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Relations épistolaires et promenades dans les parcs: le romantisme à l’ère du COVID

En toute chasteté.

Par
Mathilde Nabias
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Célibataire depuis le mois de mars, June[1], ma cousine qui vit à Rennes, me raconte qu’elle avait prévu de faire des rencontres « à l’ancienne », avant d’être rattrapée par le confinement. Je tique sur la formulation, fait-elle partie des nostalgiques du temps où le hasard remplaçait les écrans pour trouver l’amour ? « Pas du tout ! Je parle d’un match Tinder avec un type sympa qu’on retrouve au bar le soir-même ! »

Ah, c’est donc ça, le passé. Mon cœur se serre un instant en pensant à ce monde « d’avant », où il suffisait de commander une bière en attendant son match, et de se laisser porter par le jeu de la séduction au milieu des conversations animées. Pourtant June a l’air heureux et pas du tout empêchée de découvertes sentimentales. Piquée par la curiosité, je lui demande comment s’est passée pour elle cette période.

« Au final, le fait de vivre tous la même chose permettait d’entrer en conversation facilement. Ça nous rapprochait. »

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Au début me dit-elle, l’inquiétude liée à l’épidémie polarisait toutes les conversations, relayant la rencontre vers un hypothétique futur. « Les premières semaines, j’ai principalement discuté en ligne. Comme on savait qu’on n’allait pas pouvoir se rencontrer tout de suite, personne n’avait trop de critères. Je crois qu’à ce moment là on voulait juste casser un peu l’isolement, partager avec d’autres ce sentiment bizarre et angoissant de vivre une pandémie. Au final, le fait de vivre tous la même chose permettait d’entrer en conversation facilement. Ça nous rapprochait. »

L’échange d’expérience et de ressenti autour de la pandémie faisait rapidement dévier les conversations vers quelque chose d’intime, mais le corolaire de tout ça, c’est que la drague était mise de côté. Pour June c’est une découverte qu’on devrait tous faire et qui n’empêche en rien l’éclosion du désir. « La séduction est perçue comme un jeu de dupe, un espace où l’on dissimule pour mieux attraper l’autre, finalement c’est une forme de manipulation. Là, le fait de n’avoir pas d’horizon physique immédiat a donné lieu à des conversation super intéressantes, où chacun se racontait lui-même, sans que ne transparaisse en permanence l’objectif amoureux ou sexuel. C’était très reposant ! »

« J’ai écrit une lettre que j’ai déposée sous son paillasson. C’était très érotique en fait, je savais qu’il était de l’autre côté, que je n’avais qu’à sonner… »

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Mais après trois semaines de confinement, June a eu envie de pimenter un peu ses nouvelles rencontres. Pour donner une consistance physique à ses matchs, elle s’est mise à écrire des lettres. « C’est un mec avec lequel je discute depuis le début du confinement. Un jour il m’a donné son adresse pour que je passe le voir. J’ai écrit une lettre que j’ai déposée sous son paillasson. C’était très érotique en fait, je savais qu’il était de l’autre côté, que je n’avais qu’à sonner… mais je suis repartie, en imaginant sa tête lorsqu’il trouverait ma lettre non timbrée, sachant que quelques heures avant je m’étais trouvée là. » Celui qu’elle appelle Ben s’est pris au jeu, et ils ont échangé plusieurs « missives », sur un mode romantico-érotique jusqu’au déconfinement. « En temps normal, c’est sûr qu’il n’aurait jamais voulu faire un truc pareil. Trop littéraire, trop engageant peut-être par rapport à une bonne pinte en terrasse ! »

La rue comme terrain de séduction

Hors des applis de dating, avec la fermeture des bars et des restaurants, la rue redevient un lieu où l’on accepte de se rencontrer. « Ça se sent qu’on est tous plus seuls que d’habitude. En temps normal je réponds jamais quand on me parle dans la rue. Mais avec le confinement je me laissais arrêter pour discuter avec un inconnu de passage. Une fois, j’ai pris un mec sur mon porte-bagage pour le raccompagner chez lui. Il s’est rien passé de plus que cette proximité de voyage, on s’est juste dit au-revoir devant sa porte, mais en rentrant chez moi je sentais son parfum sur ma veste…»

« On se parlait sans se regarder, c’était marrant d’être tout près sans l’être, de ne pas pouvoir se toucher. »

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Et puis, à la réouverture des parcs le 11 mai, June a découvert qu’un banc est une aussi bonne place pour faire des rencontres qu’une table de bar. « Je suis toujours venue dessiner au parc du Thabor[2], c’est endroit superbe et j’habitude juste à côté. Maintenant en plus, j’y rencontre des gens. J’ai l’impression que la fameuse « distanciation sociale » nous fait prendre conscience de notre besoin de sociabilité. Au parc, on se parle beaucoup plus facilement qu’avant. L’autre jour, j’ai passé l’après-midi avec un mec qui s’était assis à l’autre bout du banc et qui a engagé la conversation. On se parlait sans se regarder, c’était marrant d’être tout près sans l’être, de ne pas pouvoir se toucher. »

Au déconfinement, June a refusé la rencontre en appartement avec ses matchs tinder. « On se retrouve direct enfermés, derrière une porte, avec la chambre comme horizon. C’est pas très drôle, il reste plus grand chose de l’imprévu qui est toujours possible à l’extérieur. Avec Ben, on a cherché des lieux marrants qui pourraient faire office de ‘restaurant’, pour faire événement. Finalement, on s’est retrouvé sur un chantier la nuit, avec un panier de pique-nique et des bougies. Le grand jeu ! Alors qu’on sait bien qu’aucun de nous deux n’a envie d’une relation… »

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Ce qui ne l’empêche pas d’utiliser les codes du romantisme pour faire advenir ces moments de vie qui sortent de l’ordinaire et qui la font rire. « Je trouve qu’on est trop frileux avec ça. Écrire une lettre, marcher toute une nuit dans la ville, se rencontrer sur une banc, c’est des images de films, mais ça veut pas dire qu’il y a derrière de l’engagement, un attachement hors-norme… C’est juste une manière de rendre les choses un peu plus jolies. On vit une période pas très marrante, où tous les jours se ressemblent, où rien de ce qu’on pouvait faire avant n’est plus possible. En même temps, ça nous éveille l’imaginaire. Pourquoi on ne pourrait pas vivre comme dans un Fellini ? »

Ainsi, le confinement lui aura permis de s’amuser en dehors des codes de la drague habituels, de redécouvrir le plaisir qu’il y à inventer des moyens de communiquer et de se rencontrer autrement. Des rencontres « à l’ancienne », finalement…

[1] Le prénom a été changé à la demande de l’intéressée.

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[2] L’un des grands parcs de Rennes.