombreux préjugés racistes. De l’héroïne du film, Cady Heron, dont on sait seulement qu’elle a passé son enfance dans ce grand pays qu’est “l’Afrique” (sans que ne soit jamais évoqué le nom d’un des 54 états souverains que compte le continent, comme s’il s’agissait d’un territoire parfaitement homogène aux cultures et aux peuples indifférenciés), à la présentation des différents groupes du lycée qui évoque la clique des “asiatiques nerds” (forcément ringards et matheux) ou bien celle des “noirs sexy mais hostiles” (stéréotype des personnes noires érotisées, présentées comme objets de désir mais aussi de méfiance), en passant par l’hypersexualisation des femmes asiatiques que sont Trang Pak et Sun Jin Dinh, deux élèves ayant toutes les deux une liaison avec le prof de sport du lycée, sans que le caractère problématique de cette relation ne soit jamais sérieusement adressé, le film accumule en effet quelques clichés et certain.es lui reprochent de fétichiser ses personnages non blancs. Même si le scénario s’attache aussi en parallèle à tourner en ridicule le racisme intériorisé des protagonistes (ex : lorsque l’héroïne croit bon d’adresser un salut en swahili à ses camarades afro-américains, ou que la prof incarnée par Tina Fey pense que la nouvelle élève en provenance d’Afrique ne peut-être qu’une ado noire, qui est en réalité originaire du Michigan) cela ne suffit pas à l’absoudre de ses biais.
UN FILM SEXISTE ?
Avec Tina Fey aux manettes, une artiste et humoriste connue pour ses prises de position féministes, on pourrait croire que le film échappe à certains poncifs. Pourtant, il faut bien l’admettre, il ne passe même pas le test de Bechdel (un test inventé par l’autrice Alison Bechdel dans les années 80 pour évaluer la manière dont sont représentées les femmes au cinéma. Les exigences sont : qu’il y ait au moins deux femmes ; qu’elles aient droit à un dialogue ; qu’elles parlent d’autre chose qu’un homme). En effet, l’intrigue entière repose sur un lieu commun bien misogyne et éculé : la soi-disant rivalité féminine. Et de préférence à propos d’un garçon. Ainsi, Regina Georges, la cheffe du trio qui fait la pluie et le beau temps dans les couloirs du lycée, entre en conflit avec l’héroïne car elle décide de retenter le coup avec son ex petit-copain. Ce dernier se trouve être aussi l’intérêt amoureux de Cady, dont Regina a recueilli les confidences sous prétexte de l’aider à le séduire. S’ensuit une longue série de trahisons et de petites mesquineries, qui aboutira à la dégringolade de l’ancienne reine de l’école dans la hiérarchie du cool, et le couronnement de Cady. Cette dernière deviendra finalement aussi peste que sa prédécesseure et perdra l’estime de son entourage en cours de route. Bien que la sororité reprenne le dessus lors de l’épilogue, elle n’est pas le fruit d’une prise de conscience collective, mais une initiative individuelle et quasi messianique de la part de l’héroïne, qui décide de faire amende honorable lors d’un grand discours de fin d’année…
La manière d’opposer systématiquement le physique et l’intelligence des femmes est également dans le viseur des critiques. Ainsi, les membres de la clique des Plastiques, qui se soucient beaucoup de leur apparence, ne peuvent être autre chose que dénués d’intelligence. Il semble impensable pour les auteur.es de l’histoire que l’on puisse faire à la fois preuve de sagacité dans ses exposés en classe, et dans le choix de ses tenues vestimentaires. D’ailleurs, lorsque la fameuse Regina devient véritablement un être humain fréquentable, et pas une simple caricature de harpie, son look change pour devenir plus neutre, moins voyant, et elle laisse ses talons aiguilles, ses mini jupes et ses habits roses au placard. Enfin, sous couvert de lutter contre le sexisme, le personnage de professeure incarnée par Tina Fey invite les adolescentes à cesser de s’appeler “slut” (traînée) et “whore” (catin) entre elles, car cela incite les hommes à utiliser ces termes pour les désigner. Pour les critiques les plus sévères du film, c’est le pompon ! Cela signifierait que les femmes sont responsables des insultes qu’elles reçoivent.
MEAN GIRL A LA POUBELLE ?
Alors, faut-il pour autant cesser de regarder le film de 2004, mais également boycotter la version à venir, comme nous invitent à le faire certains médias outre-Atlantique ? Probablement pas. Et vous ne serez pas moins féministe, ou en décalage avec vos valeurs et vos idées, si vous continuez à vous poiler devant les gags du long-métrage, tout en l’analysant pour ce qu’il est. C’est-à-dire : peut-être pas un film engagé, mais une œuvre doudou un peu désuète, et une formidable unité de mesure pour jauger des mentalités passées ainsi que du chemin parcouru depuis deux décennies (et de celui qu’il reste encore à faire). Car malgré ses nombreux défauts, Mean Girls reste encore aujourd’hui une remarquable tentative de faire exister, au début des années 2000, les femmes dans le genre de la comédie. À plus forte raison dans la comédie destinée à un jeune public.
Car hormis la filmographie caustique, résolument queer, et plus nichée d’un John Waters (Cry-Baby, Hairspray) ou une pépite comme La Revanche d’une Blonde, sorti en 2001, et qui malgré son féminisme très blanc bourgeois, parvient à éviter les écueils du long-métrage de Tina Fey ; il n’y avait alors pas grand chose à se mettre sous la dent. Cela saute aux yeux lorsqu’on s’attarde sur le paysage audiovisuel américain de l’époque, saturé par les teen-movies graveleux, les films de potes obsédés par leurs bites et leurs hormones, ou bien ceux de stoners obnubilés par leurs joints. Des genres dans lesquels les femmes sont réduites à des fantasmes et des supports masturbatoires, ou dans le meilleur des cas à des éléments du décor qui s’effacent derrière les volutes de fumée (dans le désordre : American Pie, Harold et Kumar, Eh mec, elle est où ma caisse ? 40 ans toujours puceau…) De véritables cartons au box-office mondial, qui ont pourtant beaucoup contribué à renforcer les stéréotypes genrés, à exalter le soi-disant potentiel comique de la libido masculine – supposée ingérable et blang-seing à tous les comportements sexistes – et sont aujourd’hui bien plus difficiles à mater sans s’étrangler devant son écran.
Quant à la nouvelle version annoncée, le temps nous dira si elle vaut le coup et si elle a véritablement su aborder les problématiques qui ont été pointées du doigt. Notons toutefois, pour les plus nostalgiques d’entre-vous, que les têtes d’affiche du film original (Amanda Seyfried, Lindsay Lohan, Rachel McAdams, Lacey Chabert, Lizzy Caplan…) n’ont apparemment pas résigné, faute d’accord financier satisfaisant. Cela dit, si vous ête en manque de comédie cultes et déjantées, qui n’ont pas peur de sortir des sentiers battus et de mettre en scène des personnages féminins plus complexes et surtout moins policés, on vous recommande chaudement Booksmart (sorti en 2019), mais également Bottoms, qui est déjà un très gros succès populaire et critique outre-Atlantique (à paraître sur la plateforme Prime Vidéo en France courant novembre), dans lequel deux meilleures amies ringardes créent un fight club au lycée, pour enfin plaire aux filles de leur école.