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Qui se soucie encore des têtes couronnées ?

Par
Hanneli Victoire
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Si les histoires de la famille royale d’Angleterre fascinent toujours autant la terre entière (les photos mal retouchées de Kate Middleton en première ligne), on ne peut pas en dire de même pour les autres têtes couronnées et personnalités au sang bleu européennes. De nos jours, mais qui s’intéresse encore aux frasques des aristos ?

Une normalisation de la notion de people

Quand on pose la question pour savoir combien de monarchies existent encore sur le Vieux Continent, certains disent cinq ou six et la plupart répondent très honnêtement qu’ils s’en tapent. Et c’est là toute la problématique. En Europe, dix pays sont encore symboliquement gouvernés par des monarchies. Mais, mises à part les familles britanniques et de Monaco, les autres restent relativement dans l’ombre des gros titres de presse. Qui est capable de citer les noms du roi de Suède ou de Belgique en France ? Pas grand monde. Pourtant, ce désintérêt pour les familles princières européennes est plutôt récent, comme l’explique Emma Guillet, autrice d’un mémoire de master en histoire contemporaine sur la médiatisation des familles royales à la Sorbonne Université “ à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec l’essor de la presse magazine, les familles royales d’Europe deviennent de véritables people, au même rang que les stars de cinéma”.

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Pour preuve, les magazines Point de Vue et Images du Monde seront fondés respectivement en 1948 et 1944, avant de fusionner en Point de Vue Image, titre encore publié de nos jours et magazine phare de la culture aristocratique. L’apogée de la peoplelisation des familles royales sera atteinte avec la princesse Diana et son tragique destin, le numéro de Point de Vue Image sur son décès ayant été vendu à plus de 850 000 exemplaires. Néanmoins, les ventes sont en chute depuis plusieurs années, passant d’un tirage hebdo de 180 000 à 130 000 numéros en cinq ans (source, ACPM). Pour Emma Guillet, rien d’étonnant “l’actualité des familles royales n’est plus vraiment à la mode, à part la britannique. Les vies des stars de pop culture ou de télé-réalité apparaissent bien plus palpitantes que celles, perçu comme passéistes et ringardes des nobles”. Effectivement, le tapis rouge du MET Gala est bien plus commenté que celui du dernier bal des débutantes. Dans les grands événements des stars hollywoodiennes ou des influenceurs, les personnalités royales européennes paraissent plutôt à côté de la plaque niveau hype.

Des stars exemplaires

Pour preuve, de nombreux héritiers et héritières à travers l’Europe sont désormais en couple avec des personnes roturières, comme la princesse Victoria de Suède, mariée à son prof de gym, ou bien la reine néerlandaise Maxima, banquière avant de rencontrer le roi. Les descendants, qu’ils soient destinés au trône ou non, vivent de manière bien moins protocolaires que leurs aînés. “Encore une fois, mis à part la famille royale britannique ultra-scrutée à l’internationale, les autres têtes couronnées d’Europe sont bien plus anonymes, et mènent des vies privilégiées et discrètes, attirer l’attention étant plutôt mal vue” explique Emma Guillet. Cette notion de discrétion est omniprésente dans l’héritage chrétien des familles royales et l’exemplarité attendue de leur part. Études, service militaire, jobs sérieux et engagements caritatifs, on demande désormais aux héritiers un certain devoir d’exemplarité, faute de gouverner le pays.

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En effet, pour les états ayant encore une monarchie, la famille royale sert de boussole morale et d’outils de communication pour la promotion du savoir-vivre du pays, une sorte de plan marketing à l’échelle d’un état. S’ils ne servent pas à grand-chose politiquement parlant, ils restent néanmoins regardés par leurs concitoyens, et notamment les nouvelles générations. Pour Emma Guillet : “les plus jeunes ont grandi à l’abri des regards. Aucun des nouveaux héritiers n’a de compte Instagram personnel, la discrétion est de mise”. Effectivement, ni le prince Christian du Danemark (18 ans), la princesse Ingrid de Norvège (20 ans) ou la princesse Léonor d’Espagne (19 ans) ne sont présents sur les réseaux sociaux, à l’inverse des héritiers de grandes familles d’affaires ou des enfants de stars qui n’hésitent pas à afficher leur train de vie en ligne. Pourtant, si la royauté est délaissée dans la presse, elle reste fantasmée en fiction.

Des séries qui renouvellent l’intérêt

Avec l’immense succès de la série Netflix The Crown, le grand public s’est plongé avec délice dans l’histoire fictionnalisée de la famille royale britannique, dramas et petites histoires dans la Grande à la clé. Sur Netflix toujours, on trouve aussi Young Royals, teen-série sur une famille royale suédoise fictive, dont le prince héritier serait gay, renouvelée avec succès pour une troisième saison. Cet été, c’est Prime Video qui mettait en ligne l’adaptation du roman Red White and Royal Blue, narrant la romance entre le prince d’une famille royale britannique inventée et le fils de la présidente des USA. “Dans ces œuvres de fiction, le public adore rentrer dans les coulisses des puissants, voir comment les choses fonctionnent à l’envers, avec les dramas, les vices, les fragilités des plus riches” commente Emma Guillet.

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Cette pulsion voyeuriste qui fantasme la vie des bourges est aussi celles qui animent des séries comme Succession ou Gossip Girl. En cela, le public préfère s’intéresser à la fiction plutôt qu’à la vie réelle des têtes couronnées, ce qui n’est pas pour leur déplaire. Alors que le public de la presse spécialisée royauté vieillit et s’érode, ce type d’actualité pourrait bien disparaître petit à petit.