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Vous entrez dans le wagon de métro. Un homme est assis sur un siège, les jambes bien écartées en mode manspreading de compétition. La place à ses côtés est libre. Vous vous assoyez quand même et prenez tout l’espace qui vous revient.
Vous êtes entre ami.e.s. Une de vos copines essaye de finir une anecdote, mais un homme du groupe ne cesse de lui couper la parole. Vous décidez de lui demander de se la fermer et de laisser votre amie finir son histoire.
Si ce type d’action est tout à fait votre genre, sachez que vous faites preuve de microféminisme, une tendance virale sur TikTok.
C’est quoi, le microféminisme ?
Très en vogue sur les réseaux sociaux depuis le début de l’année 2024, le microféminisme est une tendance qui regroupe différentes astuces ayant pour but de renverser le patriarcat au quotidien, rien de moins.
C’est l’animatrice et productrice américaine Ashley Chaney qui a popularisé le terme désignant ce mouvement qui encapsule toutes sortes manières de participer à ce « féminisme des petits gestes ».
Dans cette vidéo TikTok, Ashley Chaney, bien confortablement étendue dans son lit, explique que lorsqu’elle envoie un mail à un PDG masculin ayant une assistante, elle inscrit toujours le courriel de celle-ci en premier. De surcroit, si la productrice écrit un courriel à un groupe de personnes, elle s’adresse toujours à la femme en premier dans le corps du message. « Probablement que personne ne le remarque, mais j’ai envie de montrer à la femme que je la vois », explique-t-elle fièrement, avant d’encourager les femmes à partager leurs propres actions microféministes.
Des millions de vues et plus de 6 000 commentaires plus tard, des milliers de femmes de partout dans le monde ont partagé leurs stratégies microféministes sur les réseaux sociaux.
Par exemple, la TikTokeuse Mahlet Yared, qui se réjouit de la popularisation du terme et de la tendance, considère que l’activisme féministe se situe bien souvent dans les détails.
En effet, Mahlet Yared explique que pour sa part, elle s’abstient de faire des compliments spécifiques aux corps des femmes, qu’ils soient positifs ou négatifs. « J’ai grandi entourée de beaucoup d’hommes et j’ai remarqué qu’ils basent souvent leurs compliments sur l’apparence physique des femmes », relève-t-elle. Donc, au lieu de commenter le poids ou l’apparence d’une femme, je priorise les compliments du genre “Tu rayonnes” ou “Tu as l’air radieuse aujourd’hui”. »
Microféminisme en action
À notre tour, nous avons sondé quelques femmes pour savoir quelles actions microféministes elles posent au quotidien.
Sarah : « Je ne connaissais pas le terme “microféminisme”, mais je pense que je le pratique au boulot. Je travaille dans un bureau avec beaucoup d’hommes, et chaque fois que je trouve qu’un collègue fait preuve de sexisme, de paternalisme ou de mansplaining, je le lui fais remarquer. Il m’arrive même de me moquer de certains collègues masculins un peu plus âgés en les infantilisant à mon tour, avec une ironie assez claire. Évidemment, je me cache sous le couvert de l’humour, mais mon message finit par passer. »
Éléonore : « Dans ma famille élargie, nous sommes une dizaine de cousins et cousines qui avons à peu près le même âge. Récemment, avec une de mes cousines, on a remarqué que ce sont presque toujours les femmes qui mettent la table, qui débarrassent les assiettes et qui font la vaisselle pendant que les hommes discutent dans le salon. On s’est dit putain, on est en 2024, quand même ! Noël dernier, on est quelques de cousines à ne pas s’être levées à la fin du dîner et on a attendu que les mecs fassent leur part. Ça a mené à une bonne conversation ! »
Geneviève : « Je suis tellement lassée que ce soit toujours moi qui me tasse dans la rue quand je croise un mec en sens inverse. Depuis quelque temps, je ne me décale plus, quitte à me prendre un coup d’épaule sur le bras. Pour de vrai, les gars, tassez-vous de temps en temps! […] Même chose avec le manspreading dans les transports en commun. Quand un homme prend toute la place, j’en prends encore plus, fuck that ! »
Marion : « J’ai commencé à utiliser l’écriture inclusive, au travail et dans ma vie personnelle. Je commençais à trouver que la règle “Le masculin l’emporte sur le féminin” avait fait son temps. Quand je rédige un courriel de groupe au bureau, j’écris toujours “Bonjour à toutes et à tous”. Aussi, quand je texte un groupe mixte, j’écris “Salut les ami.e.s”. C’est peut-être pas grand-chose, mais je trouve que ça fait une différence, au bout du compte. »
Catherine : « Récemment, j’ai lu des commentaires sur Instagram qui faisaient remarquer que, dans des cas de violences à caractère sexuel, les médias emploient encore trop souvent des formulations passives, comme : “Telle femme s’est fait agresser” ou “Elle s’est fait violer”. Ces formulations sont lourdes de sens et on gagnerait à renverser la vapeur en disant plutôt : “Tel homme a violé une femme” ou “Il l’a agressée”. J’ai compris qu’une formule active donne la responsabilité à l’agresseur, plutôt que de faire porter le blâme à la victime. Ça m’a marquée et j’essaye de faire attention aux formulations que j’emploie quand je parle de ce genre de sujets. »
Pour ma part, dans mes reportages, j’essaie de donner autant que possible la parole à des femmes.
L’an dernier, je suis tombée sur des chiffres qui démontraient qu’en moyenne, les femmes sont moins souvent citées que les hommes dans les médias. Selon l’Arcom, le temps de parole des femmes à la télé et à la radio est de seulement 34% en 2023, une baisse de deux points par rapport à 2022.
Pour renverser la vapeur, lorsque je souhaite citer un expert ou une experte dans un article que j’écris ou un reportage que je réalise, j’approche des femmes en priorité, pour les faire shiner au maximum dans les médias.
Ça marche ?
« Il est intéressant d’avoir choisi le terme “micro”, car même si l’on peut voir ces actions comme mettant le focus sur des détails, ceux-ci sont en réalité révélateurs de la dimension structurelle des inégalités de genre », croit Marylène Lieber, professeure de sociologie à l’Université de Genève, citée sur le média belge Femina. « Pour se rendre compte de l’importance de ces détails, il faut avoir été sensibilisé.e aux inégalités existantes, et c’est donc bien grâce aux mobilisations féministes antérieures que l’on est capable aujourd’hui d’agir de la sorte. […] Cette lutte est, dès lors, révélatrice d’un mouvement qui n’a rien de micro. »
À l’autre bout du spectre, les détracteurs et les détractrices du mouvement jugent que les situations mises en lumière par cette tendance sont très anecdotiques, voire révélatrices d’un grand privilège.
« Évidemment [la tendance] s’adresse à une population qui vit souvent dans un climat d’égalité tempérée. Où l’on ne vous tue pas pour un port de voile mal ajusté… », fait-on valoir sur France Inter.
C’est sûr que quand on se compare à Manahel al Otaibi, une professeure de fitness et militante saoudienne en faveur des droits des femmes de 29 ans, qui vient d’être condamnée à 11 ans de prison pour avoir porté des « vêtements jugés indécents », on se console.
Ceci étant dit, oui, les situations évoquées plus tôt peuvent paraître anodines, mais elles encapsulent bel et bien des inégalités et des biais sexistes beaucoup plus vastes, qui persistent encore dans la société. En minimisant les impacts du paternalisme au travail, du manspreading dans le métro ou des tables débarrassées par les femmes de la famille, on banalise le sexisme toujours à l’œuvre. Et ça, ça n’aide personne !