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Qui sont ces inconnus qui vous envoient des «hello» intrusifs sur les réseaux sociaux?
Depuis quelques temps, Mailhot*, un jeune homme que je ne connais pas, m’envoie des «Hey», «Melodie?» et «Hi» sur Instagram. Tous les mois. Et ce n’est pas pour analyser ma compréhension de l’anglais.
Je trouve ça ridicule. Mais mon ennui se transforme en inquiétude quand, à la suite de plusieurs «hello» auxquels je n’ai jamais répondu, un autre homme m’envoie un message frustré: «Tu pourrais répondre parfois».
En discutant avec des amies, je me rends compte que je suis loin d’être la seule à recevoir ce type de message et à vivre ce genre de situation.
«Salut sa va»
Daria* a reçu pendant quatre ans des messages du même homme. Elle avait plusieurs amis en commun avec lui sur Facebook et elle avait accepté sa demande d’amitié.
«Dès la première soirée, j’ai reçu cinq messages de sa part. Ça s’est enchaîné comme ça sur près d’un an. Ça me donnait le vertige. Personne ne le connaissait vraiment et je me suis demandé si c’était une blague qu’on me faisait», dit-elle.
«Dès la première soirée, j’ai reçu cinq messages de sa part. Ça s’est enchaîné comme ça sur près d’un an. Ça me donnait le vertige. Personne ne le connaissait vraiment et je me suis demandé si c’était une blague qu’on me faisait.»
Elle ne voulait pas lui demander de cesser, par peur que ça provoque une autre vague de messages. «En ne lui répondant pas, je me suis dit qu’il penserait un jour que je ne voyais pas ses messages et qu’il cesserait de m’écrire. Le rythme de ses messages a diminué. Ça revenait comme une surprise tous les mois ou tous les deux mois.»
Daria l’a bloqué, mais elle continue à recevoir des messages de ce type. «J’ai souvent fait des pauses de réseaux sociaux, pour ne pas être confrontée à ça. J’angoisse rapidement, quand je ne connais pas la personne qui m’écrit et que je ne vois qu’un “hello”. Pour moi, c’est une microagression, et je ne sais pas comment m’en protéger.»
Morgane*, une jeune femme impliquée au sein d’une organisation qui milite contre la culture du viol, a été harcelée par une femme pendant plus d’un an. Ça a commencé avec des salutations sans réponse. «C’était l’enfer. Elle avait même envahi les espaces sécuritaires dans lesquels je m’impliquais. Des centaines de messages sans réponse et ça ne l’empêchait pas de continuer», se souvient-elle.
Ne voulant pas avoir l’air homophobe, elle n’osait pas agir contre elle, même quand cette femme s’arrangeait pour lui parler et se retrouver à côté d’elle dans des espaces publics.
Conversation avec un «Hello»
Je voulais savoir pourquoi certaines personnes agissent comme ça et je me suis dit que la meilleure façon, c’est de demander. J’ai donc envoyé un «hello» à Mailhot, celui qui me DM tous les mois.
Je lui ai demandé, franchement ce que ça lui apportait. Il n’a pas vraiment répondu à ma question, mais voici ce qu’il avait à dire: «Ça me fait un peu chier que tu ne me répondes pas, mais j’attends toujours une réponse, car dans la vie, il faut être sociable, parler entre nous».
Il a précisé qu’il veut connaître de nouvelles personnes «dans le monde débile et perdu d’aujourd’hui», mais qu’il sent que c’est impossible, car il y a trop de jugements.
Mailhot a ajouté des commentaires au fait que certaines des femmes qui ne répondent pas à ses messages semblent se considérer supérieures, mais j’en retire surtout qu’il ignore volontairement les limites des femmes. Ses messages insistants semblent être une façon très maladroite (et déplacée, et intrusive) d’établir le genre de contacts qu’il n’a pas dans la vie de tous les jours.
Intrusion et narcissisme
«Blâmer les autres pour un manque d’habiletés sociales lorsqu’elles ne répondent pas à leur “hello”, on appelle ça des distorsions cognitives.»
La sexologue et psychothérapeute Sophie Morin explique qu’un raisonnement comme ça est stratégique. «Blâmer les autres pour un manque d’habiletés sociales lorsqu’elles ne répondent pas à leur “hello”, on appelle ça des distorsions cognitives, dit-elle. Ces personnes ne veulent pas voir que les comportements antisociaux, ce sont leurs intrusions et leur insistance. Elles transforment la réalité dans leur tête pour préserver leur Ego.»
Selon elle, solliciter autant les autres traduit un manque de compassion, et la preuve d’un narcissisme malsain de ne pas le reconnaître. «Ce ne sont que les désirs de ces individus qui comptent», dit-elle.
Les besoins incompris des hommes
Carl* a aussi accepté de se confier à moi après que j’aie lancé un appel à tous sur Facebook, afin de mieux comprendre le phénomène.
