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Qui fait tourner les serviettes ?

Enquête sur cette pratique populaire devenue un tabou dans les milieux favorisés.

Par
Hanneli Victoire
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Pratique popularisée par le chanteur préféré des tontons Patrick Sébastien, faire tourner les serviettes est un art absolu réservé aux meilleures fêtes du village. Mépris de classe, détournement des codes sociaux des classes populaires pour s’en moquer, enquête sur cette pratique populaire tabou dans les milieux favorisés.

Une pratique populaire et internationale

Chez nous, c’est un truc que l’on faisait hyper souvent dans mon enfance” confie Marion, trentenaire lyonnaise, originaire de Bourgogne. S’il est impossible de retracer une origine ou une fonctionnalité sociale précise à cette pratique, on peut tout de même la trouver associée à des traditions locales. Dans le morvan d’où vient Marion, on fait tourner les serviettes sur des airs ayant rapport avec les moulins. Bien connue des mariages, des anniversaires ou des fêtes de village, ce moulinage du poignet festif se retrouve aussi dans le sport, et dans le monde entier, comme le confirme la série documentaire The Playbook, sur les coachs sportifs américains, dans un extrait où l’on voit les supporters de l’équipe de basket féminine universitaire de South Carolina tourner les serviettes dans la salle. Pour Margaux, issue d’une famille qu’elle qualifie de conservatrice et bourgeoise de Bretagne, faire tourner les serviettes est un moment incontournable pour l’entrée des mariés, avec des serviettes blanches et une musique classique. Si aucun chercheur en sciences humaines n’a pris la peine de s’intéresser à cette pratique pour remonter sa trace (pour le moment), elle était déjà populaire bien avant la sortie de la fameuse chanson de Patrick Sébastien “Tourner les serviettes” en 2000.

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Une pratique qui rassemble

Nicolas, 53 ans, le confirme “dans ma famille originaire du sud-ouest près de Mont-de-Marsan, on faisait déjà tourner les serviettes dans les années 80 lors des mariages ou des fêtes, peu importe la chanson”. Néanmoins, ce dirigeant de club de foot explique que depuis la sortie et l’immense succès du titre de Patrick Sébastien, lors de la soirée annuelle du club, c’est toujours sur cet air que l’on fait “tourner les serviettes”. “Ça a complètement accaparé la pratique, on ne le fait plus que sur cette chanson maintenant” reconnaît-il. La

macarena, sur le titre du même nom, le madison sur Last Dance, la danse du petit pont sur Cotton Eye Joe, sont autant de chorégraphies simples et répétitives qui sont associées quasi exclusivement à un titre particulier. “L’intérêt de ce genre de musique en soirées, c’est que tu sais que tu vas faire danser tout le monde, les personnes âgées comme les enfants.” explique Maxime, DJ en Vendée, sollicité pour animer des mariages et des fêtes de village. “À moins d’avoir une contre-indication, je prévois toujours de passer ce type de chansons pour faire monter l’ambiance, ça marche toujours. Pour Patrick Sébastien, je sais que ça fait un peu beauf, mais en fait, ça fonctionne vraiment sur les gens, surtout les enfants, lors d’un événement, c’est hyper rassembleur”.

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Une scission de classe marquée

Si l’image de Patrick Sébastien est durablement associée à celle du beauf, c’est-à-dire d’un homme rétrograde, adepte de culture populaire aux idées bien arrêtées, l’idée de faire tourner les serviettes traditionnellement lors de mariages a néanmoins été largement freiné par l’association largement populaire de la pratique à la chanson éponyme. Comprenez, faire tourner les serviettes, peu importe la chanson, serait devenue un “truc de beauf”. C’est ce qu’illustre une scène dans le film “Le sens de la fête” (de Tolenado et Nakache, 2017) où le marié interdit au DJ de faire tourner les serviettes (il le fera quand même), ou encore cet article paru dans le magazine GQ, qui préconise de ne surtout pas se laisser tenter pour garder sa dignité.

Je suis attachée de presse dans une association écolo, tout mon entourage parisien sont des personnes issues de milieux sociaux aisés, à aucun moment, je ne peux leur avouer que j’ai fait tourner les serviettes sur Patrick Sébastien toute mon enfance, c’est la honte” témoigne Marion. Le mépris social sur les pratiques festives des classes populaires et moyennes exercé par la bourgeoisie n’est pas nouveau. “Il y a certains sons populaires qui passent au second degré en soirée, genre Femme like you de K-Maro, ou encore les Lacs du Connemara, tout le monde connaît, mais personne n’assume” admet la jeune femme, qui se qualifie volontiers de transfuge de classe. Née de parents ouvriers, elle est arrivée à Paris pour ses études en lettres, sans comprendre grand-chose des codes sociaux qui régissent les goûts des élites intellectuelles. Elle confie avoir tout de suite senti le décalage avec ses camarades de promo issus du milieu bourgeois parisien. “C’est fou à quel point ils ont des idées hyper arrêtées sur ce qui est de bon goût, ce qui est cool, mais au second degré, et ce qui restera beauf de manière catégorique, il faut vraiment être très observateur pour comprendre comment ils raisonnent”. Patrick Sébastien et les serviettes arriveront-ils un jour à percer les codes de la hype ?

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