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Quoi regarder ce week-end : « Beef »

Une série qui donne d'excellentes mauvaises idées.

Par
Benoît Lelièvre
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La dernière fois que j’ai donné une claque à quelqu’un, j’avais 14 ans. Honnêtement, ma victime ne le méritait qu’à moitié.

Bien qu’un tel acte ne soit jamais souhaitable ou même légal, j’étais à l’époque un enfant et n’avais peut-être pas encore le vocabulaire émotionnel pour m’exprimer autrement. Par contre, quand on devient adulte, la société s’attend non seulement à ce qu’on maîtrise la résolution de conflits pacifique du jour au lendemain, mais aussi à ce qu’on exprime nos besoins de façon raisonnable et respectueuse.

Mais tout le monde n’est pas capable d’apprendre à se contrôler. On a donc développé des stratégies pour gérer la colère et l’exprimer dans un contexte sécuritaire. Une sous-culture de memes y est même dédiée :

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Une série télé comme Beef n’aurait pu naître dans un autre contexte. La nouvelle comédie dramatique de Netflix mettant en vedette Steven Yeun et Ali Wong explore les pièges et les vertus de la colère, cette émotion profondément enfouie, à une époque où tout le monde consulte Instagram avec l’impression de passer à côté de sa vie. À la fois hilarante, confrontante, mais aussi nuancée et empathique, permettez-moi de vous la suggérer pour votre week-end.

https://www.youtube.com/watch?v=AFPIMHBzGDs

Faire sortir le méchant pour briser les règles

Beef, c’est l’histoire d’Amy (Ali Wong), une entrepreneuse à succès dans le processus de vente de son commerce et Daniel (Steven Yeun), un jeune homme travailleur et ambitieux qui traîne le poids de plusieurs échecs familiaux. Les deux se rencontrent dans le stationnement d’une quincaillerie, à bout de nerfs, et deviennent immédiatement ennemis mortels (ou presque).

La première chose à laquelle j’ai pensé en regardant Beef, c’est au légendaire court-métrage d’animation Les Voisins, de l’artiste canadien Norman McLaren, où un simple désaccord vient à prendre une place de plus en plus démesurée entre deux personnes en apparence saines d’esprit et raisonnables. Le film est un commentaire sur l’incongruité des pressions qu’exerce la modernité sur la santé mentale et les rouages funestes d’une société de consommation où ce qu’on possède nous définit. Il y a beaucoup de ça dans Beef, mais le tableau est plus complexe et contemporain.

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Ce qui rend cette série signée A24 aussi engageante, c’est qu’elle explore le côté libérateur de la colère. Amy et Daniel sont deux personnes qui ont structuré leur vie autour de règles et conventions sociales non écrites : avoir de bonnes finances avant de se donner le droit de vivre ou encore pourvoir aux besoins des autres avant les leurs. Ces injonctions les rendent profondément malheureux, mais n’ayant connu rien d’autre, ils en sont prisonniers jusqu’au moment où leur rencontre fait tout éclater.

Paradoxalement, la colère qui stimule le Beef entre Amy et Daniel les libère. Elle brise des relations, provoque des changements irrévocables dans leurs vies respectives, mais les rapprochent aussi de leurs valeurs.

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Amy et Daniel sont dévorés par leur colère, mais éprouvent aussi un malin plaisir à se rendre mutuellement la vie impossible. Les conséquences de leurs actions exacerbent également les éléments déjà négatifs dans leur vie. Dans le cas d’Amy, sa perte de contrôle met en exergue le manque de proactivité et de soutien de son mari George, un artiste qui vit à ses crochets et dans celui de Daniel, la confrontation impacte sur sa relation avec son frère immature et paresseux Paul (Young Mazino) qui finit par graduellement prendre la responsabilité de sa propre vie.

Paradoxalement, la colère qui stimule le Beef entre Amy et Daniel les libère. Elle brise des relations, provoque des changements irrévocables dans leurs vies respectives, mais les rapprochent aussi de leurs valeurs. Leur rancune est motivée par un inconfort duquel ils auront besoin l’un de l’autre pour s’extirper. En perdant le contrôle d’eux-mêmes, ils en gagnent sur un cadre de vie trop serré pour eux.

Rien ne se perd, rien ne se crée. Tout se transforme

Un autre détail de la série que j’ai particulièrement apprécié : la relation entre Amy et Paul. Au départ victime de catfishing de la part de cette dernière sur Instagram, Paul viendra finalement à la conquérir avec son enthousiasme naïf et son attitude relax. Lorsqu’il découvre la vérité, elle devient une source d’inspiration pour lui ainsi qu’un oasis de calme et de désir, loin des tourments qui lui minent le moral.

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Ensemble, ils ne ressentent plus ce sentiment d’échec qui hante leurs quotidiens respectifs. Pour un bref moment, ils sont parfaits l’un pour l’autre. Ils sont exactement ce dont ils ont besoin.

En sortant du cadre de leurs vies, les personnages perdent beaucoup, mais ils gagnent aussi.

C’est à travers cette relation passionnée, fusionnelle et très temporaire que Beef m’a véritablement conquis. Elle est vite devenue un prisme par lequel comprendre le fonctionnement de la série. Car en sortant du cadre de leurs vies, les personnages perdent beaucoup, mais ils gagnent aussi. Amy perd graduellement son mariage avec George et sa vie bien rangée, mais se retrouve aussi en tant que femme et dépoussière des qualités abandonnées depuis longtemps : l’audace, la créativité, la proactivité. Oui, une partie de sa vie s’écroule, mais un nouveau chemin se trace devant elle.

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Beef est une série qui fait du bien. Non seulement les personnages lâchent leur fou et laissent libre cours à leurs plus basses pulsions à l’âge adulte, mais la série met aussi en lumière le fait qu’on suit souvent des règles de vie strictes et arbitraires par simple peur du futur et de l’inconnu. Le créateur Lee Sung Jin porte un regard sobre et confrontant sur le poids des responsabilités qu’on s’impose à nous-mêmes au nom d’un modèle de vie qui n’est pourtant pas conçu pour toustes.

Une série qui ne vous donnera vraiment pas l’envie de mettre une claque à quelqu’un, mais qui vous fera peut-être réévaluer quelques choix de vie.