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Qui sont ces adultes qui dorment avec des doudous ?

Les peluches s'invitent plus souvent qu'on ne le croit dans la vie des grandes personnes.

Par
Laïma A. Gérald
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« Je dors avec mon doudou toutes les nuits, ça m’aide à m’endormir. », « Le soir, je sers mon doudou contre moi, ça me calme instantanément et je me sens moins seul. », « Quand je dors ailleurs que chez moi, j’emporte mon ourson. »

Croyez-le ou non, ces phrases n’ont pas été prononcées par des enfants d’âge préscolaire, mais bien par des adultes entre 24 ans et 36 ans.

Plutôt associés à l’enfance, les doudous et autres ours en peluche s’invitent plus souvent qu’on ne le croit dans la vie des adultes.

Selon une étude menée en Angleterre en 2010, 51% des Britanniques ont conservé un doudou de leur enfance, 35% des adultes dorment encore avec et 25% des adultes apporteraient un toutou lors de leurs voyages d’affaires. Personnellement, c’est beaucoup plus de gens que je ne l’aurais pensé.

Qui sont ces adultes qui dorment avec une peluche?

Les époques changent, les doudous restent

Je ne passerai pas par quatre chemins: j’ai moi-même un doudou (en forme de cochon!) que j’ai gardé de mon enfance et… je dors parfois avec. Même si ma peluche a pris un bon coup de vieux (je la trimballe depuis 32 ans après tout), c’est un objet auquel j’accorde beaucoup d’importance. Comme un ancrage, un repère, un symbole du temps qui passe aussi, peut-être.

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La journaliste, autrice et éditrice montréalaise Élisabeth Massicolli a une expérience similaire. « Doudou, c’est mon ours polaire, qui m’a été offert par ma grand-mère paternelle quand j’avais quelques mois à peine, me confie-t-elle. Il était beaucoup plus beau avant, il avait ses deux yeux, son nez, il était fluffy et il avait une boucle dans le cou. Il a même été attaqué par mon Golden Retriever at some point, mais il s’en est sorti! ».

Élisabeth et Doudou
Élisabeth et Doudou

«Je trouve ça rassurant d’avoir un objet dont je connais absolument tout. Il fitte parfaitement dans mes bras quand je dors.»

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Lorsque la pandémie a éclaté à l’hiver 2020, Élisabeth Massicolli, alors établie à Rome, était en voyage en France. En raison de la COVID de plus en plus menaçante, elle est revenue au Québec, laissant ses effets personnels en Italie, dont Doudou. In extremis, elle a réussi à rapatrier ses affaires au Québec, presque un an après son retour. « Je suis attachée à mon toutou, parce que mon Dieu qu’il en a essuyé des larmes, de mes peines d’enfant jusqu’à mes peines d’amour », se remémore la journaliste de 29 ans, qui vit actuellement à Montréal.

Dans les dernières années, elle a vendu presque toutes ses possessions pour déménager en Italie et vivre de façon beaucoup plus légère. « Tout ça fait que j’ai peu de souvenirs de mon passé. Doudou est vraiment une des seules choses que je possède qui soit si étroitement liée à mon enfance. Je trouve ça rassurant d’avoir un objet donc je connais absolument tout. Il fitte parfaitement dans mes bras quand je dors » ajoute Élisabeth, qui était très heureuse de retrouver Doudou, après presque un an de séparation outre-Atlantique.

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L’autrice du roman La bouche pleine me confie également que dans les périodes où elle se sent plus anxieuse, Doudou est un objet rassurant, un sentiment partagé par la majorité des adultes qui dorment avec une peluche.

Dans les bras de Morphée

« Au début de la pandémie, je trouvais ça difficile émotivement et je me sentais très seul, confie Fabrice-Vincent (nom fictif), un papa monoparental de 34 ans. Pour faire rire ma fille de 7 ans, je lui ai demandé si je pouvais lui emprunter un de ses doudous. Celui qu’elle a choisi est vraiment gros et sert à “câliner”. »

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Ce qui a commencé par une blague entre un père et sa fillette est finalement devenu plus sérieux. « Le doudou est resté dans mon lit vraiment longtemps. Il remplissait un trou et ça faisait une présence dans mon lit, que je trouvais vide. Par contre, je ne le serrais pas en m’endormant. C’était plus le fait d’avoir une masse à côté de moi durant cette période plus tough. C’est comme si le doudou veillait sur moi » admet le jeune papa.

