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Que pensent les Américains de l’annexion du Canada ? « Je l’ai pris comme une blague »

Virée aux États-Unis avec notre journaliste québécois Hugo Meunier pour comprendre la menace de Trump.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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– Avez-vous quelque chose à déclarer, monsieur ?

– Oui, allez-vous nous annexer ?

Le douanier américain du poste frontalier de Lacolle n’a pas l’air de comprendre ma blague ou il ne la trouve juste pas drôle. Il se contente de me tendre mollement mon passeport.

– Bonne journée, monsieur.

Me v’là dans l’État de New York, en route vers Plattsburgh. La dernière fois que j’ai mis les pieds là, je devais avoir dix ans. À l’époque, on allait occasionnellement profiter des plages, entassés dans la Lada familiale.

À quelques mois du retour des conservateurs à la Chambre des communes (je suis un devin), me voilà de passage dans le comté de Clinton. Pas pour la plage ou des emplettes au Target, mais plutôt pour sonder nos voisins du Sud sur le sujet du moment (ex aequo avec le degré de popularité des participants de Big Brother Célébrités) : l’annexion du Canada par les États-Unis.

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Donald Trump a beau être un troll, ça fait plusieurs fois qu’il la ramène – avec l’achat du Groenland et la prise de contrôle du canal de Panama en bonus – si bien que les gens chez nous commencent à se gaver d’antidépresseurs pour combattre leur anxiété.

Un Justin Trudeau démissionnaire a beau déclarer en interview que cette rumeur de 51e État propagée par le président républicain désigné n’est qu’une diversion pour accentuer la pression avec sa menace d’imposer des tarifs de 25 % sur les importations en provenance du Canada (et du Mexique), à quelques jours de son retour en poste, force est d’admettre que personne n’est rassuré.

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Le plus beau premier ministre de l’histoire du Canada aura beau marteler que ça n’arrivera jamais et que les Canadiens sont bien trop fiers d’habiter « le plusse beau pays du monde », les dernières années nous auront appris qu’absolument TOUT est possible dans ce bas monde.

la vie est rendue un roller coaster de surprises qu’on a à peine le temps de digérer.

D’où mon idée d’aller demander aux Américains ce qu’ils pensent de cette proposition. Trouvent-ils l’idée si folichonne que ça?

Le temps de beugler « ‘MURICA, FUCK YEAH » et je roule vers Plattsburgh, armé de mon best English.

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Avant de me jeter des tomates, sachez que je suis conscient que mon coup de sonde se déroule dans des « blue states », soit des bastions démocrates. Ce n’est pas de ma faute si URBANIA n’a pas les moyens de m’envoyer au Texas (bruit de pistolet dans les airs), en Alabama ou au Mississippi.

Je me gare directement à côté de la mairie de Plattsburgh. De l’autre côté de la rue, le monument Macdonough – érigé en l’honneur d’une vieille bataille – s’élève devant la rivière Saranac.

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Des disputes de famille

À Plattsburgh, on se les gèle. Un sans-abri remonte sa couverture sur le parvis de l’hôtel de ville. J’aborde une première dame sur le trottoir. « Je me sens mal pour Justin Trudeau et j’ai peur pour le Canada. Je sais que vous allez résister et je trouve que Doug Ford est efficace. Il faut une brute pour répondre à une brute », raconte cette femme originaire de Boston, qui souhaite conserver l’anonymat. Elle n’hésite pas à qualifier ouvertement son nouveau président « d’idiot », comme plusieurs personnes croisées ici d’ailleurs.

« On ne comprend pas ce qui s’est passé (aux dernières présidentielles)… on a des disputes au sein de nos propres familles avec des membres pro-Trump. C’est un grand recul pour les communautés LGBTQ+ », ajoute la dame, préoccupée.

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La ville chouchou des Québécois en vacances est plus trash que dans mes souvenirs. Même si le cannabis n’est pas en vente légale (sauf à des fins médicales), les boutiques d’accessoires de fumeurs se côtoient sur les rues commerciales quasi désertes en ce lundi hivernal.

