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Qu’est-ce que l’Association canadienne des chefs de police, le Dr Horacio Arruda et le chef du Parti conservateur Erin O’Toole ont en commun ? Tous sont d’accord pour ébranler le statu quo en décriminalisant la possession simple des drogues pour usage personnel. Cette semaine, les élus montréalais ont aussi ajouté leur voix au mouvement en adoptant à 47 votes contre 13 une motion demandant au gouvernement fédéral de mettre en branle un plan de décriminalisation. En lisant ça, on peut se demander : « pourquoi ? ».
La réduction des décès par surdose causés par la crise des opioïdes est un des arguments avancés qui revient le plus souvent ; on vous en présente quatre autres tout aussi pertinents.
Les victimes de la prohibition sont souvent les mêmes
Ceux qui écopent en grande majorité sont les membres les plus pauvres, fragiles et marginalisés de notre communauté.
Il faut l’avouer, c’est assez rare que les fonctionnaires, les entrepreneurs et les enseignants vivent les conséquences judiciaires de leur consommation occasionnelle (parce que oui, eux aussi prennent de la drogue). Ceux qui trinquent en grande majorité, ce sont les personnes en situation d’itinérance, les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale, les groupes racisés et ceux qui ont des problèmes de dépendance. Bref, souvent les membres les plus pauvres, fragiles et marginalisés de notre communauté. Ce sont eux qui sont bien souvent criminalisés.
Il faut se rappeler que la majorité des consommateurs sont des personnes productives et fonctionnelles, des gens qui sont capables de mêler consommation récréative et mode de vie sain. Bien entendu, la dépendance et les surdoses peuvent arriver à n’importe qui si la prudence et la vigilance ne sont pas au rendez-vous, mais les individus plus vulnérables sont moins bien outillés pour les éviter. On devrait peut-être essayer de les aider au lieu de miser sur la judiciarisation des consommateurs.
La criminalisation de la possession de drogue est un échec qui coûte cher
En principe, l’idée de rendre illégale la possession de substances psychoactives part d’un constat tout simple : la consommation de drogue cause des problèmes sociaux, donc la drogue est un fléau pour la société ; si on se débarrasse de la drogue, on se débarrasse des problèmes. Faire disparaître la drogue, voilà le scénario idéal des plus réfractaires à l’idée de décriminaliser.
le coût de la guerre contre la drogue représente un énorme gaspillage d’argent et de ressources.
Malheureusement, la magie n’existe pas. Le marché de la drogue est en constante expansion, ce qui témoigne bien de l’échec des efforts déployés jusqu’à présent pour l’éradiquer. Sans oublier qu’il est aussi de plus en plus accessible grâce à internet ! Ainsi, le coût de la guerre contre la drogue représente un énorme gaspillage d’argent et de ressources.
Et si on redirigeait plutôt une partie de cet argent dans l’éducation à la consommation et dans les mesures de soutien pour ceux qui en ont besoin ? Des mesures qui aideraient sans doute les consommateurs à prendre moins de risques, et à avoir les outils nécessaires pour s’en sortir en cas de problèmes. C’est à se demander si la prohibition existe vraiment pour le bien et la santé de tous et toutes.
La prohibition et le racisme systémique, deux bons potes
Ces jours-ci, on parle beaucoup de racisme systémique, de profilage, de brutalité policière. Avec raison. Mais on parle plus rarement de la relation étroite entre le racisme et l’interdiction de posséder de la drogue.
Le rôle qu’a joué l’église chrétienne dans la colonisation de l’Afrique et des Amériques a eu un effet direct sur l’interdiction de consommer certaines drogues. Il n’était pas rare que lorsqu’une nouvelle plante psychoactive était découverte par l’Église, on l’interdise. Ces plantes étaient souvent intrinsèquement liées à la pratique religieuse des peuples conquis, qui devaient abandonner leurs croyances pour adhérer au christianisme.
Au fil du temps, la religion a perdu en importance, mais le contrôle social et la xénophobie ont gardé leur place dans la société.
Au fil du temps, la religion a perdu en importance, mais le contrôle social et la xénophobie ont gardé leur place dans la société. Au début du 20e siècle, la prohibition telle qu’on la connaît aujourd’hui a commencé à germer, surtout aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada. L’opium avait déjà mauvaise réputation, notamment parce qu’il s’agissait d’une substance addictive et relativement dangereuse, mais aussi parce qu’elle était associée à la culture chinoise.
Quand les fumeries d’opium se sont multipliées aux États-Unis et au Canada, une panique morale s’est emparée de la population. On a eu peur que les jeunes femmes de « bonne famille » fréquentent les fumeries et aient des relations sexuelles avec des personnes d’origine chinoise, ce qui aurait présenté un « risque » pour la population blanche. L’interdiction de l’opium n’a pas tardé à se faire voir.
Au cours des trente années suivantes, l’histoire s’est répétée notamment avec le cannabis, « l’herbe folle des Mexicains ». Not so fun fact : le nom « marijuana » a été attribué au cannabis simplement pour renforcer son lien dans l’imaginaire collectif avec la culture hispanique et réveiller la peur et le dégoût chez la population blanche.
Encore aujourd’hui, les groupes racisés sont les principales victimes de cette guerre.
C’est dans les années 1960 que les efforts de criminalisation de la drogue ont atteint leur apogée. Face à la menace de la contre-culture, le gouvernement américain a renforcé les restrictions et ajouté les hallucinogènes aux substances prohibées, ce qui s’est culminé avec l’annonce de la « guerre contre la drogue » du président Nixon en 1972. Encore aujourd’hui, les groupes racisés sont les principales victimes de cette guerre. Le but premier de la prohibition n’a jamais été de protéger la santé publique, mais bien de contrôler la population.
La criminalisation de la drogue est une entrave à nos droits et libertés
Bien qu’il ne fasse partie d’aucun traité international sur les droits humains, le concept de liberté cognitive est intimement lié à certains de nos droits les plus importants, notamment la liberté de pensée. Cette dernière stipule que chaque être humain a le droit à sa propre opinion, à penser ce que bon lui semble. La liberté cognitive, quant à elle, souligne le droit de penser de la façon qu’on le souhaite.
Tant qu’on ne fait de mal à personne, on devrait avoir le droit de consommer une substance qui altère nos processus cognitifs.
Tant qu’on ne fait de mal à personne, on devrait avoir le droit de consommer une substance qui altère nos processus cognitifs. Nos propres pensées nous appartiennent, et personne ne devrait avoir le droit de s’en mêler. C’est un enjeu éthique qui n’est pas encore tout à fait résolu, et tout le monde a droit à son opinion à ce sujet.
Dans tous les cas, emprisonner un individu pendant plusieurs années pour simple possession de drogue n’est certainement pas (plus) la voie à suivre.
C’est tout à fait normal qu’on soit un peu réticents à l’idée de décriminaliser toutes les drogues. Depuis qu’on est petits, nos parents, nos enseignants, nos politiciens, nos institutions médiatiques et nos corps policiers nous disent que la drogue est un fléau, que sa consommation est problématique, qu’elle mène directement à la folie, à la dépendance, à la mort. Les campagnes de propagande du 20e siècle ont joué un énorme rôle dans le développement de notre perception de ces substances, et ça va être difficile de briser les idées préconçues qui en découlent.
Alors qu’on redécouvre le potentiel thérapeutique des psychédéliques, que le cannabis est légal au Canada, et que la crise des opioïdes cause des ravages qui sont justement exacerbés par la prohibition, il est temps de franchir le cap, même s’il nous donne les mains moites.