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Quel avenir pour le militantisme sur les réseaux sociaux ?

Faut-il partir ou lutter face à Elon Musk et Zuckerberg ?

Par
Louna Galtier Oriol
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Face aux souverains du numérique et leurs discours conservateurs, les militants des réseaux sociaux mettent en place des stratégies de lutte. Partir des plateformes, en investir de nouvelles, rester et faire entendre un autre son de cloche, les opinions divergent sur l’avenir des espaces numériques.

Réinjecter de l’énergie masculine dans les entreprises et déblatérer sans conséquences que les femmes sont « des objets ménagers » et les personnes LGBT « des malades mentaux » sur les réseaux sociaux, voilà le programme nauséabond proposé par le leader de l’entreprise Meta, Mark Zuckerberg. Des propos qui font écho à ceux d’Elon Musk, patron de la plateforme X et bras droit de Donald Trump, qui se présente comme un “absolutiste de la liberté d’expression”, quand elle lui convient, évidemment. Ces milliardaires, véritables souverains de la technologie et de l’économie numérique, font des réseaux sociaux des terrains hostiles à toute pensée progressiste. Face à ce que nomme l’économiste Cédric Durand, l’ère du “techno-féodalisme”, celles et ceux qui ont fait des plateformes numériques leur mégaphone militant, s’interrogent sur l’avenir.

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Vers de nouveaux horizons

Si X a vu naître les mouvements de dénonciation des violences sexuelles et sexistes, #MeToo et #BalanceTonPorc, le réseau est désormais le paradis des propos insultants, des fakes news et de l’extrême droite. Une fascisation qui risque d’empirer suite à la réélection de Donald Trump. Certains ont pris la décision de ne plus y mettre les pieds, comme le mouvement HelloQuitteX, lancé par le mathématicien David Chavalarias et d’autres chercheurs du CNRS, personnalités et collectifs.

Magali Payen, cofondatrice du mouvement et créatrice d’On Est Prêt, association de sensibilisation aux enjeux écologiques, explique que ce n’est pas tant le porte-monnaie d’Elon Musk qui est visé, mais plutôt son influence : “X est le cheval de Troie d’Elon Musk. C’est un outil géopolitique très puissant qui travaille les opinions et qu’il utilise pour mener sa bataille culturelle et gagner le pouvoir dans d’autres pays, l’idée est d’affaiblir ce cheval de Troie”, confie Magali Payen. Entre les présidentielles américaines et son engagement dans les élections allemandes en incitant à voter pour l’Afd (extrême droite allemande), Elon Musk a montré sa volonté de modeler le monde à sa façon.

“Le combat sur X est perdu d’avance”

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Pour la présidente d’On Est Prêt, rester sur X est un réel danger, surtout pour les comptes très suivis : “c’est prendre le risque d’exposer sa communauté au pillage de leurs données et potentiellement au cyberharcèlement.” Selon Magali Payen, “le combat sur X est perdu d’avance”. Rejoint par des médias comme Le Monde ou Mediapart, le mouvement HelloQuitteX n’appelle pas à se réfugier dans des lieux “avec des valeurs uniquement progressistes, mais dans des espaces démocratiques, pluralistes où la discussion reste possible”, précise la porte-parole.

Mais alors, où aller ? D’abord, il est nécessaire de récupérer ses données (liste d’abonnés et des comptes suivis), pour cela, HelloQuitteX a créé une plate-forme facilitant ce transfert. Ensuite, le collectif invite à se rendre sur Mastodon ou BlueSky, où toutes les données auront été déménagées. Comparés à X, ces réseaux sociaux fonctionnent, en partie, de manière décentralisée, c’est-à-dire sans être contrôlés par une seule et unique entité. Chez Mastodon, qui est en majorité financé par des dons, chaque serveur est indépendant, mais “le parcours utilisateur est moins évident aux premiers abords”, confie Magali Payen. Quant à BlueSky, le réseau possède des risques, à long terme, de devenir comme la plateforme d’Elon Musk. Créé par un ancien de X (ayant depuis quitté le navire), BlueSky reste une entreprise à but lucratif, dont le besoin de rentabilisation pourrait être un danger. Mais pour l’instant, l’exode de X semble lui profiter puisque les médias ayant quitté X pour BlueSky, ont vu leurs abonnés augmenter de jour en jour.