J’entre dans un de ces commerces pour parler avec Jankin, le seul employé présent, devant un présentoir de bongs. C’est le seul qui est enjoué à l’idée d’annexer le Canada. « Je pense que ça serait formidable ! Vous avez une belle culture, même chose pour l’architecture et on pourra apprendre le français ! », s’enthousiasme Jankin. Sa joie est telle que je n’ose lui dire que personne à l’extérieur du Québec ne se fait chier à apprendre la langue de Molière.

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« Mais je ne sais pas ce qu’on pourrait faire pour vous. On galère beaucoup, ces temps-ci. La pauvreté augmente… », s’excuse presque l’employé, soulignant qu’au moins Trump risque de stimuler l’économie.

« Je pense qu’il s’amuse avec vous »

Un peu plus loin sur la rue Oak, un col bleu ramasse des déchets sur le trottoir. Signe qu’on est dans une petite ville, le gars discute avec tout ce qui bouge autour de lui. Il éclate de rire en apprenant ma mission journalistique. Comme plusieurs, il ne prend pas les fantasmes d’annexion de Trump au sérieux. « Je pense qu’il s’amuse avec vous pour faire pression avec les taxes douanières. Par contre, il est sûrement plus sérieux avec le Groenland et le canal de Panama… », croit Mark, convaincu qu’il ne verra pas de son vivant les deux pays voisins ne former qu’un.

« Ça serait une mauvaise idée pour lui en plus, puisque ça serait un autre État démocrate », ajoute Mark.

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Si la quasi-totalité des gens croisés n’ont que des fleurs à nous jeter, Mark estime qu’on pourrait faire mieux. « Beaucoup de gens trouvent que les Canadiens ne sont pas super gentils avec nous. Qu’ils viennent juste gagner de l’argent dans nos magasins. »

Là-dessus, je m’avoue surpris. Je pensais que les touristes canadiens étaient les meilleurs ambassadeurs du monde, sauf ceux qui vont dans les all inclusive.

Je cherche en vain des plaques du Québec dans le parking du Champlain Centre, un endroit apparemment fréquenté par moult Canadiens. On me souffle d’ailleurs à l’oreille que les Québécois ont été nombreux, ces derniers mois, à y faire leurs courses pour sauver du cash.

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À l’ombre d’un Target, Nancy constate que depuis la pandémie, les Canadiens ont déserté l’État, ce qui fait mal à leur économie. Cette native du Vermont peste également contre ses compatriotes qui ont signé un nouveau bail à Trump à la Maison-Blanche. « C’est comme une mauvaise blague. Il a des problèmes de santé mentale et je ne crois rien de ce qui sort de sa bouche », soupire Nancy, qui hausse les épaules au sujet de cette histoire d’annexion.

« Si au moins le Canada était au Mexique, on irait tous vivre là-bas. »

De retour à ma voiture, je croise Matt qui promène son chien. « Le retour de Trump ne changera pas grand-chose dans la vie quotidienne de l’Américain moyen. Les choses vont déjà très mal. Ma génération ne peut pas se payer une maison », se désole Matt, citant en exemple une réalité bien réelle des deux côtés de la frontière.

« Le Canada s’en sort bien sans nous »

Sur le quai de la rue King, j’attends l’arrivée du traversier qui me transportera jusqu’au Vermont. La neige poudreuse fouette ma Kia Rondo, le chauffage roule à plein régime. Le lac Champlain est agité et le bateau tangue pas mal pendant les quinze minutes de la traversée.

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Une fois arrivé de l’autre côté, je mets le cap sur Burlington via la route 189. Je capte une station de radio locale et monte le son en entendant les premières notes de Hells Bells.

D’abord, un arrêt à l’université, histoire de sonder la jeunesse au sujet de cette histoire d’annexion.

