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Quoi regarder ce week-end : l’autre « Dune »

Revoir l'adaptation de David Lynch pour encore mieux apprécier celle de Denis Villeneuve.

Par
Benoît Lelièvre
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La nouvelle adaptation cinématographique du très long et complexe roman de Frank Herbert, Dune, cartonne au boxe-office en France. On doit cette œuvre magistrale à la fierté nationale préférée des Québécois (après Céline Dion et Georges St-Pierre) : Denis Villeneuve. Mais plutôt que de faire comme tout le monde, j’ai voulu (re)regarder l’autre Dune, le « mauvais » Dune comme disent certains. Accrochez-vous.

Est-ce que c’est si mauvais que ça ?

En fait, non.

Le Dune de David Lynch est plein de bonnes intentions et d’idées folles… mais ça ne fonctionne juste pas. C’est plus un fiasco créatif qu’un navet en bonne et due forme.

Pour les non-initié.e.s, Dune, c’est grosso modo l’histoire de deux familles qui s’entretuent pour le contrôle d’une planète qui produit la substance la plus importante dans l’univers. Une substance qui permet, entre autres, de « plier l’espace » et de faciliter les voyages intersidéraux. C’est aussi l’histoire du fils d’une de ces deux familles, Paul Atreides, qui possède des pouvoirs particuliers et qui fait vraiment peur à ses rivaux.

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C’est beaucoup plus compliqué que ça, mais vous saisissez l’essentiel. C’est un peu comme un mélange entre Star Wars et Starcraft avec un nombre incalculable de personnages.

C’est plus un fiasco créatif qu’un navet en bonne et due forme.

Le film a été principalement critiqué pour sa structure labyrinthique, son casting décevant et son usage excessif de la voix off, mais c’est aussi ce qui fait son charme si vous acceptez d’entrée de jeu qu’il s’agit d’une adaptation de Frank Herbert ratée, mais d’un ovni cinématographique de David Lynch réussi.

La décision artistique la plus mystérieuse de Lynch est, selon moi, celle d’avoir choisi le chanteur Sting (qui faisait encore partie de The Police à l’époque) pour jouer le dangereux Feyd Rautha. J’veux dire, vous croisez ce gars-là en sortant de boîte à deux heures du matin. Avez-vous peur ?

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Bof, moi non plus. J’dirais quelque chose du genre : « Hey mec, j’peux avoir un autographe pour ma mère ? Elle kiffe An Englishman in New York depuis 30 ans. » D’ailleurs, je pourrais me tromper, mais Feyd Rautha ne semble pas faire partie de la distribution du Dune de Denis Villeneuve. Il a peut-être simplement été renommé aussi. Avec des noms comme Paul Atreides, Feyd Rautha ou Glossu Raban, personne ne s’en rendrait compte.

Sinon, le film de David Lynch est un peu lent et cérébral, mais le roman l’est aussi. C’est juste difficile à transposer au grand écran de façon spectaculaire ou même juste divertissante. Lynch avait également l’air de s’en foutre un peu. Il semblait plus intéressé à canoniser sa propre interprétation ouvertement bizarroïde et décalée de Dune qu’à canoniser l’œuvre de Frank Herbert pour le grand public.

Comment diable ce cafouillage de 40 millions a-t-il pu voir le jour ?

L’histoire de Dune est presque plus intéressante que le film lui-même.

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Voyez-vous, ça fait longtemps qu’Hollywood cherche à adapter Frank Herbert. Le roman est paru en août 1965 et en 1971, on parlait déjà d’une adaptation cinématographique. Les droits ont tout d’abord été achetés par un certain Arthur Jacobs pour ensuite être transférés à un consortium français qui souhaitait voir le surréaliste Alejandro Jodorowsky diriger le projet.

Le développement a été notoirement compliqué. Quand le projet est mort au bout de son financement, l’adaptation était supposée durer entre 10 et 14 heures, avoir une bande sonore créée par Pink Floyd et engager toutes sortes d’expert.e.s d’effets spéciaux dispendieux. Il existe d’ailleurs un excellent documentaire à ce sujet.

Ça fait longtemps qu’Hollywood cherche à adapter Frank Herbert. Le roman est paru en août 1965 et en 1971, on parlait déjà d’une adaptation cinématographique.

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C’est comme ça que le producteur Dino De Laurentiis s’est ramassé avec les droits du film en 1976. Il a demandé à Frank Herbert lui-même d’écrire un script, mais ce dernier lui est revenu avec un mammouth de 175 pages, ce qui équivaut à plus de trois heures. À l’époque, c’était inconcevable qu’un film qui se voulait grand public soit aussi long. Il a engagé Ridley Scott pour essayer de faire quelque chose avec le projet, mais ce dernier s’est poussé devant l’immense charge de travail que ça représentait.

De Laurentiis a donc dû payer UNE DEUXIÈME FOIS les droits d’adaptation à Frank Herbert après que la première entente soit venue à échéance en 1981. Cette fois-ci, il a décidé de confier le boulot à David Lynch, à la suggestion de sa fille Raffaela qui venait de voir The Elephant Man.

L’idée se tenait debout. Lynch était en demande à l’époque. Il aurait reçu plusieurs offres pour réaliser des films à grand déploiement, dont Return of the Jedi.

SAUF que…

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Personne ne connaissait VRAIMENT le personnage. Lynch en était à son deuxième film et on ne s’était encore pas collectivement rendu compte qu’il était un drôle de moineau avec une vision bien à lui du cinéma. Après six réécritures du scénario, le tournage s’est finalement amorcé en mars 1983… et Lynch leur a livré une version du film qui durait QUATRE HEURES.

Pour vous donner une idée, Zach Snyder a fait la même chose avec Justice League en 2017 et c’est seulement après une campagne agressive de plusieurs mois sur les réseaux sociaux que les bonzes de Warner Brothers ont décidé de sortir sa version… en vidéo sur demande. Un film aussi long, c’est encore quelque chose de controversé plus de 35 ans après le Dune de David Lynch.

Un film aussi long, c’est encore quelque chose de controversé plus de 35 ans après le Dune de David Lynch.

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Les De Laurentiis se sont alors affairés à amputer des scènes, à en tourner de nouvelles pour simplifier l’histoire et à ajouter les maudites voix off. Oui, c’est de leur faute, ça. Il existe plusieurs versions alternatives du film sur le marché, mais c’est difficile de savoir ce que David Lynch avait originalement en tête.

Comme vous pouvez le voir, c’est tout un boulot d’adapter Dune. Ça demande de la vision, mais aussi beaucoup de bon karma auprès du studio qui finance l’affaire, et Denis Villeneuve semble bien placé pour réussir une tâche à laquelle le tout Hollywood échoue depuis un demi-siècle.

Bref, vous pouvez regarder la version de Dune qui a permis à celle de Denis Villeneuve d’exister. C’est extra-divertissant si vous prenez ça comme un film de David Lynch et pas nécessairement comme un hommage à Frank Herbert !