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Réchauffement climatique : les présentatrices et présentateurs météo ont-ils un rôle à jouer ?

« Des relais précieux auprès du grand public ».

Par
Audrey Parmentier
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Le bulletin météo va-t-il prendre une tournure politique ? Sourire forcé et ton enjoué devant un « temps ensoleillé » ne semblent plus au menu. Le 15 juin, la vague de chaleur se double d’un sentiment d’agacement et de mécontentement de la part du présentateur météo de BFMTV, Marc Hay. Pour lui, l’heure est au changement de ton. « Nous ne pouvons plus présenter la météo comme avant », admet-il sur les réseaux sociaux. Le traditionnel « il va faire chaud », laisse place à « la France va cramer cette semaine ». Ce coup de gueule interroge le rôle du présentateur météo et la neutralité qui doit ou non en découler.

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À l’intérieur du cercle fermé des climatologues, le débat a déjà eu lieu. Le 20 mars 2019, Adam Corner, directeur de recherche de Climate Outreach, une ONG axée sur les questions climatiques, rédige une tribune dans le journal britannique The Guardian. Sans prendre de pincettes, le chercheur appelle les présentateurs “à prendre leurs responsabilités” en évoquant la crise climatique. « Ils ont une portée nationale pour laquelle la plupart des militants du climat mourraient », lâche-t-il avant de critiquer le mutisme des présentateurs outre-Manche.

« Des relais précieux auprès du grand public »

Dans un style plus pondéré, Françoise Vimeux, climatologue et directrice de recherche à l’institut de recherche au développement (IRD) abonde : « Les présentateurs météorologiques sont des relais précieux auprès du grand public. Ils savent illustrer de manière simple des concepts importants, et les gens les connaissent bien. » À commencer par Evelyne Dhéliat. Aux manettes du bulletin de TF1 et LCI depuis 1991, la vedette du petit écran anime la grand-messe quotidienne qui attire aux alentours de 5 millions de téléspectateurs.

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Pour réaliser ses émissions, la directrice du service météo de TF1 s’appuie sur les données de Météo-France et participe chaque année au Forum International de la Météo et du Climat. Très tôt, Evelyne Dhéliat comprend son rôle à jouer : « On nous montrait les températures grimper et, parallèlement, la courbe de CO2 augmentait de la même façon ». Au début de sa carrière, la star de TF1 se tourne vers les scientifiques pour savoir comment sensibiliser son audience au réchauffement climatique. Petit à petit, elle se met à distiller des conseils écologiques dans ses bulletins.

Un tournant avec la COP 21

Tempêtes de 1999, canicule de 2003, inondations en 2005… Le début du troisième millénaire et son lot de catastrophes entraînent une évolution du discours. En 2014, l’autrice de C’est bon pour la planète : Pour un nouvel art de vivre (éditions Calmann-Lévy) anticipe le bulletin météo d’un jour d’été 2050. « À l’occasion de la COP 21, l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) a demandé à chaque présentateur de faire cet exercice. » La carte devient virale sur les réseaux sociaux, les températures projetées étant proches de celles que l’on connaît actuellement.

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« Il y a eu un changement de dynamique au moment de la COP 21, tous les médias se sont emparés du sujet », renchérit Chloé Nabédian, présentatrice météo sur France 2. De plus en plus visible, le réchauffement climatique s’invite sur les plateaux de télévision. Une carte colorée en arrière-plan, le présentateur fait le lien entre la science et le grand public. Quitte à jouer les professeurs : « On doit parler à tout le monde, c’est un jeu d’équilibriste. Je pars du principe qu’il faut informer et traduire sans trop rentrer dans la complexité, tout en conservant la véracité scientifique.»

Guillaume Woznica, présentateur météo sur LCI, arrive au « cœur de l’action » il y a dix ans. Pour lui, la priorité est la suivante : alerter sur les changements climatiques sans « hystériser le débat » de peur de creuser le fossé entre les climatosceptiques et les autres. À cela, s’ajoute le changement de vocabulaire : « Parfois, on a tendance à annoncer le retour du beau temps, mais ce n’est pas une bonne nouvelle, à cause des périodes de sécheresse », admet Guillaume Woznica. De son côté, Evelyne Dhéliat dit n’avoir jamais utilisé ces notions subjectives : « On ne parle pas de beaux temps ou de mauvais temps.»

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L’importance de différencier climat et météo

Tandis que les températures s’envolent, le bulletin commence à prendre une autre dimension : la météo ne fait plus la pluie et le beau temps. C’est ce qu’explique Karine Durand, présentatrice et spécialiste de la météo sur CNews. « Quand j’ai débuté dans les années 2000, la météo était très axée sur les loisirs. On renseignait les gens sur le fait qu’il allait faire beau pour leur pique-nique. Le réchauffement climatique occupait une place quasi-anecdotique, on ne se sentait pas très sûr d’en parler. Maintenant, on a pris de l’assurance. »

Devant une demande de vulgarisation, le statut et la formation des journalistes météo s’étoffent. « On nous considère de plus en plus comme des experts du climat », se félicite Karine Durand. En plus des présentateurs météo, les climatologues commencent, eux aussi, a être davantage contactés rapporte Françoise Vimeux : « Lors d’événements extrêmes, nous sommes sollicités pour parler de leur lien avec le changement climatique. L’intérêt médiatique est de plus en plus présent, cependant nos interventions restent très liées à l’actualité et sont donc ponctuelles. Nous sommes plus rarement appelés pour des articles de fond. »

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Si maintenant, le lien entre le changement climatique et l’activité humaine est avéré, des obstacles demeurent : la difficulté de différencier la météo du climat. La météorologie vise à prévoir le temps à court terme et à un endroit précis. Les climatologues s’intéressent aux mêmes données atmosphériques, mais les examinent sur un temps plus long, de plusieurs décennies. « Il y a toujours une certaine confusion entre météo et climat. Les notions d’échelle de temps et d’ordres de grandeur sont différentes », déroule Françoise Vimeux. Cette confusion porte préjudice aux journalistes météo quand des climatosceptiques voient dans des températures glaciales, une preuve de l’inexistence du réchauffement climatique.

Vers un modèle à l’américaine ?

Autre difficulté, l’urgence d’informer ne se heurte-t-elle pas au format trop étroit du bulletin météo ? La position stratégique du programme – coincé entre deux journaux – peut se retourner contre lui et devenir un frein à son extension. Chez France Télévisions, le débat est en cours : « On réfléchit à la façon dont on pourrait intégrer ces questions liées au climat à l’intérieur de nos bulletins. On pourrait s’inspirer de ce que fait la BBC, qui réalise un point régulier et en parle tous les jours », suggère Chloé Nabédian.

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En quête d’inspiration, les météorologues regardent vers les Etats-Unis, familiers des catastrophes climatiques. Outre-Atlantique, un programme dirigé par l’Université George Mason en Virginie et Climate Central a aidé plus de 600 météorologues de la télévision à contextualiser leurs prévisions météorologiques avec des informations sur le changement climatique. « Les présentateurs américains sont beaucoup plus axés sur les dangers de la météo. On considère que la discipline doit être enseignée à tous pour des raisons de sécurité, ce n’est pas simplement un loisir », reprend Karine Durand qui a observé de près le système américain.

Elle se souvient d’une étude américaine où on demandait aux gens de mentionner un scientifique qu’ils connaissaient. « Beaucoup ont cité un météorologue qui passe à la télé », fait-elle remarquer. De quoi inspirer les présentateurs français.