Auparavant, pour rompre avec la solitude, et dans l’espoir de se faire des amis et possiblement tomber en amour, il avait l’habitude d’envoyer des messages à des personnes inconnues sur différents sites web. Il affirme que «pour un gars comme moi, si je n’aborde personne, personne ne m’aborde».
La frustration de ne pas recevoir de réponse l’incitait à bombarder la personne de messages. «Je ne saisissais pas qu’on ne veuille pas me connaître. Je me considérais spécial, ultra sympathique et intelligent», dit-il.
Il affirme qu’il a maintenant appris à ne pas paniquer quand il se sent seul. Il croit toutefois qu’il existe un manque réel d’empathie et de compréhension envers les hommes. «Ma position est presque celle d’un célibataire involontaie, sans le côté complètement cinglé, dit Carl. Je trouve que les femmes sont élitistes et accordent leur attention à peu d’hommes, et donc en laissent une grande quantité face à l’isolement.»
Je n’arrive pas à comprendre. Je voudrais bien être solidaire et touchée par la détresse, réelle, de ces hommes, mais le fait que cette détresse se retourne contre les femmes me dépasse. Comme si la responsabilité de leur bien-être reposait sur les femmes. Et que s’ils sont malheureux, c’est inévitablement parce que les femmes ne les apprécient pas autant qu’ils le voudraient. Pour moi, c’est pire qu’objectifier les femmes et transformer leur corps en table à sushis. Exiger des réponses aux «hello» revient à mettre les réceptrices de ces messages au service de l’homme, sans qu’il soit responsable de ses gestes.
Vivre dans le déni
En parlant avec ces hommes, je me rends surtout compte qu’ils sont dans le déni face à leur comportement en ligne.
Ces messages sont harcelants dès le départ, dès le premier «hello», dès qu’une sollicitation inattendue est envoyée.
Quand Jimmy*, un homme qui m’avait écrit «hello» à quelques reprises, a pris position publiquement pour dénoncer ce type de messages intrusif, d’autres femmes qui avaient reçu ses «hello» m’ont écrit pour souligner l’absurdité de la chose. Lorsque je l’ai contacté, il m’a dit qu’il n’agit plus comme ça «autant» qu’avant.
Je peux pas m’empêcher de penser qu’il fait davantage partie du problème que de la solution. Surtout à cause du fait qu’il nie le problème. Il dit qu’il ne veut plus gaspiller son temps à envoyer des messages harcelants. Mais ces messages sont harcelants dès le départ, dès le premier «hello», dès qu’une sollicitation inattendue est envoyée. Et ce n’est pas son temps qu’il gaspille, mais l’énergie des femmes qui reçoivent ces attentions non désirées.
Stratégie de scammers
La sexologue Sophie Morin explique que ce type de sollicitation est parfois utilisé par certains hommes pour qui un refus n’est pas considéré comme un échec. «Comme les hommes qui vont aborder plein de filles dans un bar, il y a la loi des probabilités qui agit dans cet envoi massif de messages, explique-t-elle. Parfois ça fonctionne. L’homme se dit que même si ce n’est qu’un pour cent des messages qui s’attirent une réponse, il va en mitrailler partout, à plein de filles, et ça vaudra l’investissement et les refus.»
Carl corrobore cette technique qui emprunte à la méthodologie des scammers: «Avec un peu d’insistance, on arrive à nos fins. J’ai bien une ou deux expériences où un échange a été possible. Sur dix ou vingt tentatives.»
Mettons de côté la maladresse du geste, ou même ses conséquences néfastes pour le bien-être numérique de nombreuses femmes. Est-ce que ces hommes cherchent réellement à nouer des contacts humains et à lancer des conversations qui pourraient mener à plus, si affinités?
Pour trois inconnus à qui j’ai répondu «hello» sur Instagram, j’ai reçu un «Tu es chaude», un «Tu veux écrire David sur tes seins?» et une émoticône de flammes passionnelles. On repassera pour la conversation.
Seuls au monde
En discutant avec ces hommes, j’ai surtout perçu une détresse commune qui ne se règle pas en envoyant des messages comme des bouées de sauvetage.
Pour ma part, quand un inconnu glisse dans mes DM, je lui indique que je propose un forfait correspondance de 50 euros par message. Surtout parce que je considère que c’est un travail émotif à compenser. Je ne reçois plus de «hello» curieux ensuite. C’est un petit répit.
On attend des femmes qu’elles soient disponibles à tout moment pour les autres.
Mais c’est grave, de se dire que c’est un répit, quand on considère que ce genre de harcèlement fait partie du quotidien des femmes en ligne. Dans la rue, elles se font demander de sourire et dans leur messagerie, elles se font interpeller, encore, par des inconnus. On attend des femmes qu’elles soient disponibles à tout moment pour les autres. Pas pour elles.
*Ces prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat de ces personnes.