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Reconfinés dehors

Comment les SDF parisiens composent avec la COVID-19 et le reconfinement.

Par
Clotilde Bigot
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Confinés dehors sans attestation. On les croise sur les trottoirs de certaines rues bondées de la capitale, en faisant parfois semblant de ne pas les voir. Avec la pandémie, le confinement et le reconfinement, le quotidien des SDF parisiens a changé radicalement, du jour au lendemain. Pour URBANIA, ils se confient.

Sullivan Foucart

Sullivan, 28 ans. Dès l’âge de seize ans, ce « punk à chien » a décidé de quitter le domicile familial, car « ça n’allait pas du tout » à la maison. Il a traversé la France: de Valenciennes à Toulouse, en passant par Vichy et Lyon. Cela fait bientôt treize ans qu’il est à la rue. « À chaque fois que j’étais à la rue avec des potes, ça s’est mal passé: il se passe toujours quelque chose dehors ». Alors aujourd’hui, il ne compte que sur son compagnon à quatre pattes, Boubouille. « C’est mon enfant ce chien, même si j’en ai déjà un… » Boubouille est le cinquième chien de Sullivan. Celui qu’il avait avant est tatoué sur son bras: Lucifer, mort à trois mois. « On me donne souvent des croquettes pour mon chien. Les gens pensent au chien c’est bien. Mais une fois, on a refusé de lui donner de l’eau alors qu’il faisait très chaud, c’était à Argelès sur Mer », se souvient il. Une jeune fille est finalement arrivée, un sac rempli de sachets de croquettes. « Elle travaillait dans une clinique vétérinaire pas loin, elle m’a vu avec mon chien », raconte Sullivan, habitué à ce que son chien attire l’attention.

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« Avec le confinement, on ne gagne pas d’argent, alors c’est compliqué », confie-t-il. « Je pense qu’il sera prolongé en plus, et ça va pénaliser les gens pendant les fêtes. Moi je m’en fiche, mais c’est dommage de retirer Noël aux gens ».

Pour l’instant, Sullivan reste rue du Renard, mais il doit aller voir « une fille » en Bretagne. « J’attends de récupérer un portable pour la contacter et qu’elle me dise où exactement », dit-il en rigolant. Une lueur d’espoir sous la pluie parisienne.

Sidi Mouctar Demba

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« Le gouvernement aide beaucoup les gens ici, le 115 notamment. » Sidi, 23 ans, est migrant. Il vient du Sénégal et vit de la débrouille, à l’aide des associations et des bons plans. Alors qu’il lit Comment parler en public dans un parc aux abords du Canal Saint Martin, il s’arrête pour nous raconter son quotidien. « J’habite seul dans une tente sur le long du Canal, j’ai des voisins avec qui je m’entends bien ». Sidi ne fait pas la manche, il « reste discret » et maintient les apparences. « Si je ne dis pas aux gens que je vis dans une tente, ils ne le savent pas ». Ses parents non plus, au Sénégal, ne savent rien de sa situation. « Quand je les appelle, je leur dis que ça va, je ne veux pas les inquiéter », raconte celui qui se cache en continuant ses démarches pour l’obtention d’un titre de séjour. « Moi, je n’ai pas trop peur du Covid, j’applique les gestes barrières, je porte un masque, j’évite les foules… Je trouve cela dommage qu’ils aient fermé certains commerces: les supermarchés restent ouverts alors que d’autres seront très impactés par le confinement », dit-il en pensant aux libraires ou petits commerçants déjà affaiblis par la première vague.

Malgré tout, Sidi prépare son avenir. « Le livre que je suis en train de lire m’apprend à être un leader… Je pourrais devenir président, ou avoir à présenter un projet. Ça me permet d’approfondir mes connaissances, et puis ça fait longtemps que je ne suis pas allé à l’école… ». Quant à la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement français, Sidi n’a rien à redire même s’il ne reçoit aucune aide. « Ils aident beaucoup de monde, tant mieux. »

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Romain

Sorti de prison en janvier dernier, Romain n’a pas réussi à se relever. « J’ai passé trois ans derrière les barreaux, j’ai vendu de la drogue. Au moins, en prison, j’avais trois repas chauds par jour, je pouvais me laver, alors que dans la rue, on passe deux ou trois jours parfois sans manger… » Il a deux filles qu’il voit de temps en temps. « La plus grande m’a dit d’acheter cette veste: « Papa, c’est trop la classe! » Alors j’étais obligé de l’acheter ! », lance-t-il en riant.

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Mais le quadragénaire commence à perdre espoir. « Je vis mal cette situation, j’aimerais travailler dans n’importe quoi. En prison, j’ai passé un diplôme d’agent de nettoyage, je pourrais déjà faire ça! » Dans son sac, il a ses papiers et la preuve de sa sortie de prison. Il dit avoit payé pour ses bêtises et attend maintenant l’aide de l’Etat, surtout en période de confinement. « Les associations sont fermées, il n’y a plus les maraudes. Parfois on doit traverser tout Paris pour avoir de la nourriture », raconte Romain qui a faim.

Installé dans le XVIème arrondissement, entre un supermarché et un parking, les passants ne sont pas toujours bienveillants. « Une dame qui entrait en voiture juste là vient de me dire: « Monsieur vous ne pouvez pas rester ici ». Alors je lui ai dit d’appeler la police », raconte-t-il en haussant les épaules en rappelant qu’il n’a nulle part où aller.

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