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Queer chevelu déconstruit les stéréotypes de genre à coups de ciseaux
Sociologue de formation, Vic déconstruit les stéréotypes de genre à coups de ciseaux. Plus connu·e sur les réseaux sociaux sous le nom de « Queer Chevelu », iel pratique la coiffure à sa façon : coupes de cheveux à prix libre et à domicile, respect de toutes les demandes et bienveillance. La démarche de Vic, 26 ans, est profondément militante. Iel propose ses services à celles et ceux pour qui le passage chez le coiffeur peut être une expérience désagréable, car iels sortent de la norme. On a vite pris rendez-vous.
Comment est né Queer Chevelu ?
Ça a débuté quand je faisais mes études de sociologie, pendant mon master. J’ai trouvé des ciseaux chez mes parents qui me semblaient être des ciseaux de coiffure, et j’ai commencé à couper les cheveux de mes potes, juste en soirée. Iels n’avaient pas beaucoup de sous, alors ça les arrangeait bien que je leur fasse des coupes pour tester, et puis moi ça m’a bien plu. C’est vraiment parti de là, mais à l’époque je ne pensais pas du tout en faire un travail !
Et puis au fur et à mesure, ça a pris de plus en plus d’ampleur dans ma vie. Je faisais de plus en plus de coupes, à des ami·e·s d’ami·e·s… Il a donc fallu que je m’organise pour simplifier les prises de rendez-vous avec mes potes et j’ai créé la page Facebook « Queer Chevelu ». C’est vraiment le bouche à oreille qui s’est fait tout seul pendant des années, et qui se fait tout seul encore aujourd’hui. Je ne fais pas de pub du tout, et ça tourne. En septembre dernier, j’ai passé mon CAP en candidat·e libre – je n’ai pas du tout fait de formation – pour créer ma microentreprise et en vivre.
Comment pratiques-tu la coiffure ?
Ce travail, c’est vraiment du militantisme pour moi. Dès le début, dans un esprit libertaire anticapitaliste, j’ai souhaité que les coupes soient à prix libre. Selon moi, c’est forcément le prix le plus juste qui existe. Le but c’est de permettre à tout le monde de se procurer un service, et je me suis rendu·e compte que ça s’équilibre vachement bien : les personnes qui ont plus d’argent vont donner plus, et celles qui n’en ont pas ne vont pas donner beaucoup.
La grande majorité de ma clientèle est queer. C’était une évidence pour moi, parce que je suis sociologue de la sexualité et du genre, et moi-même queer. Ça me parait évident de proposer des choses aux personnes qui sont les plus discriminées, et de donner un espace à des personnes qui veulent juste avoir leur coupe de cheveux.
Tu as identifié un vrai besoin chez les personnes queer ?
Oui, c’est énorme. Ça fait des années que j’ai beaucoup de demandes, et j’en ai toujours plus. C’est parce qu’elles sont discriminées dans les salons classiques, où il y a un rapport très fort aux normes de genre, et à la « normalité » de manière générale… Et c’est présent partout en France. Au fil de temps mes client·e·s m’ont raconté des centaines et des centaines d’anecdotes, qui se ressemblent toutes : iels sont confronté·e·s à des refus. Par exemple, pour les personnes perçues comme des femmes, on refuse de couper leurs cheveux plus courts, ou à la tondeuse, parce que ce ne serait pas assez féminin. En plus, on va te faire payer plus cher parce que tu es une femme, pour aucune raison ! Il y a aussi tous les problèmes autour des cheveux bouclés à crépus. On te fait des remarques dessus, comme par exemple : « Mais moi je ne sais pas couper les cheveux comme ça ! Ils sont compliqués à coiffer ! Pourquoi tu les lisses ? Pourquoi tu ne les lisses pas ? » C’est des jugements, sans arrêt, et qui vont parfois très loin… Plein de types de personnes vont être discriminés. Il y a aussi les personnes grosses qui vont se faire juger sur leur physique, ou celles qui sont mal à l’aise socialement ou sur un spectre autistique, qui se sentent très mal à l’aise…
Beaucoup de personnes à qui je coupe les cheveux n’aiment pas l’ambiance des salons classiques, parce que d’autres personnes les jugent, et puis on les voit depuis la rue… Donc elles aiment bien le concept intimiste du coiffeur à domicile, je pense que c’est rassurant. Elles me parlent souvent de choses très personnelles quand je leur coupe les cheveux. Je veux leur offrir un espace de care.
Une coupe de cheveux, ça peut être important dans l’affirmation de soi et de son identité, n’est-ce pas ?
Oui, c’est certain. Ça peut paraitre ultra banal d’aller chez le coiffeur, mais pour des personnes minorisées, stigmatisées, c’est quelque chose d’énorme. Je pense par exemple aux personnes trans : c’est super dur pour elles de trouver quelqu’un qui va les genrer correctement. Et pouvoir demander la coupe qu’elles veulent, c’est ultra puissant. Si par exemple elles veulent se faire pousser les cheveux, je vais leur donner des conseils pour en prendre soin, sachant qu’elles n’en ont pas forcément eu dans leur socialisation.
Il y a aussi des femmes queer qui sont mes clientes depuis un moment, qui un jour vont se sentir de faire une coupe courte alors qu’elles n’avaient jamais trop osé, et je les vois avoir les larmes aux yeux… C’est fou. Ce sont de gros moments de vie, des changements super importants dans les trajectoires individuelles.
Ta manière de militer, c’est donc de respecter et de réaliser leur souhait…
Moi, dans tous les cas, je fais la coupe qu’iels veulent. Je ne jugerai jamais ce qu’iels veulent. Ça me semble d’une évidence folle, mais c’est quelque chose qui n’est pas trop présent dans les salons. J’ai l’impression de changer la vie des gens en les aidant à être ce qu’iels veulent être. L’intime est politique, tout est politique, y compris notre apparence. Donc le fait d’offrir une palette infinie de coupes de cheveux, c’est juste rendre la liberté aux gens de faire ce qu’iels souhaitent et d’être ce qu’iels souhaitent. Les personnes veulent devenir sujets de leur propre vie, et non objets.