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Qui sont ces femmes qui disent adieu à l’hétérosexualité?

Il n'est jamais trop tard pour faire son coming out.

Par
Laïma A. Gérald
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« I was that lesbian. So sorry, boys. Won’t happen again. » [Traduction libre; « J’étais cette lesbienne. Désolée, les gars. Ça n’arrivera plus »], déclarait l’actrice et mannequin Julia Fox, en réponse à une vidéo de l’humoriste queer Gracin, dans laquelle cette dernière déclarait : « J’adore quand je vois une lesbienne avec son mec. Genre, ça se voit que tu le détestes… ».

Lisons entre les lignes : oui, celle qui a brièvement fréquenté Kanye West a bel et bien fait son coming out lesbien en juillet 2024 à l’âge de 34 ans, suscitant un véritable raz-de-marée sur les réseaux sociaux.

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Julia Fox, qui a également affirmé avoir « définitivement renoncé aux hommes » sur le plateau de The Drew Barrymore Show en octobre 2023, est ce que plusieurs appellent une « late-blooming lesbian », c’est-à-dire, une femme qui se révèle lesbienne « sur le tard ».

Certaines ont aimé et désiré des hommes, les ont épousés et ont parfois même élevé des enfants avec eux. Et puis, un jour, à 35, 40, 50 ans ou plus, une rencontre, un questionnement, un déclic : elles découvrent qu’elles aiment (aussi) les femmes. Selon The Guardian et The Walrus, la tendance serait même de plus en plus fréquente.

Qui sont ces femmes qui délaissent l’hétérosexualité, un peu, beaucoup ou passionnément ?

Première meuf

C’est après une rupture avec un partenaire masculin au début de la quarantaine que Maude a finalement fait face à la réalité : elle a toujours été attirée par les femmes. « Depuis, le lycée, mes amitiés féminines ont toujours été très intenses. Parfois, j’éprouvais de l’attirance physique et même des sentiments amoureux pour des filles. Mais comme je ressentais la même chose pour des gars, j’ai enfoui ces pensées et ça m’a pris énormément de temps à questionner mon orientation sexuelle », révèle-t-elle d’entrée de jeu. « Par le passé, j’ai vécu deux ou trois expériences sexuelles avec des femmes, mais toujours dans le cadre de trips à trois. C’est comme si la présence d’un homme rendait ça “légitime”. Avec le recul, je crois que je ne savais juste pas comment explorer mon attirance pour les femmes autrement. »

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Pour la maman de deux enfants, ce sont des lectures féministes, sexologiques et sur la diversité sexuelle et de genre (dont Comment devenir lesbienne en 10 étapes de Louise Morel), qui l’ont progressivement amenée à questionner son hétérosexualité. « J’ai eu beaucoup de déceptions avec les hommes, surtout en matière de maturité émotionnelle, de communication, de partage de la charge mentale et de capacité d’introspection », poursuit-elle, en spécifiant ne pas être la seule femme de son entourage à ressentir ce ras-le-bol.

« J’ai aussi pris conscience que mes relations avec les femmes étaient plus profondes. […] Je me suis dit : “OK, arrête de tourner autour du pot puis va juste en date avec des filles!” »

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Pleine de joie – saupoudrée d’une mini dose d’appréhension, Maude se crée un profil sur une application de rencontre. Puis, elle fréquente quelques femmes, avant de débuter une relation amoureuse avec l’une d’elles. Cette histoire d’amour avec sa première petite-amie a duré un an et demi. « Ça prend de l’énergie et de l’espace mental pour déconstruire tout ce que tu as toujours connu sur le plan amoureux, mais aussi sexuel », a bien vite constaté Maude. « Quand tu n’as jamais fait de cunni, tu te demandes si tu vas être capable de faire jouir une femme, alors que je sais très bien que je peux sucer un pénis et faire venir un gars. Sur le plan émotionnel aussi, bien sûr, c’est une véritable reconstruction des codes. Il faut réapprendre à flirter, à décoder certains signaux. »

Quand elle repense à son parcours amoureux, Maude, qui précise avoir eu beaucoup de relations avec des hommes par le passé, croit qu’elle a sans doute choisi de suivre le chemin de l’hétérosexualité « par facilité », comme s’il s’agissait de la seule avenue possible. Pourtant, elle a des ami.e.s (et des modèles) queer, un entourage extrêmement tolérant et une très grande ouverture d’esprit. Pourquoi a-t-elle mis autant de temps à s’avouer et à concrétiser son intérêt envers les femmes?

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L’hétérosexualité obligatoire

Ambre Marionneau, chercheuse à l’INRS, est aussi bénévole pour un organisme communautaire qui démystifie les orientations sexuelles et les identités de genre par la méthode du témoignage. Selon elle, la pression pour entrer dans le moule de l’hétérosexualité à tout prix constitue une partie de la réponse.

