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Queers à Beyrouth : entre vie « cachée » et flou juridique

« Nous avons fait fuir des personnes à Toronto ».

Par
Christiane Oyewo
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Au Moyen et Proche-Orient, ainsi qu’en Afrique du Nord, les réseaux sociaux sont des sources de craintes supplémentaires pour les personnes LGBTQIA+. Des pays ont récemment été épinglés par Human Rights Watch dans un rapport, car via les espaces en ligne, les dirigeants et autorités les ciblent pour mieux les arrêter, torturer et incriminer.

Il y a peu, j’ai pu me rendre au Liban et rencontrer la communauté LGBTQIA+ de Beyrouth. Là-bas, si être queer n’est pas clairement interdit par la loi, le fait d’avoir des relations sexuelles dites « contre-nature » l’est. L’article 534 du code pénal est utilisé pour persécuter la communauté, et l’article 521 plus transphobe sur les bords, criminalise les hommes qui « se font passer pour des femmes ». Difficile alors pour une femme transgenre de porter une jupe, du maquillage ou des talons, sereinement.

« Ici c’est très risqué sur Internet pour les personnes LGBTQIA+ »

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« Dans la région méditerranéenne, ce n’est pas safe du tout », commente Sam, un homme trans habitant la banlieue de Beyrouth. « Oui les Libanais.e.s sont plus ouvert.e.s comparé aux pays voisins, mais ce n’est pas le paradis non plus », complète-t-il. Il m’explique qu’« ici c’est très risqué sur Internet pour les personnes LGBTQIA+. Ça peut venir de faux comptes ou de personnes connues ». Sur les applications de rencontre et réseaux sociaux, iels s’adonnent à du harcèlement, chantage, outing, et doxing (le fait de publier les informations personnelles d’une personne comme son nom et prénom, adresse, numéro de téléphone…). Les forces de l’ordre elles, se font passer pour des gays afin d’utiliser les échanges comme preuves devant les tribunaux avec l’article 534, et/ou des accusations d’incitation à la débauche. En attendant le procès et en garde à vue, les victimes subissent humiliations, violences physiques et sexuelles, aveux forcés…

Journaliste de formation, Sam a publié son travail sur les réseaux sociaux, notamment une enquête en arabe concernant les personnes trans au Liban. S’il l’a fait malgré les risques, c’est parce qu’il y a un manque d’accès à des ressources fiables dans le pays et en arabe selon lui. Quelques organisations comme Helem, MOSAIC ou encore A Project effectuent ce travail, mais il faut surtout chercher des réponses à ses questions en anglais ou en français dit-il.

« Nous avons fait fuir des personnes à Toronto »

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Le rapport d’Human Rights Watch démontre la complicité et les manquements des États dans le harcèlement des LGBTQIA+. « Ici tu as des crimes d’honneur, tu as encore des gens qui perdent leur boulot, que tu dois faire fuir… Nous avons fait fuir des personnes à Toronto parce que ce n’était juste pas possible, elles étaient agressées tous les jours ! », s’agace Nada de la situation. Ancienne militante qui s’est retirée du monde activiste, elle en avait ras-le-bol de recevoir des menaces de mort, coups de fil à son domicile, de toujours regarder derrière elle en marchant…

Avec des ami.e.s, notamment l’activiste Ian Abinakle, un Libanais basé à Montréal, ils ont créé The Queer Project. L’objectif est d’aider via une campagne de dons, des personnes queers ayant souffert de l’explosion du port de Beyrouth. Elle a eu un effet dévastateur sur la communauté, ayant touché les quartiers Gemmayzé et Mar Mikhaël qu’iels habitent. Ces populations seraient laissées pour compte et se verraient refuser les aides des grandes ONG qui pourtant affirment travailler avec les LGBTQIA+ et reçoivent de l’argent pour. « Nous avons des preuves », affirme Nour, lors de notre entretien dans l’un des seuls café lesbien de la ville. Ce cinéaste égyptien, militant, et défenseur des droits LGBTQIA+ habite au Liban depuis près de neuf ans. Il a fondé l’organisme de diffusion One More Cup qui travaille avec les communautés les plus vulnérables du pays, peu importe le genre et l’orientation sexuelle. À travers des écrits, photos ou vidéos documentaires, iels réalisent des campagnes de sensibilisation et de défense pour mettre en lumière leurs histoires/difficultés, et faire en sorte que leurs voix soient entendues. Car beaucoup ne sont pas soutenu.e.s par leurs proches.

