Ou… quand l’Etat vous oblige à vivre seul.e même si ta vie sentimentale change. Hein, quoi, comment ? Pour ça, soyez une personne handicapée, faites déterminer votre niveau d’incapacité, puis percevez l’AAH (Allocation aux adultes handicapés). 903, 60 euros par mois (mega fiesta). Rencontrez quelqu’un.e, envisagez un autre avenir pour vous deux, et, surtout, faites les comptes. Si vous décidez de vivre avec un.e amoureux.se et qu’il gagne 19 600 euros par an, adios vos allocations. Ou alors, vous renoncez à la vie en couple, et hop, c’est plié.
Tout de suite, retenez bien cette information : cette allocation n’est pas une aide sociale, elle est là pour compenser une incapacité à travailler (incapacité). Elle permet de payer des prestataires d’aide à domicile, par exemple, ou des équipements spéciaux, ou des frais médicaux non pris en charge par la Sécurité sociale.
Si vous décidez quand même de passer le cap, et d’emménager en couple, votre autonomie à vous, la personne handicapée, est fragilisée. Car en fonction des revenus mensuels de votre conjoint, globalement dès 1 000 euros et quelques (youhou, à vous Ibiza), votre AAH baisse. Attention, le gouvernement vous fait une fleur, désormais, depuis le 1er janvier 2022, vous avez droit à une déduction de 5 000 euros sur les ressources annuelles de votre compagne.on, sans parler de la réduction de 1 400 euros supplémentaires par enfant à charge. Pas mal, hein ? Des associations et des collectifs ont lutté mais c’est cette solution peu satisfaisante qui a été adoptée.
« Je me suis rendue compte qu’en étant mère isolée, j’avais plus d’aides qu’en couple »
Maya a accepté de témoigner : cette maman d’une trentaine d’années, qui a préféré restée anonyme, a choisi de ne pas vivre avec son compagnon et s’occupe en grande partie de sa fille de deux ans. « Je me suis rendue compte qu’en étant mère isolée, j’avais plus d’aides qu’en couple », explique cette femme qui perçoit l’AAH pour un handicap physique. « Je ne comprends pas pourquoi, alors que mon compagnon gagne un peu plus que le Smic, on devrait m’amputer de mon allocation. La tentation de frauder est grande mais la menace de contrôle est forte et je ne veux pas risquer un contrôle, et je ne veux pas avoir de dettes envers la CAF ». Maya est une super maman qui s’aménage des temps de repos indispensables et s’organise bien avec le père de sa fille.
Bon, clairement, la question est : pourquoi ne pas avoir tout simplement aboli cette règle insensée qui place de nombreuses personnes dans une situation délicate, qui calcule mal les vrais besoins des personnes en situation de handicap ?
Sophie Cluzel, la Secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, pense que les personnes handicapées perçoivent des « aides sociales », elles opposent les allocations au RSA, son mantra est de récompenser les personnes qui travaillent, parce que c’est ça la valeur absolue, le TRAVAIL. Et elle insiste en plus, c’est le rôle de la famille de s’occuper des personnes handicapées, d’être les AIDANTS. L’avis des concerné.es ? Bof… Pourquoi faire ? Peut-être qu’elle ne pige pas que les personnes en situation de handicap qui sont dans l’incapacité de travailler veulent tout de même vivre, attention, ça va faire hurler, dignement. Sans avoir à dépendre de la personne avec qui elle vit pour tout payer, pour s’habiller, pour manger, pour se déplacer. « Si la déconjugalisation était votée, je vivrais avec le père de ma fille, explique Maya. Je ne me sentirais pas amputée, là, c’est comme si on me punissait d’avoir une vie de couple ».
« J’ai l’impression qu’on me dit : tu ne peux pas travailler, tu n’as pas ta place, tu ne mérites pas ta vie de famille »
La secrétaire d’Etat a bloqué plusieurs fois le projet de loi, estimant que c’est un minima social comme un autre (même si bah non, puisqu’il s’agit d’incapacité à travailler, parfois provisoire, parfois non, et que c’est versé par la Sécurité sociale), que cela remettait en cause la « solidarité familiale ». « Là, j’ai l’impression d’être inutile à la société », regrette Maya, qui résume ainsi la logique : « J’ai l’impression qu’on me dit : tu ne peux pas travailler, tu n’as pas ta place, tu ne mérites pas ta vie de famille ». Elle juge sévèrement la secrétaire d’Etat, dont elle ne comprend pas les arguments. « Elle dit que cela pénalisera certains foyers, mais lesquels ? »
Pour certaines femmes en situation de handicap, ne pas avoir de revenus peut être un piège. Et guess what, les femmes en situation de handicap, sont, statistiquement, plus victimes de violences conjugales, imaginez un peu si elles sont dépendantes financièrement et que leur handicap provoque des dépenses onéreuses ? Ces femmes handicapées vivent sans revenus, sans moyens financiers pour quitter leur conjoint. Charmant.
On attend des candidat.es de vrais engagements, une vraie réflexion, pas des paroles creuses. Et de la thune, on veut de la thune.
Vous savez ce qu’il y a de plus cynique, de plus mesquin, en plus de tout cela ? C’est que Sophie Cluzel, elle a bien insisté, hein, elle ne déconjugalisera pas l’AAH, mais, attention… plot twist : c’est une « piste » pour le « prochain quinquennat », qu’elle a dit, récemment. Ouais, elle a évoqué l’idée comme faisable alors qu’elle n’a eu de cesse de la bloquer, rien à voir avec la candidature de son big boss pour l’élection présidentielle de 2022 qui approche à grands pas. Forcément, ça me donne envie de hurler dans un coussin jusqu’à la fin de la campagne électorale.
Alors, je le dis, en tant que femme, qui vit et élève seule ses enfants, qui est handicapée, qui perçoit l’AAH : c’est un grand foutage de gueule. Nous ne sommes pas un argument de campagne. Nous voulons plus. Nous ne voulons pas un changement de regard mais un regard politisé, un engagement politique, qui dise que les personnes handies qui ne travaillent pas ont le droit de vivre comme elles l’entendent, en dehors des institutions, en couple ou non. Ecoutons Maya. On attend des candidat.es de vrais engagements, une vraie réflexion, pas des paroles creuses. Et de la thune, on veut de la thune.