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Défier les algorithmes

Pour d’autres, il est nécessaire d’être présent sur X et Meta (Threads, WhatsApp, Instagram, Facebook) même s’ils sont tenus par des milliardaires aux idées conservatrices. Comme l’explique la militante au collectif Du Pain et des Roses, Sasha Yaropolskaya, sur son compte X, pour elle, “il faut rester malgré la censure pour opposer un discours opposé à celui de l’extrême droite, pour continuer à défendre nos idées, pour s’organiser politiquement sur les réseaux.” Une vision partagée par l’organisation d’extrême gauche Révolution Permanente qui, sans minimiser la forte présence de l’extrême droite sur X, dénonce plus largement un système capitaliste impossible à éviter : “il y a du Elon Musk dans chaque milliardaire […] penser qu’il est possible de résoudre le problème en boycottant X au profit d’autres plateformes dans un monde où tous les réseaux sociaux de masse sont possédés par des puissances de l’argent, c’est une illusion.”

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Partir est aussi, pour beaucoup, synonyme de perte d’audience, l’autrice et militante féministe Rose Lamy évoque les difficultés de délaisser ces espaces : “Déserter. Il faut des capacités économiques et culturelles pour aménager le monde en fonction de son idéal. […] On se lève et on se casse ? J’en suis à essayer de me lever. Rester et limiter la casse, ce serait déjà bien”, écrit-elle dans un post Instagram sur son compte, Préparez-vous pour la bagarre. Dans le cas des petits auteurs ou des militants s’exprimant sur des sujets de niche ou très clivants et n’ayant pas accès aux médias traditionnels, perdre une plateforme d’expression et risquer de toucher moins de monde, est parfois inenvisageable. Ces mêmes militants, LGBT, décoloniaux, féministes, faisant partie des communautés dont les propos sont les plus silenciés par les algorithmes de Musk et Zuckerberg.

Dans le cas des plateformes Meta, partir est encore plus complexe que pour X. Du côté d’HelloQuitteX, l’équipe “réfléchit à un codage pour faire un exode de Facebook, mais cela se pense d’un point de vue structurel, parce qu’il faut des espaces équivalents. Il y a des alternatives à Instagram qui émergent et qu’il faut étudier. Un départ comme cela, s’organise collectivement, nous prenons le temps de la réflexion, parce que si nous allons dans ce sens, il y a aussi Google qui a évoqué, en décembre, cesser le fact-checking, donc tous les Gafam sont débridés.” Des plateformes comme Signal ou Pixelfed, se présentent comme de nouvelles options à Whatsapp ou Instagram.

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Au-delà des réseaux sociaux

Face à ces problématiques, c’est une reconfiguration du système capitaliste des réseaux sociaux qui est à envisager, Arya Meroni, militante au collectif queer Les Inverti.e.s, écrit qu’il est temps de “revendiquer que les réseaux sociaux soient des biens communs, non lucratifs et gérés par des instances indépendantes de tous pouvoirs politiques ou économiques”. En attendant, si l’on décide de partir de certaines plateformes, il faut s’assurer que celles où l’on se rend respectent certains critères : “faire attention au fait d’être propriétaire de ses données, ce qui n’est pas le cas sur X, veiller à ce que le réseau soit décentralisé comme Mastodon et se demander s’il respecte les réglementations européennes”, suggère Magali Payen.

Enfin, comme le rappelle Arya Meroni, la lutte ne peut s’imaginer qu’essentiellement par le prisme des réseaux sociaux : “il faut savoir se protéger et surtout se diversifier : car si Instagram est une vitrine et un lieu de politisation, il ne doit pas être le seul lieu dans lequel se déploie la politique. Il faut urgemment retrouver l’action collective organisée, militer quotidiennement, se déployer ailleurs, construire d’autres espaces de solidarités, reprendre la rue, etc.” Soutenir les médias indépendants et les créateurs de contenus militants sur les réseaux sociaux, doit aller de pair avec les mobilisations de rues, la syndicalisation et l’engagement associatif.

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