« Il y a vraisemblablement une pression marquée à l’hétérosexualité. […] La théorie de l’hétérosexualité obligatoire [“compulsory heterosexuality”, en anglais] peut assurément nourrir les réflexions concernant les coming out qui se font plus tard dans la vie d’une personne », donne pour exemple Ambre, tout en soulignant qu’il n’est jamais trop tard et qu’il n’existe pas d’âge parfait pour faire un coming out, à soi-même ou aux autres.

Elle explique que l’hétérosexualité obligatoire est un concept selon lequel l’hétérosexualité est imposée aux gens par une société patriarcale et hétéronormative. « D’une certaine manière, c’est plus “simple” de suivre ce chemin sans se questionner. […] Beaucoup de personnes lesbo-queers qui découvrent leur orientation plus tard partagent l’expérience de ne pas s’être posé la question pendant longtemps, jusqu’à ce qu’une personne, une lecture, un déclic vienne créer une prise de conscience. Et ça, ça peut arriver à tout moment dans la vie. »

Cette pression d’être hétéro coûte que coûte, Caroline, aujourd’hui âgée d’une quarantaine d’années, l’a également ressenti pendant une bonne partie de sa vie.

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Elle a toujours été en relation avec des hommes, mais, contrairement à Maude, elle n’avait jamais ressenti d’attirance concrète pour des femmes. Jusqu’à ce que…

« Il y a 3 ans, j’étais en couple avec un homme quand j’ai fait la connaissance d’une femme qui m’a fait très bonne impression. J’ai appris qu’elle était lesbienne. Ma relation amoureuse avec mon mec n’allait pas très bien et elle s’est terminée pour des raisons indépendantes à cette rencontre. Puis, j’ai revu cette femme, d’abord en amie. Un jour, elle m’a demandé si j’avais un intérêt envers les femmes, ce que je n’avais jamais réellement considéré. Éventuellement, on a passé la nuit ensemble. J’étais un peu surprise. Puis, la relation a évolué et nous sommes encore en couple aujourd’hui », résume Caroline.

En outre, cette expérience est venue jouer dans plusieurs conceptions très ancrées en elle. « J’ai toujours pensé que j’idolâtrais les hommes. J’ai toujours admiré la confiance qu’ils ont socialement. En étant en couple avec une femme, j’ai pris conscience des dynamiques de pouvoir genrées qui se déploient bien souvent dans les relations de couple hétéro. Entre femmes, il existe une égalité que j’apprécie énormément. On peut créer nos propres lois, au-delà des standards. »

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Pour Caroline, il n’est pas forcément question de parler d’un « switch » d’orientation sexuelle, mais plutôt d’une « ouverture ». Et, à son plus grand bonheur, sa relation avec sa copine a été très bien acceptée par son entourage, y compris son enfant. « Un jour, l’ami de mon fils est venu à la maison et il m’a demandé : “Vous, madame, vous êtes lesbienne?”. J’ai trouvé ça bizarre, puisque je ne m’étais jamais vraiment considérée comme telle. Mais force est de constater que dans le regard des autres, je porte l’étiquette “lesbienne”. Sauf qu’à mes yeux, je suis juste moi. Je suis tombée amoureuse de cette personne-là qui, oui, est une femme. Je dois me comprendre dans ce nouveau contexte et à travers le regard des autres. »

Dans les cas de Caroline et Maude, être en couple avec une femme qui assume son homosexualité depuis des années a représenté certains défis.

« Ma copine ne vit vraiment pas à travers le prisme patriarcal, alors que moi, je commence tout juste à déconstruire tout ça », admet Caroline.

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Maude, pour sa part, a senti une forme de réticence chez certaines partenaires potentielles, sorties du placard depuis longtemps. « Certaines avaient peur que je “m’ennuie des pénis” », illustre Maude en rigolant. « Maintenant que j’ai eu une petite-amie pendant plus d’un an, je sens que ça va sécuriser mes futures fréquentations. Comme si cette relation validait mes allégeances. »

Quand je lui demande si elle a l’impression que de plus en plus de femmes prennent contact avec leur homosexualité ou leur bisexualité, Ambre Marionneau affirme qu’à sa connaissance, aucune étude ne peut réellement le démontrer hors de tout doute. Du moins, il n’y a pas de consensus. Toutefois, il est certain que l’on entend davantage parler de ces coming out « tardifs » ainsi que des réalités lesbiennes en général.

