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Racisme anti-noir : Maghrébins, il est temps qu’on assume

« Nous avons un problème dans notre communauté et il faut qu’on en parle franchement, sans tabou. »

Par
Ouissem
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L’agression raciste qui a eu lieu la semaine dernière à Cergy est horrible. Tout le monde s’accorde à dénoncer cette attaque et les mots prononcés par son auteur. Au-delà des faits, cet acte a relancé le débat sur la place du racisme anti-noir dans la communauté maghrébine. Et il est peut-être enfin temps de voir les choses en face.

« Espèce de négresse […] sale noire, personne ne te touche même avec un bâton. […] Nous les Algériens, pendant 800 ans on vous a vendu comme du bétail ! » Les mots prononcés par l’auteur de l’altercation qui a eu lieu devant le restaurant Brasco à Cergy ne sont pas anodins. Ils font référence à la traite arabe qui a eu lieu en Afrique, en Europe et au Moyen-Orient durant plusieurs siècles.

Ce ne sont pas des propos anodins car l’esclavage est bien la source du racisme présent au sein des pays arabes ainsi qu’au Maghreb. En Tunisie, la traite a été abolie dès 1846, soit deux ans avant la France. Précurseur dans l’abolition de l’esclavage, et à l’écart des courants transsahariens, le pays n’échappe pourtant pas au racisme qui vise les noirs.

« Frères, mais pas beaux-frères », résumera Bassem, un influenceur tristement connu pour son dégoût du métissage et ses propos racistes récurrents.

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« Kahlouche / Oussif / ‘Abd. » Même s’ils peuvent avoir perdu leur sens dans l’imaginaire collectif, les mots utilisés en Tunisie – et plus globalement au Maghreb – pour parler des personnes de la communauté noire font parfois directement référence à l’esclavage. Et ils créent une barrière invisible entre Maghrébins blancs et noirs.

Je suis originaire d’une petite ville située dans le sud de la Tunisie, aux portes du Sahara, où il y a de nombreux Tunisiens noirs. Nous vivons en communauté de manière très paisible, des amitiés se nouent, etc. Mais il y a très peu de métissage, si ce n’est presque jamais. « Frères, mais pas beaux-frères », résumera Bassem, un influenceur tristement connu pour son dégoût du métissage et ses propos racistes récurrents.

La formule de l’ancien rappeur est malheureusement partagée par de nombreuses personnes de la communauté maghrébine, d’où son malheureux succès sur Snapchat. Cette haine du métissage va populariser par ailleurs l’expression « Beurette à khel » sur les différents réseaux sociaux, et donc, dans la vraie vie.

Ce racisme anti-noir peut être frontal comme on l’a vu à Cergy ou encore récemment à Annemasse avec des insultes adressées à une employée de Carrefour. Mais il est bien souvent beaucoup plus subtile, se cachant derrière une fraternité, que ce soit entre racisé·e·s ou entre musulman·e·s.

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J’ai pu voir ce racisme s’exprimer jusque dans ma propre famille dans un moment heureux comme un accouchement. « Ouf, je suis content que la naissance se soit bien passée, le bébé aurait pu être noir », s’est exprimée avec soulagement l’une de mes proches lors de la naissance d’un enfant dont l’une des grands-mères est noire.

Il faut arrêter de se cacher derrière des excuses comme « On n’est pas tous comme ça », équivalent du « Not all men » lancé aux féministes.

Comment réagir dans ce cas ? Comment éduquer les siens qui ont été bercés par des décennies d’inconscient esclavagiste ? C’est le défi que doit affronter notre communauté maghrébine, que ce soit en France ou en Afrique du Nord. Il faut arrêter de se cacher derrière des excuses comme « On n’est pas tous comme ça », équivalent du « Not all men » lancé aux féministes. Et jouer la carte du racisme d’Etat que l’on subit en France n’empêche pas de parler de cette injustice que subissent les personnes noires au Maghreb où la dynamique est toute autre.

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Quand on parle du racisme, il faut toujours voir d’où l’on vient et l’Histoire du pays. Les inégalités subie par un Maghrébin en France ne seront pas les mêmes aux Etats-Unis du fait de la colonisation et ses conséquences. Il en est de même quand il s’agit de racisme anti-noir en Afrique du Nord, en Europe ou en Asie. Ne l’oublions pas.

S’emparer du sujet et l’assumer frontalement, ce n’est pas « trahir les siens » ou faire le jeu de l’ennemi comme j’ai pu le lire. Au contraire, parler entre nous de ce problème – quitte à le faire dans des espaces en non-mixité – c’est aussi une manière ne pas laisser l’extrême-droite et ses alliés faire sa récupération. On l’a vu avec Mohamed Sifaoui du Printemps Républicain affirmer que l’Algérie est le pays le plus raciste au monde en citant une enquête introuvable qui n’existe probablement pas comme l’a souligné CheckNews.

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Au Maghreb, ce racisme est parfois institutionnalisé. En Algérie, l’élection d’une Miss noire originaire du sud du pays a créé la polémique et suscité de nombreux commentaires racistes. Au Maroc, ce sont des logements qui ont été interdits de location « aux Africains » comme si le Royaume faisait partie d’un autre continent. En Tunisie, l’île de Djerba pourtant connue pour son multiculturalisme et sa communauté juive, a aussi abrité un « cimetière des esclaves » réservé aux Tunisien·ne·s à la peau plus foncée. En Mauritanie, un système de caste est encore répandu au sein de la société, créant de profondes inégalités entre Maures arabo-berbères et Afro-Mauritaniens.

Moi le premier, je me dois d’arrêter de rester silencieux lorsque j’entends certains termes prononcés, des remarques ou des blagues ouvertement racistes.

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Nous avons un problème dans notre communauté et il faut qu’on en parle franchement, sans tabou. Sans se dédouaner et dire que c’est l’autre. Ce n’est pas toujours l’autre. Moi le premier, je me dois d’arrêter de rester silencieux lorsque j’entends certains termes prononcés, des remarques ou des blagues ouvertement racistes.

« Toute l’humanité descend d’Adam et Eve. Un Arabe n’est pas supérieur à un non-Arabe et un non-Arabe n’est pas supérieur à un Arabe. Un blanc n’est pas supérieur à un noir et un noir n’est pas supérieur à un blanc – seulement par la piété et la bonne action. »

Ces mots ont été prononcés par le prophète Mohamed, lors de son dernier sermon prononcé au Mont Arafat, en 632. Dans notre communauté, on ferait mieux de méditer ces paroles au lieu de se pavaner d’un esclavagisme qui fait encore des victimes en Libye actuellement. En Tunisie, une loi pénalisant le racisme a été votée en 2018. Une première dans le monde arabe. Et si on continuait de montrer l’exemple ?

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