«C’est comme si le toutou veillait sur moi.»

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En psychologie, le doudou et autres peluches sont très intimement liés au développement du sentiment d’attachement. Dès l’âge d’un an et demi environ, la majorité des enfants ont besoin d’un doudou partout avec eux. Si vous vous souvenez de vos cours de psycho, c’est ce qu’on appelle un « objet transitionnel », qui aide à gérer les séparations et certaines émotions.

En général, vers 5 ou 6 ans, quand les enfants deviennent plus confiants, ils délaissent peu à peu l’objet et développent d’autres façons de se rassurer. Mais certaines personnes en auront besoin plus longtemps ou y reviendront plus tard au cours de leur vie, pour surmonter leur angoisse, la solitude ou l’ennui des gens qu’ils aiment. Ça ne vous rappelle pas les émotions vécues lors d’une certaine pandémie, ça?

rupture et fourrure

Si Étienne, un étudiant de 24 ans, a dormi avec des doudous lorsqu’il était enfant, ce n’est que récemment que cette habitude nocturne est revenue dans sa vie. « En novembre dernier, j’ai vécu une rupture, raconte-t-il au bout du fil. Un jour, j’étais au Village des valeurs, et je suis tombé sur une magnifique peluche en fourrure véritable en forme de lapin. Je l’ai acheté et j’ai commencé à dormir avec. Le fait de serrer quelque chose de doux en m’endormant, ça me fait me sentir moins seul et ça m’apaise. »

«Le fait de serrer quelque chose de doux en m’endormant, ça me fait me sentir moins seul.»

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Selon les psychologues derrière l’étude britannique évoquée plus haut, en plus de calmer les angoisses et de favoriser la transition vers le sommeil, le doudou répond à un besoin physique : celui de toucher. Parce que quand on y pense, serrer son ourson ou caresser son lapin, c’est une expérience concrète et réelle. La chaleur, le toucher et les câlins créent ainsi des endorphines, qui ont des propriétés calmantes. Ça aussi, ça évoque un besoin, particulièrement criant depuis le début de la pandémie.

Le doudou qui voyage

«Si je pars en tournée, c’est absolument certain que je l’emmène dans mes bagages.»

La comédienne, autrice, compositrice et interprète de 36 ans Ines Talbi est de celles qui assument leur doudou, sans aucune gêne. « J’ai deux doudous, mais mon préféré c’est Tinamou, affirme la créatrice, jointe au téléphone en plein tournage. Je dors avec mon ourson toutes les nuits et si je pars en tournée, c’est absolument certain que je l’emmène dans mes bagages. Il représente la maison. »

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Pour la créatrice, Tinamou est intrinsèquement lié à l’univers du sommeil tout en l’aidant à apaiser ses angoisses. « En fait, dormir avec mon doudou, c’est comme un safe space, qui m’aide à créer un sentiment de sécurité, ajoute Inès. C’est un peu comme les gens qui dorment avec une couverture lourde pour gérer leur anxiété. »

«J’ai longtemps eu honte de mon doudou.»

Si Ines et Étienne laissent leur peluche bien en vue sur leur lit, Élisabeth n’a pas été toujours aussi ouverte sur le sujet de son doudou : « J’ai longtemps eu honte de mon doudou, avoue la journaliste, qui cachait son ourson lorsqu’elle avait des gens qui venaient dormir à la maison. Il y a environ 1 an, j’ai mis une photo de Doudou sur Instagram. Je me suis dit que je n’avais aucune raison d’être gêné de ça. J’ai reçu plein de messages de jeunes adultes qui dorment aussi avec des doudous. Ça m’a fait réaliser qu’on est une bonne équipe ! »

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Comme Élisabeth le faisait par le passé, je cache moi aussi mon doudou quand des gens viennent à la maison. Par gêne d’être jugée ou qu’on se moque de moi, sans doute. Mais comme m’a dit Élisabeth: « Si dormir avec un doudou peut te faire du bien, surtout en ce moment, dans le monde dans lequel on vit, why not peanut! »