La renaissance lesbienne

« On assiste actuellement à une forme de renaissance lesbienne, fait valoir Ambre, visiblement emballée. On a assisté à un certain âge d’or lesbien dans les années 1970-80. Aujourd’hui, environ 40 ans plus tard, de plus en plus de stars, de personnalités publiques, de séries et autres produits de la culture pop rendent visibles les réalités lesbiennes, longtemps invisibilisées. On peut supposer que ça pousse certaines femmes à exprimer leur orientation plus ouvertement ou même, que ça inspire des questionnements plus intimes. »

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En effet, les chanteuses Angèle et Billie Eilish, les actrices Lily-Rose Depp et Cynthia Nixon (eh oui, la Miranda de Sex and the City est une late-blooming lesbian!), pour n’en nommer que quelques-unes, affichent leur orientation sexuelle au grand jour. En parallèle, l’écrivaine française Virginie Despentes, elle, verse plutôt dans le lesbianisme politique (ou lesbianisme radical), un courant féministe qui cherche à combattre le patriarcat en arrêtant de soutenir l’hétérosexualité en cessant d’avoir des relations avec des hommes.

Cette fameuse renaissance lesbienne s’incarne également sur les réseaux sociaux.

Pendant la pandémie, plusieurs contenus ont émergé dans les médias, dont l’article TikTok Made Me Gay, créant une polémique, voire une panique morale, présumant que les réseaux sociaux avaient le pouvoir de nous rendre tous et toutes gais. Ambre, qui s’intéresse tout particulièrement aux nouvelles initiatives de socialisation LGBTQ+ en ligne, nuance bien évidemment cette affirmation. La chercheuse explique que, pendant le confinement, beaucoup de gens, dont les femmes, se sont retrouvés à passer davantage de temps devant leurs écrans. Si certaines avaient déjà des questionnements – conscients ou non – concernant leurs préférences sexuelles, il est tout à fait possible que le puissant algorithme de TikTok leur ait proposé du contenu à caractère LGBTQ+, renforçant en eux une tendance déjà bien présente ou suscitant de nouveaux questionnements. Mais de là à façonner une orientation homosexuelle de toute pièce? C’est évidemment plus compliqué et nuancé.

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Who runs the world? GIRLS!

C’est comment être en couple avec une femme pour la première fois dans la quarantaine, quand on n’a fréquenté que des hommes ? Caroline, toujours en couple avec sa première copine, et Maude, aujourd’hui célibataire, témoignent de la richesse et de la complexité de leurs expériences respectives.

« Pour moi, c’est extrêmement libérateur d’être en couple avec une femme. Je sens que j’ai moins besoin de correspondre à certains codes de la féminité. Je peux juste être moi. […] Je trouve que j’ai un plus beau rapport à mon corps, à mon être », exprime Caroline, sereine. « Par contre, quand je pars en voyage avec ma meuf, il faut faire plus attention. Je n’avais jamais eu à penser à ça avant. Je n’avais jamais eu à craindre directement l’homophobie et la discrimination envers les personnes LGBTQ+. C’est une nouvelle réalité pour moi. »

Pour Maude, son ouverture envers les femmes représente un magnifique terrain de jeu lui permettant d’explorer de nouvelles sensations. « Je préfère de loin caresser, donner du plaisir à une femme. Un orgasme féminin a tellement plus d’amplitude, de modulations », révèle-t-elle, un sourire dans la voix.

« Sur le plan émotionnel, je constate une plus grande profondeur, une communication plus transparente, plus mature. »

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Quand je leur demande de quoi sera fait leur avenir amoureux, les deux femmes n’ont pas tout à fait les mêmes perspectives. Maude réalise qu’elle désire de moins en moins les hommes et ne se voit plus en couple avec eux. Pourtant, plusieurs personnes autour d’elle s’attendaient à ce qu’elle retourne voir du côté des gars après sa rupture avec son amoureuse. Comme quoi la pression d’être hétéro, ici véhiculée par la société et l’entourage, revient presque toujours au galop.

De son côté, Caroline n’est pas fermée à l’idée de dater à nouveau des gars, si (on ne lui souhaite pas), elle se retrouvait à nouveau célibataire. « Mais je ne me tournerais pas vers un homme de type “mâle alpha” », ironise-t-elle. « Il faudrait que ça soit un homme particulièrement mature émotionnellement. »

Sachant qu’un peu partout dans le monde, les femmes sont de plus en plus à gauche et les hommes, de plus en plus à droite, peut-on s’attendre à ce que ce fossé idéologique et politique qui se creuse incite bon nombre de femmes hétéros à délaisser les relations amoureuses et sexuelles avec la gent masculine ? C’est à suivre !

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En terminant, Ambre tient à rappeler que l’orientation sexuelle est un concept fluide, susceptible d’évoluer au cours de la vie, et qu’il est parfois plus compliqué de faire un coming out à soi-même qu’aux autres. Elle indique au passage l’existence d’un outil qui a piqué ma curiosité. « Regarde du côté du document Am I a Lesbian. Tu peux télécharger le PDF », suggère-t-elle. « On y trouve plein de questions à se poser pour savoir si on est lesbienne. Ça a énormément circulé sur les réseaux sociaux et généré plein de memes. C’est fascinant ! »

Et vous, êtes-vous lesbienne ?