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Rassemblement en hommage à Samuel Paty: « Je me sens plus prof que jamais »

Entre tristesse et colère, on vous raconte.

Par
Lison Délot
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Un rassemblement était organisé ce dimanche 18 octobre 2020, à Paris, en hommage à Samuel Paty, le professeur de Conflans-Sainte-Honorine décapité le 16 octobre après avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves. On a discuté avec celles et ceux qui marchaient.

Il est 15h, la Place de la République est littéralement noire de monde. J’essaie de me frayer un chemin pour retrouver cette femme que j’ai croisée en arrivant. Elle porte à bout de bras, une règle, sur laquelle est accrochée un bout de carton, et la Une de Charlie Hebdo « Tout ça pour ça ».

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Mourir pour son métier

« On ne devrait pas mourir pour ça », scande Corinne, 47 ans. Accrochée au bras de son mari, elle est venue pour la République, pour la laïcité et pour la liberté de penser ce qu’elle veut, quand elle le veut. « Je suis sidérée, je ne pensais pas que ça recommencerait. On était déjà là en janvier 2015 et on pensait que ça serait la dernière fois. Mais s’il le faut, on reviendra, on sera toujours là pour se battre pour notre liberté d’expression, Samuel Paty n’avait pas à mourir pour avoir simplement exercé son métier ».

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Antoine, 21 ans, le drapeau français bien enroulé autour de ses épaules, est venu avec ses amis pour soutenir cette profession endeuillée et exprimer son dégoût face à cet acte des plus barbares. « J’ai failli vomir quand j’ai appris qu’un homme s’était fait décapiter pour une affaire de liberté d’expression en France au 21èmesiècle. C’est extrêmement grave, un enseignant ne doit pas avoir à se demander s’il a le droit de parler de telle ou telle chose par peur de se faire trucider en sortant du lycée ».

« Est-ce que je peux rajouter quelque chose ? », me demande Louis, un ami de Corinne. La soixantaine, Louis pense que l’on a une responsabilité idéologique importante d’essayer de faire comprendre « que la laïcité ce n’est pas que la question du port du voile ou non, c’est beaucoup plus que ça, c’est l’universalisme ».

La faute à qui ?

D’après lui, la liberté est un droit fondamental qui va avec l’éducation, et donc se battre pour l’éducation c’est se battre pour la liberté d’expression. « Je suis sidéré comme Corinne, mais je suis aussi très en colère contre les institutions car ce sont elles qui foutent le bordel ». Ce dont parle Louis, ce sont les lieux de non-droit où selon lui, le préfet dit ne pas vouloir intervenir et abandonne donc les professeurs qui y enseignent. Je vous épargne le coup de gueule contre Macron, le gouvernement et l’enseignement qui s’ensuit…

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Pour le jeune homme de 21 ans, le gouvernement doit réaffirmer la laïcité dans notre pays. « Il y a un gros travail qui doit être fait, sur la laïcité mais également sur le radicalisme, quel qu’il soit, politique ou religieux. Le rôle du gouvernement c’est d’ouvrir un dialogue qui n’existe plus ».

Une femme d’une cinquantaine d’années s’approche de mon micro et me glisse: « les profs ne sont pas protégés, ils sont même mis en danger. C’est le ministère qui est responsable de ce qui se passe ».

« Je me sens plus prof que jamais »

Un peu plus loin, j’aperçois une pancarte « je suis prof ». La chasse est de nouveau ouverte, je marche tête en l’air pour ne pas perdre de vue mon objectif. Arrivée sous la pancarte, je fais la connaissance de Raphaël, enseignant d’espagnol dans un collège de Colombes dans les Hauts-de-Seine.

Il est venu aujourd’hui car pour lui, on a atteint l’un des piliers de la République, la liberté d’expression. « En tant que professeur, je me devais d’être ici aujourd’hui. Quand on est professeur, on fait ce métier par passion, parce qu’on a envie de le faire. Je suis enragé de voir qu’il y a des gens qui ne comprennent pas notre métier et ça n’est pas en assassinant des personnes qu’on va changer les choses. Au contraire, là on a encore plus envie d’apprendre ce que c’est que la liberté d’expression: aujourd’hui, je me sens plus prof que jamais » lance Raphaël selon qui Samuel Paty avait mené à bien sa mission. « Je l’en remercie, c’est un exemple pour nous tous, professeurs ».

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Pour Claudine, professeur en ULIS, il s’agit de rendre hommage et de défendre l’enseignement, mais elle est également là pour ses élèves. « C’est important pour qu’ils sachent qu’ils ont en face d’eux un professeur libre dans sa façon d’enseigner ».

Libre, mais sous le choc. « Je suis contente que mes élèves soient en vacances car je n’aurais pas su quoi leur dire. Je suis choquée, j’ai envie de leur parler et je le ferai au retour des vacances. Mais pour le moment j’en suis incapable, c’est trop tôt ».

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Les réseaux sociaux, vecteurs de violences

Selon Raphaël, le professeur d’espagnol, les réseaux sociaux peuvent être aussi bénéfiques que préjudiciables pour la société. « Cette fois-ci, ils ont certainement coûté la vie à Samuel. Je voudrais lancer un message à tous les adolescents: n’utilisez pas les réseaux sociaux comme vecteurs de haine, de violences. Utilisez-les à des fins ludiques, joyeuses. On arrive à un stade où les réseaux sociaux commencent à dépasser les limites ».

Pour Claudine qui n’utilise pas les réseaux sociaux (« Je suis trop vieille pour ça, je n’y comprends pas grand-chose »), ces outils servent la désinformation et cela en devient même dangereux. « Il n’y a qu’à regarder où ça a mené Samuel. Si ce parent d’élève n’avait pas utilisé Facebook pour attaquer notre collègue, on n’en serait sûrement pas là ».

Sur le chemin du retour, je croise une femme en train de sécher ses larmes. Et je retiens les miennes.

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