« J’ai le support de mes parents, de toute ma famille, de mes ami.e.s et de mon environnement, alors je m’en fous des autres ! »

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Lors d’une interview en parfait franglais après l’une de ses représentations, l’humoriste et militante lesbienne Shaden Esperanza, s’est exprimée sur les problèmes que rencontrent les personnes LGBTQIA+ au Liban. Dans ses stands up, elle aborde ouvertement différents sujets « tabous » au Liban, dont la religion, la politique et son homosexualité. Lorsque je lui demande si elle ne craint pas les répercussions sur sa vie, elle me répond que non : « J’ai le support de mes parents, de toute ma famille, de mes ami.e.s et de mon environnement. Alors je m’en fous des autres ! » Et effectivement, cela ne l’atteint plus vraiment. En 2021, elle a été convoquée par le bureau de lutte contre la cybercriminalité ainsi que le Tribunal militaire après une plainte déposée par les Forces de Sécurité Intérieure. La raison ? Avoir appelé et demandé aux forces de l’ordre de lui livrer des serviettes hygiéniques chez elle dans une vidéo humoristique. Si son humour lui vaut des déconvenues avec les autorités, il permet aussi des belles histoires, comme celle d’un jeune homme qui a amené sa sœur la voir en spectacle pour lui faire son coming out. Ou encore les jeunes qui la remercient de rendre leur vie plus facile, « tout ça me motive », s’enthousiasme Shaden.

« Ce n’est pas un sujet socialement accepté »

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La vie au quotidien pour les queers de Beyrouth semble se développer de plus en plus. « Il y a même une scène drag importante », assure Ribal, consultant-chercheur travaillant dans le domaine de l’humanitaire et du développement. Pour Christa-Reine, floor manager d’un café-restaurant, il est encore difficile de trouver des lieux pour les personnes queers au Liban. Même pour les soirées selon elle. Les lieux sont connus de la communauté grâce au bouche-à-oreille. « Si tu es queer, tu sais que ça existe, mais c’est tout », précise Christa. S’il n’y a pas de lieux qui s’affichent ouvertement queers, il y a des espaces queer friendly et safe. Des bars, cafés, restaurants et boîtes de nuit qui ont reçu des formations sur le lexique des genres, sur la manière de s’adresser aux personnes LGBTQIA+ et de les respecter. Comme celui dans lequel travaille Christa.

Peu de chance de trouver des drapeaux arc-en-ciel à l’entrée, mais en prêtant attention aux vitres, des autocollants arc-en-ciel trônent parmi les stickers féministes, anticapitalistes et antiracistes. Pour Robert*, étudiant gay en droit et volontaire auprès de l’ONG Proud Lebanon qui travaille pour les droits de la communauté LGBTQIA+ et lutte contre leur criminalisation, rien d’étonnant. « Ce n’est pas un sujet socialement accepté ». Même si pour lui, il y a des petites améliorations au niveau juridique depuis 2009/2010, avec des juges qui refusent d’appliquer l’article 534. Dans une dizaine de cas, les personnes accusées n’ont pas été condamnées. Moins de condamnations systématiques, mais toujours aucune protection juridique, beaucoup de harcèlement et des intimidations. Que cela soit derrière les écrans ou dans la vie réelle.

* Nom d’emprunt pour sa sécurité

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