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Cet été, TF1 a célébré les 20 ans de la série à sketchs “Un gars, une fille” en diffusant en prime-time une émission hommage. Mais malgré de très bons scores d’audience et la ribambelle de personnalités invité.es à reprendre les rôles de Chouchou et Loulou pour l’occasion (Elie Sémoun, Bérengère Krief, Baptiste Lecaplain, Stefi Celma et Stéphane Plaza, Natoo, Kyan Khojandi, Adriana Karembeu…) le reboot n’a pas su séduire le public, et accuse la note médiocre de 1,9 étoiles sur Allociné. Pire, il a déçu les fans de la première heure, qui se sont précipités sur X pour tweeter leur mécontentement. Il faut dire qu’au lieu de proposer une version modernisée de la shortcom, les auteurs ont préféré reprendre mot pour mot les textes originaux en les édulcorant. Un simple “copié-collé” de l’originale en somme, avec pour seul argument les noms de quelques célébrités incapables d’égaler l’alchimie du duo initial à l’écran. Et le verdict est sans appel : “Pas drôle”, “pathétique”, “gênant”, “tout est mauvais”…
A croire que dépouillées de ses deux atouts principaux : Alexandra Lamy et Jean Dujardin, les vannes du format court ne résistent pas à l’épreuve du temps. D’ailleurs, les acteurs originaux de la shortcom ne s’y sont pas trompés, et ont refusé l’invitation de la chaîne, malgré les nombreuses relances. Il faut dire que le ressort comique principal de la série reposait à l’époque uniquement sur les stéréotypes de genre. Et le postulat était simple : les hommes et les femmes sont foncièrement différents, et dans cette société normative le couple est un mal nécessaire au sein duquel deux êtres totalement opposés se livrent une bataille incessante. Un peu comme si France 2 avait adapté les séminaires de thérapie de John Gray, l’essayiste responsable de l’ouvrage “Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus”, en 438 épisodes écrits sur un coin de table.
Mais depuis 2003, date de fin de diffusion du format, les mentalités et les mœurs ont heureusement évolué, et les dynamiques de relations aussi. Alors même même si tout n’est pas à jeter, le programme a terriblement mal vieilli. Vous en doutez ? On a trois bonnes raisons de ne pas ressusciter la série.
COUPLE TOXIQUE ET VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE : L’AMOUR VACHE A BON DOS
Si les disputes des deux amant.es pouvaient prêter à sourire à l’époque, on se marre un peu moins et on rit jaune lorsqu’on réalise que près de trois quarts des épisodes reposent sur les piques que s’envoient Chouchou et Loulou à longueur de temps. Et on ne parle pas ici de petites chamailleries sans conséquences, mais d’humiliation constante et de dénigrement. Ainsi, Jean ne manque jamais une occasion de dire à Alex qu’elle est stupide, ou de la déprécier. Comme dans cet épisode en boîte de nuit, au cours duquel il lui rétorque que ce n’est pas “parce que la musique est trop forte que sa conversation est devenue subitement intéressante” (2mn22). Ou dans cette scène de jogging (à partir de 2mn49) où il lui lance l’air de rien : “pense à la taille de ton cul, tu vas avancer”, pour qu’elle continue qu’elle continue de courir. Un running-gag qui revient dans la plupart des sketchs, et semble dépeindre comme normaux des comportements abusifs et répétés. Et Alex n’est pas en reste, puisque lorsqu’elle ne subit pas les attaques de Jean, elle tente de le manipuler afin qu’il lui fasse des confidences, pour mieux les lui reprocher la seconde d’après (à partir de 4mn30).
Et que dire de cette banalisation des violences conjugales dans l’épisode consacré aux soirées entre potes (à 4mn49, vidéo ci-dessous), lorsque Jean, agacé qu’Alex n’ait pas acheté les bonnes bières pour son apéro, et ait eu la maladresse de la bousculer en descendant chez l’épicier, se met dans une rage folle et sort du cadre en la poussant violemment ? (On entend ensuite des bruits de gifle en off). On cherche encore la vanne…
VOUS REPRENDREZ BIEN UN PEU DE SEXISME DÉCOMPLEXÉ ?
Belle mère relou, personnages féminins immanquablement présentés comme mégères dès qu’elles ont dépassé la barre des 45 ans, collègues de bureau et amies sexualisées, copine “castratrice”, “maniaque”, “hystérique”, obsédée par le shopping et gentiment cruche – voire complètement con – dans “Un gars, une fille”, aux yeux des hommes, les femmes n’ont que deux options : être des dragons, ou des objets de fantasmes. Sans cesse décrites comme intellectuellement limitées par Jean et ses potes, “les gonzesses”, comme Loulou aime à les appeler, n’utilisent leurs neurones qu’à de rares occasions, et uniquement pour piéger leurs compagnons. Et l’intrigue des épisodes ne fait jamais rien pour le contredire. Ainsi, lorsque Jean paye un type en boîte pour harceler sa femme (au secours) et se faire bien voire faire bien voir en jouant les héros, (à partir de 4mn46), il en tire tout naturellement cette conclusion : “C’est con une meuf !”, et son ami approuve en se marrant. Même schéma et même chute, dans cet épisode au Maroc (à partir de 9mm) où il fait semblant d’être trop amoureux d’Alex pour supporter d’être éloigné d’elle quelques jours, en thalasso afin d’économiser le prix d’un séjour. Là encore, le constat est implacable : les femmes sont des idiotes inoffensives.