Sur place, je comprends pourquoi on doit vendre un rein pour faire des études supérieures aux États. L’Université du Vermont – une des plus vieilles au pays – a un petit côté Poudlard, avec ses bâtiments à l’architecture victorienne, des salons et sofas éparpillés partout, des tables de billard et même d’immenses foyers allumés sur chaque étage.

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Maria est perdue dans ses pensées quand je me présente devant elle. L’étudiante en soins infirmiers a entendu comme tout le monde les déclarations de Trump sur nous. « J’ai trouvé ça ridicule et ça ne fait aucun sens. Le Canada s’en sort très bien sans nous », souligne Maria, qui s’inquiète plutôt de l’impact des idées rétrogrades du chef républicain sur les communautés marginalisées. « Ma meuf est transgenre, alors je vois tout ça d’un très mauvais œil. J’ai peur aussi que son élection n’endommage les relations entre nos deux pays », résume Maria, qui se rend régulièrement à Montréal pour passer du bon temps.

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Un étage plus bas, dans une cafétéria, Isabella pense que Trump est sérieux avec son idée d’annexer le Canada, mais qu’il n’a pas assez de contrôle pour y arriver. « Tout le monde est nerveux, maintenant qu’on sait de quoi il est capable. Je me demande encore pourquoi on a voté pour lui », déplore l’étudiante en environnement originaire du Wisconsin. Elle ne cache pas sa jalousie envers le Canada, ce qui flatte un peu mon chauvinisme dans le sens du poil.

« Vos soins de santé sont meilleurs, vous êtes plus civilisés et moins bruyants dans vos opinions », louange-t-elle.

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Près du feu, Ellie se réjouit de voir que Donald Trump perd son temps avec des peccadilles. « Tant mieux, ça va l’occuper et l’empêcher de saccager le reste », badine à moitié l’étudiante en sciences. Elle ajoute que Donald Trump dit toutes les âneries qui lui passent par la tête parce qu’autour de lui, personne n’ose le challenger. Quant au Canada, qu’elle décrit comme un « petit frère bien élevé », Ellie estime qu’il sortira grandi de toute cette saga. « Au lieu de devenir un État, ça risque au contraire de vous unir encore plus autour de votre identité canadienne. »

« C’est un idiot ! »

Ce qu’on aime avec le Vermont, c’est que le cannabis y est légal. Après avoir déposé ma valise au chic hôtel Champlain (vue sur le parking = moitié prix), je fais un saut au Green State Dispensary pour encourager l’économie locale. « On aimerait ça, vous avoir dans notre pays, mais j’ai pas l’impression que c’est réciproque », philosophe l’employé fort perspicace, en me tendant le plus gros joint préroulé que j’ai vu de mon vivant.

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Le nightlife étant assez tranquille le lundi, je m’offre le luxe d’une bonne nuit de sommeil.

Avant de reprendre la route le lendemain, je fais un dernier coup de sonde sur la rue Church, magnifique artère commerciale, à un jet de pierre de la marina. Comme la veille à Plattsburgh, je pousse la porte de la mairie pour sonder les élus municipaux sur la menace d’annexion. En vain, ces gens étant constamment en meeting.

Sur la rue touristique, les gens ouvrent leurs commerces. Je croise Emmett, un ancien policier en train de promener un chien qui n’a pas du tout envie d’arrêter sa promenade pour un micro-trottoir à saveur internationale. « C’est un idiot ! C’est une distraction pour nous distraire des sujets vraiment importants comme l’immigration », ne se fait pas prier le Vermontois, lui-même un gros fan de Montréal. « C’est au bout de la rue. C’est là qu’on va chercher la meilleure bouffe et le meilleur vin ! »

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Après avoir fait un détour à la station-service Mobil où traînent les sans-abris locaux pour leur donner un restant de joint qui me durerait deux mois, je conclus cette tournée en taillant la bavette avec Kendall, une procureure de l’Idaho, dont plusieurs membres de sa famille supportent Trump. « Je pense que plusieurs d’entre nous aimeraient mieux être Canadiens que de vous voir devenir notre 51e État », tranche-t-elle sans détour.

Difficile de faire mieux comme chute.