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Qu’est-ce qui fait le génie de Mitski ?

Les psychologues la détestent.

Par
Malia Kounkou
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Après deux (très) longues années de silence radio, la chanteuse américano-japonaise Mitski a récemment signé son grand retour sur la scène musicale avec son single Working For The Knife. Sans surprise, Internet lui a réservé un accueil de messie. Après tout, cela fait quelques années déjà que celle nommée « lauréat des jeunes adultes poètes du 21e siècle » par NPR et « mommy » par les Gen-Z de TikTok, a été élue reine des mots à l’unanimité. Le succès triomphal de son précédent album, Be The Cowboy, l’a même extirpé des humbles sentiers de l’indie.

Mais de cette simplicité découle des louanges presque religieuses de fans qui semblent trouver en Mitski la clé de leur propre Libération.

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« Personne ne me comprend comme Mitski me comprend », lit-on souvent sur les réseaux sociaux. L’enveloppe musicale de ses titres est pourtant d’une simplicité déroutante — une voix, une guitare et, dernièrement, quelques notes de synthé en plus. Mais de cette simplicité découlent des louanges presque religieuses de fans qui semblent trouver en Mitski la clé de leur propre libération.

Qu’y a-t-il donc de si spécial chez cette artiste ?

Un mot sur une émotion

Mitski est sans nul doute l’une des plus grandes parolières actives à ce jour. Un trophée que la chanteuse-compositrice remporte grâce à son indéniable capacité à mettre des termes concrets sur des émotions puissantes, mais insaisissables.

Dans la bouche de Mitski, les émotions deviennent des images vivantes.

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Ainsi, l’entendre déclarer dans Townie qu’elle veut « un amour qui tombe aussi rapidement qu’un corps d’un balcon » matérialise aussitôt dans nos esprits la sensation de « chute » émotionnelle, presque violente, que nous expérimentons tous lorsque Cupidon frappe à notre porte. Avec un titre comme A Burning Hill, à présent, la phrase : « Je suis un feu de forêt / et je suis le feu / et je suis la forêt / et je suis le témoin qui regarde […] et tu n’es nulle part » illustre parfaitement ce sentiment d’abandon total par la personne aimée tandis que tout, dans notre vie, fout le camp.

Dans la bouche de Mitski, les émotions deviennent des images vivantes. Elles ne sont plus des états subis, mais des métaphores palpables, des mots qui bougent, respirent et se débattent sous nos yeux. Au moyen de métaphores poétiques ou brutalement honnêtes, Mitski leur insuffle de la vie et de la couleur, transformant une simple écoute de chanson en une véritable expérience sensorielle.

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La voix d’un spleen

Une seconde force possédée par Mitski est sa capacité à vocaliser le malaise d’une génération qui court sans réelle ligne d’arrivée. Ce sentiment de vide juste après ses bougies d’anniversaire soufflées. Juste après la cérémonie universitaire terminée et son diplôme fraîchement en main. Ce fameux : et après ?

Mitski écrit pour ceux qui deviennent adultes avant d’en comprendre la pleine signification.

Class Of 2013 cristallise parfaitement le flou qui suit inévitablement l’entrée dans la vie active. On y entend Mitski supplier sa mère de la laisser dormir chez elle une nuit, puis « une année ou deux », juste le temps qu’elle parvienne à « payer pour sa propre vie aussi ». Combien de fois a-t-on été brusquement ramené de nos rêves d’indépendance à leur dure réalité ? Factures, loyers, impôts, recherches infructueuses d’emplois et ça y est, on se surprend déjà à regretter les temps de l’enfance où notre malheur ne se résumait qu’à un lacet défait.

« J’ai besoin que les auditeurs prennent ce dont ils ont besoin dans mes chansons. »

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Ce malaise, Mitski le creuse plus profondément encore en abordant son pan existentiel. Car arrive un moment où l’impatience d’être enfin « grand » se transforme en une peur du temps qui passe et nous laisse de côté. « Maman, suis-je toujours jeune ? Puis-je rêver pour quelques mois encore ? » Telles sont les paroles d’inquiétudes qui clôturent Class Of 2013. « J’ai toujours su que le monde que le monde irait de l’avant / Je ne savais juste pas qu’il irait sans moi », confesse-t-elle encore dans Working For The Knife. Mitski écrit pour ceux qui deviennent adultes avant d’en comprendre la pleine signification.

Une parole pour mille sens

« J’ai besoin que les auditeurs prennent ce dont ils ont besoin dans mes chansons », expliquait l’artiste sur le plateau du Daily Show de Trevor Noah, courant 2018. On comprend ici qu’elle pense ses musiques comme un miroir permettant à ceux qui les écoutent de s’y retrouver, quels que soient leurs parcours et sensibilités.

Le génie de Mitski est de parvenir à décrire des vécus infinis de manière universelle.

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Il y a des interprétations unanimes. Les languissants « nobody, nobody, nobody, nobody… » de son titre, well, Nobody, ne peuvent que renvoyer à cette solitude inexplicable et viscérale qui souvent nous étreint, même lorsque nous sommes entourés d’une foule.

Et puis il y a des interprétations plus personnelles. Dans cette case, je rangerais bien précieusement A Pearl. C’est une chanson où rien ne dépasse : aucun mot, aucune note. Tout y est extrêmement juste. Une opinion plus qu’un fait, il est vrai, car les paroles ont eu sur moi l’effet d’une gifle dont la douleur ne s’est toujours pas estompée. « Je suis tombée amoureuse d’un guerre / Personne ne m’en a annoncé la fin », décrit à merveille ce trop-plein émotionnel qui m’habite avec de bien meilleurs mots que je n’aurais pu choisir.

Dans le monde lucide de Mitski, la noirceur humaine n’est jamais occultée.

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Le génie de Mitski est de parvenir à décrire des vécus infinis de manière universelle.

Célébrer sa nature imparfaite

Dans le monde lucide de Mitski, la noirceur humaine n’est jamais occultée, qu’elle prenne la forme de l’infidélité, du rejet ou du suicide. Loin de se positionner en tant que juge, la chanteuse aborde justement ces sujets — et bien d’autres encore — pour montrer que l’homme est imparfait, mais doit impérativement faire la paix avec lui-même. Et ce n’est pas tout de le comprendre ; il faut aussi soi même l’intégrer.

« J’avais besoin de chansons qui m’aident à pardonner les autres et moi-même. Je fais des erreurs tout le temps », expliquera-t-elle ainsi durant la promotion de son prochain album nommé Laurel Hell. « J’avais besoin de créer un espace […] où je me situais dans cette zone grise. » Un abri musical où toutes les émotions sont permises et aucune faiblesse n’est condamnée : voilà pourquoi autant de personnes trouvent refuge en Mitski.

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