Cela dit, ce n’est pas forcément mieux du côté des hommes. Obsédés par le sexe, forcément infidèles tout en étant maladivement jaloux, menteurs, de mauvaise foi, parfois violents, et ignorants la notion de consentement : tout y passe. Ainsi, quand Jean danse en club, il ne peut pas s’empêcher de mimer une fellation avec une autre femme, de préférence devant sa compagne (à partir de 3mn). Quand il voyage au Maroc, il tente à plusieurs reprises de s’imposer dans des bains réservés aux femmes, alors qu’on lui en refuse l’entrée (à partir d’1mn46) – et c’est cette insistance, ce comportement de forceur, qui est censée provoquer l’hilarité – enfin, quand il apprend que la nouvelle amante de Roger, l’ex compagnon de son amie Jeannette, est une Suédoise dans la vingtaine, il l’appelle immédiatement pour le féliciter et lui demander de lui mettre “un coup” (sous-entendu : de bite) de sa part (vidéo ci-dessous, à partir de 4mn26). Qu’est-ce qu’on s’marre !
DES BLAGUES HOMOPHOBES, PUTOPHOBES ET RACISTES
Forcément, lorsque tout l’intérêt humoristique d’un programme est essentiellement fondé sur le renforcement des stéréotypes et un bon gros tas de lieux communs sfumants, il faut s’attendre à un festival de clichés. Alors quand ce n’est pas l’intelligence des femmes qui est ciblée ou l’indomptable libido des mecs, on nous ressort l’archétype du Chinois duplice et fourbe. Comme dans cette série de sketchs à Hong-Kong (vidéo ci-dessous, à partir de 6mn10), où Chouchou et Loulou se comportent par ailleurs comme des néo-colons. Vous apprécierez au passage l’accent asiatique d’Arsène Mosca, qui incarne Lee Tang pour l’occasion…
Les LGBTQ ne sont pas non plus épargné.es, puisque les hommes gays sont présentés, au choix, comme les “meilleures copines” fans de tissus (à partir de 2mn55), ou comme des prédateurs, prêts à se jeter sur le premier mec venu. Comme dans cette scène en boîte de nuit, dans laquelle Jean porte la sacoche d’Alex, et qu’il est immédiatement pris pour cible par un groupe de mecs. D’ailleurs l’un d’entre eux n’hésite pas à lui mettre une main aux fesses. Ou comment perpétuer le bon vieux cliché homophobe du gay libidineux, dont la seule existence représente une menace pour la masculinité (fragile) des hommes hétéros (vidéo ci-dessous, à partir de 3m30). Et dire qu’il y a une vingtaine d’années l’orientation sexuelle d’une personne et l’orientation sexuelle ne tenaient qu’à un sac à main.
Et les De leur côté, lefemmes lesbiennes ne sont pas vraiment mieux loties. Lorsqu’elles apparaissent dans un épisode, c’est uniquement pour être objectifiées par Jean, qui ne se prive pas de faire ouvertement part de son fantasme de plan à trois en plein apéro. On ne coupe également pas à la question grand classique “qui fait l’homme, qui fait la femme”, une question que que Chouchou et Loulou s’empressent de se poser se posent,dès que leurs invitées ont le dos tourné. Et la réponse ne tarde d’ailleurs d’ailleurs pas à arriver : la femme, c’est forcément celle qui fait la vaisselle. On pourrait arguer que l’objectif de ce type de répliques répliques sert justement à tourner en ridicule les préjugés débiles du duo, et de se moquer de leur ignorance crasse., à se moquer de l’ignorance du couple. Sauf qu’en installant ce dialogue en aparté, la mise en scène rend le spectateur complice de leur échange. Résultat : on ne rit pas de leur connerie, en mettant en scène ce dialogue en aparté, on rend le public complice de leur connerie : et il rit donc avec eux, pas de leur bêtise.
Enfin, un soupçon de putophobie ça ne mange pas de pain ! Ainsi une un peu d’humour putophobe, ça ne mange pas de pain. Dans cette scèn au commissariat, equi semble tout droit sortie d’un spectacle de Jean-Marie Bigard, Alexandra subit l’outrage suprême : celui d’être prise pour une travailleuse du sexe constitue .Une confusion qui constitue donc un gag en soi (vidéo ci-dessous, à partir de 2mn50). Dans un autre sketch, cette-fois ci sous la couette, après avoir signifié à plusieurs reprises à Jean qu’elle ne souhaitait pas coucher avec lui sans qu’il en tienne compte (coucou le consentement), Alex s’offusque parce qu’il tente de marchander un rapport sexuel en lui promettant de l’inviter au restaurant. Elle lui rappelle alors qu’elle n’est pas “une pute”, puise se ravise quand il évoque des sushis. Et certaines personnes pensent encore que l’humour, c’était mieux avant. (à partir de 2mn45 dans la vidéo ci-dessous)Et comme la série aime le comique de répétition, la vanne se répète dans un autre sketch, où Alex prend la mouche parce que Jean pense pouvoir la convaincre de coucher avec elle en lui promettant de l’inviter restaurant.